Dépêche | Un puzzle avec récompense financière au Livre de poche

Le jour même où Son Holland arriva au camp pénitentiaire, menotté, à l'arrière d'un chariot tiré par des mulets, en compagnie de sept autres prisonniers, il sut qu'il finirait par s'évader, qu'il mourrait avant d'avoir passé dix ans dans un marais fumant, sous les pistolets et les fouets de Français impaludés qui avaient du sang noir dans les veines et un cœur dégénéré et corrompu.
James Lee Burke - Texas Forever
Couverture du livre coup de coeur

Coup de coeur

Éclipse totale
Harry Hole a été exclus de la police, ce qui ne l'empêche pas de couler des jours heureux, bouteille ...
... En savoir plus

Identifiez-vous

Inscription
Mot de passe perdu ?

jeudi 28 mars

Contenu

concours

MAJ jeudi 28 mars

Un puzzle avec récompense financière au Livre de poche
25/02/2023

Un puzzle avec récompense financière au Livre de poche
En 1934 un drôle de livre fait son apparition sur les étals des librairies : The Torquemada's Puzzle Book. Il comporte une partie intitulée Cain's Jawbone qui n'est autre qu'un court roman policier de cent pages mais dont les pages ont été imprimées et reliées dans le désordre... Le lecteur doit donc d'abord remettre les pages dans le bon ordre pour déchiffrer le récit puis identifier les victimes et les coupables de six crimes. C'est déjà une singularité majuscule, mais elle ne suffisait sans doute pas à l'humeur facétieuse de l'auteur, Edward Powys Matters (1892-1939), un poète et traducteur anglais doublé d'un cruciverbiste de talent qui publiait ses grilles dans le journal The Observer sous le pseudonyme de Torquemada... Il a en effet, pour corser la mission de reconstitution proposée au lecteur, truffé son texte de citations, de jeux de mots, de contrepèteries... bref, de tout ce qui, dans le domaine du verbe poético-ludique, peut utilement brouiller les pistes. En la matière, il a magnifiquement calculé son coup car le nombre des combinaisons paginales possibles dépasse les trente-deux millions tandis qu'une seule est correcte !
À sa parution, ce roman bizarre autant qu'étrange fut l'objet d'une authentique compétition : une récompense de 15 livres était promise à toute personne qui, dans l'année, réussirait à recombiner correctement les pages et à livrer les noms des victimes comme de leurs meurtriers. Deux lecteurs seulement trouvèrent les clés et empochèrent la récompense. La solution n'a jamais été rendue publique. Aussi le roman était-il disponible pour être de nouveau édité dans l'entièreté de son mystère...
En 2016, l'association The Laurence Sterne Trust (créée en 1967), reçoit un exemplaire de cette curiosité littéraire. Le conservateur du musée se lance dans l'aventure de la résolution... et parvient à la solution après des mois et des mois de recherche. Ceci fait, le roman est réédité – isolément cette fois – en 2019. La compétition aussi : l'éditeur promet une récompense de 1000 livres – soit environ l'équivalent des 15 livres de 1934 – à quiconque résoudra l'énigme dans l'année suivant la publication... Une seule personne a réussi : le comédien britannique John Finnemore. La solution n'a toujours pas été révélée – et il est bien prévu qu'elle ne le soit jamais, afin que les générations futures puissent, elles aussi, se faire des nœuds au cerveau en toute ludicité avec ce chef-d'œuvre du casse-tête littéraire.
En novembre 2021, nouveau tournant dans la "carrière" du fameux roman-puzzle : une vidéo le concernant est diffusée sur TikTok. C'est "le buzz" comme on dit, et le livre connaît un formidable regain de popularité. Il est, à ce jour, traduit en douze langues ; dont le français : La Mâchoire de Caïn est sorti début février au Livre de Poche, dans une traduction de Claire Watson. Claire Watson? Coïncidence élémentaire mon cher ! Blague à part, je ne saurais conclure cette dépêche sans écrire un mot au sujet de la traduction. C'est, en soi, un acte qui pousse toujours la réflexion sémantique, syntaxique, phonique, culturelle même, dans ses retranchements. Et plus loin encore quand il s'agit de littérature pure, voire de poésie, avec tout ce que comportent comme embûches les figures de style propres à chaque langue... Jusqu'où donc la traductrice a-t-elle dû aller pour restituer en français non seulement le fond de l'histoire, le récit criminel dans sa logique, les astuces verbales – ce qui n'est déjà pas une mince affaire ! – mais aussi la déconstruction, la "puzzlification" du texte original ? Je suis convaincue (à tort ?) qu'elle n'a pas pu travailler sans avoir disposé au préalable de la solution, sinon comment s'assurer que le texte traduit fonctionne de la même manière et aussi bien que l'original, qu'il y a autant de combinaisons possibles et, parmi elles, en effet une seule qui soit correcte ?
Voilà de quoi se faire quelques nœuds de plus au cerveau, comme si ceux provoqués par la malice d'Edward Powys Matters "Torquemada" n'étaient pas assez inextricables !
Cela étant, mieux vaut garder intacte son énergie cérébrale pour le problème premier : la compétition avec récompense à la clé est aussi lancée par l'éditeur français – il n'y a qu'à suivre le règlement, à découvrir ici.

Edward Powys Matters, La Mâchoire de Caïn (traduit de l'anglais par Claire Watson), Le Livre de Poche, février 2023.



Par Isabelle Roche

Pied de page