Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du suédois par Emmanuel Curtil
Rodez : Le Rouergue, octobre 2017
474 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-8126-1447-7
Coll. "Noir"
Brumes transatlantiques
Comme souvent maintenant, le roman se déroule dans deux parties du monde différentes. D'une part à Buenos Aires et autres lieux d'Amérique latine ; d'autre part dans la banlieue de Stockholm. Il y a même une brève escale à Berlin. Mais aussi à deux moments différents de l'histoire : en 1977-78 (époque de la dictature militaire en Argentine) et en 2014. Comme tous ces plans sont soigneusement entremêlés, il convient de bien les distinguer, si l'on veut comprendre ce qui se passe. Un bref prologue nous montre les souffrances d'une femme kidnappée et torturée. Puis, en 1977, la Suédoise Ing-Marie Sahlin arrive à Buenos Aires (sous le pseudonyme de Vera) en compagnie de l'Argentin Ramón Maguid, en militants clandestins des droits de l'homme, pour enquêter sur les nombreux cas de disparations de citoyens. Ing-Marie est enlevée en pleine rue, mais elle est rapidement libérée grâce aux relations de Ramón et à la Coupe du Monde de football qui approche. Mais Ing-Marie a pu constater que Ramón n'est pas celui pour qui il se fait passer et, pour lui échapper, se lance dans une odyssée sud-américaine. Les choses prennent prennent ainsi un tour inattendu.
À Stockholm, en 2014, une certaine Charlie (de son vrai nom Camilla Eriksson, mais elle a bizarrement choisi de se faire appeler ainsi) est en pleine drague en boîte de nuit. Puis Lena Morberg, mère insomniaque d'un ado accro aux jeux vidéo, entend un corps tomber du haut de l'immeuble sur le sol de l'aire de jeux située en dessous de sa fenêtre. C'est en fait celui de Charlie, qui sous-louait clandestinement un appartement au onzième étage. Puis sont introduit un certain Chevalier, ancien repris de justice et désormais SDF, qui erre dans le froid de l'avant-veille du 1er mai, et Uf Rainer, qui semble être un peu plus qu'un voisin pour la victime. Un coup de téléphone de la police apprend à l'agent immobilier Helene Bergman la mort de sa sœur aînée, Charlie. Leur père à toutes les deux, Håkan, est censé être mort depuis longtemps, mais vit en fait sous l'identité du clochard Chevalier. Et leur mère est cette Ing-Marie, disparue plusieurs dizaines d'années auparavant. (Elles ont eu une mère adoptive très dévouée, Barbro.) Les deux sœurs ne se voyaient et ne se parlaient pratiquement plus. Charlie était fugueuse et instable, et nourrissait de vagues ambitions littéraires. Elle avait déjà fait une tentative de suicide et cherchait fébrilement à savoir la vérité sur la disparition de leur mère en Argentine, avec trente mille autres personnes. (Mais Ing-Mari est-elle-même arrivée à Buenos Aires, car il n'y a plus aucune trace d'elle après son départ de Suède en compagnie de Ramón ?) Comme on a trouvé sur son corps des traces de stupéfiants dérobés peu avant dans une pharmacie, la police ouvre une enquête, vite refermée pour conclure au suicide. Helene cherche alors à son tour à retrouver leur mère, mais doit d'abord, pour cela, se lancer dans une enquête sur sa défunte sœur dans les sites de rencontre sur Internet qui l'amène à croiser un homme, Mats, avec lequel Charlie est censée être allée danser le tango à Buenos Aires (son passeport porte en effet la mention d'une entrée récente en Argentine). Helene explore aussi le corps médical et trouve vite une gastro-entérologue originaire de Buenos Aires qui a également connu leur mère et Ramón, et qui peut lui fournir de vagues pistes locales. Elle part alors à son tour pour l'Argentine rencontrer l'ex-mari de ce docteur et retrouver Ramón. Mais elle est enlevée par les sbires d'un certain Squatina, célèbre bourreau de l'époque de la junte militaire, et va elle aussi de surprise en surprise. Elle apprend que sa mère se faisait appeler Claudia Viehhauser, à un certain moment, et elle se lance sur ses traces jusque parmi les FARC de Colombie. À son retour en Suède, elle apprend que son père a été victime d'un curieux attentat.
On le voit, il est presque impossible de donner un résumé compréhensible et relativement bref de l'intrigue, car trois voyages différents en Argentine, effectués par trois femmes différentes et apparentées, se superposent, ainsi que deux mouvements clandestins (la résistance à la dictature en Argentine et les FARC en Colombie). L'informatique et la réalité virtuelle jouent un rôle capital, pour compliquer encore un peu les choses, et les nombreux pseudos et fausses identités de tous ordres n'arrangent évidemment rien. C'est bien sûr le fidèle reflet d'une époque et d'une situation particulièrement troubles, mais cela demande aussi une bonne dose de concentration de la part du lecteur, qui doit souvent revenir en arrière pour saisir de qui et de quoi il s'agit. Une construction plus linéaire lui aurait simplifié la tâche. Le dénouement, lui, sacrifie un peu trop la mode du sensationnel haletant. On en vient donc à regretter le caractère policier d'un livre qui, par ailleurs, offre un bon tableau détaillé et convaincant de ce que c'est qu'une dictature – fût-elle argentine et donc un peu exotique, au moins pour un(e) Suédois(e). Aussi paradoxal que cela paraisse, les ambitions et les dons littéraires de l'auteur se sont un peu retournés contre elle.
Citation
La vie d'une personne ne se trouve pas dans ce qu'elle laisse derrière elle, mais dans ce qu'elle choisit de cacher.