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Louis Bayard, un auteur sans peur et sans reproche
© D. R.
k-libre : Dans vos précédents romans traduits en France vous prenez, pour héros, des personnages authentiques : Edgar Allan Poe
et Eugène-François Vidocq. Pourquoi, cette fois-ci, retenir un personnage de fiction ?
Louis Bayard : Il faut dire que j'ai écrit ce roman avant les deux autres. Mais il a commencé avec un personnage authentique, celui de Charles Dickens. C'était mon auteur favori quand j'étais enfant, et je voulais lui rendre hommage.
k-libre : Qu'est-ce qui vous a fait choisir Timothy de Charles Dickens parmi la foultitude de héros de fiction ? Qu'est-ce qui vous a attiré chez ce personnage, somme toute, secondaire ?
Louis Bayard : Puis-je être honnête ? J'ai choisi Timothy parce que je l'ai toujours détesté. Dans le conte original, Un chant de Noël (A Christmas Carol, 1843), il est trop bon, trop pur, trop sucré. Il est incroyable, non ? Alors, j'ai commencé à me demander si Dickens ne nous cachait pas quelque chose. Peut-être que Tiny Tim avait des secrets. Et si je comprenais ses secrets, je l'aimerais plus. Le roman est né de cette idée.
k-libre : Timothy, chez Dickens, était gravement handicapé. Grâce à des soins payés par l'oncle N (Ebenezer Scrooge), il peut marcher. Vous le vieillissez d'une vingtaine d'années. Pourquoi avoir retenu cette durée ?
Louis Bayard : Parce qu'il efface toute la sentimentalité du personnage. Timothy doit affronter le monde comme un adulte pensé. Sans handicap, sans pitié. Il doit être son propre maître et le maître de son destin.
k-libre : Vous partez d'un personnage âgé de six ans, tel que décrit par Charles Dickens. Mais, à part sa filiation et son handicap, n'est-ce pas un personnage entièrement nouveau que vous avez conçu ?
Louis Bayard : Je l'espère ! Mais je ne voulais pas perdre tout à fait le lien avec l'original Timothy. Et je pense que L'Héritage Dickens est lui aussi un conte de Noël.
k-libre : Avec Timothy, d'autres personnages jouent un rôle prépondérant comme Colin le Mélodieux. C'est un garçon des rues plein de ressources. Comment est-il né ?
Louis Bayard : Il a été inspiré par Jack Dawkins surnommé le Renard (The Artful Dodger). C'est l'un des personnages principaux de Oliver Twist (1837-1838). L'un de mes favoris. Mon roman est plein d'allusions à l'œuvre de Dickens, et ne se limite pas à un simple hommage à Un conte de Noël.
k-libre : L'héroïne est Philomela. Elle est la cause de la transformation de Timothy en enquêteur, en défenseur de l'orphelin. La prostitution enfantine, à Londres, était-elle déjà un fléau ?
Louis Bayard : Ah, oui. Les enfants constituent jusqu'à la moitié de la population du Londres victorien. Et parce que beaucoup de ces enfants étaient des orphelins, ils étaient tout à fait impuissants. Les enfants étrangers étaient les plus impuissants parce qu'ils ne pouvaient pas se baser sur la langue anglaise pour se protéger. Aujourd'hui, c'est le même problème. Les enfants étrangers demeurent les plus vulnérables.
k-libre : Pourquoi entourez-vous votre héros d'un duo d'enfants qui prennent une part importante dans l'enquête ?
Louis Bayard : Je voulais créer pour Timothy - aux États-Unis on dit "an alternative family" - une famille de remplacement. Il a perdu sa famille d'origine. Ces deux enfants deviennent sa nouvelle famille – sa raison de vivre.
k-libre : Timothy est amené à lutter contre un réseau de prostitution particulier. Vous êtes-vous basé sur un fait réel pour construire votre intrigue, sur des situations probables ou est-ce le fruit de votre fertile imagination ?
Louis Bayard : Un mélange des deux. Les détails les plus baroques sortent de mon imagination.
k-libre : Votre titre original Mr. Timothy a été traduit en français par L'Héritage Dickens. Ce personnage de jeune garçon est-il si connu aux USA que son nom suffit ? En France, il faut le rattacher à Un conte de Noël (A Christmas Carol) de Dickens pour le reconnaître.
Louis Bayard : Oui, aux USA, en Angleterre, le nom suffit - peut-être à l'instar de Jean Valjean ou Tartuffe en France. Je voulais aussi montrer qu'il n'est plus l'enfant "Tiny Tim". Il est devenu un homme, avec les problèmes d'un homme.
k-libre : Que préférez-vous : un cadre imposé (la vie connue de vos héros) dans lequel vous devez faire évoluer une intrigue nouvelle ou la plus grande latitude que laissent, normalement, les personnages de fiction ?
Louis Bayard : Je préfère le cadre imposé. Et je ne pense pas que je perds toute latitude. Je suis toujours libre de faire ce que je veux.
k-libre : On retrouve, dans vos descriptions un Londres de 1860 très proche de celui que décrit Charles Dickens. Vous citez, en exergue, quelques sources principales. Cependant Dickens vous a-t-il inspiré des lieux ou des ambiances ?
Louis Bayard : Henry Mayhew, un grand historien de l'époque victorienne, a été ma source principale de renseignements. Il a rassemblé toutes ces statistiques remarquables et les histoires sur le Londres victorien. C'est une ressource inestimable.
k-libre : Vous semblez avoir pris beaucoup de plaisir à décrire cette ville, à en restituer l'atmosphère de l'époque. Londres n'est-elle pas, également, une des héroïnes de votre roman ?
Louis Bayard : Certainement ! Tout comme Paris est une héroïne des Misérables. L'atmosphère entraîne le récit.
k-libre : Dans votre roman, vous parlez beaucoup des pères disparus. Timothy vient de perdre le sien il y a six mois. Philomela est orpheline depuis un mois. Vous donnez la primauté aux pères, aux dépens des mères. Celle du héros est peu citée, et celle de l'héroïne totalement inexistante. Pourquoi ?
Louis Bayard : C'est une bonne question. Ce n'était pas mon intention. Quand j'ai écrit ce roman, mon père était mourant, et je devenais un père. Ainsi le thème des pères et des fils avait une grande signification, était omniprésent dans mon esprit. Dans les faits, il m'est arrivé de pleurer pendant que j'écrivais. Mais je ne voulais pas insulter les mères !
k-libre : Vous faites dire à Timothy que la police était, dans une large majorité, corrompue. Cette corruption était-elle aussi importante à cette époque ?
Louis Bayard : C'est pourquoi le crime était si répandu à l'époque victorienne. La police ne pouvait pas l'arrêter. Les forces de police n'étaient pas préparées à combattre le crime efficacement. Scotland Yard n'était pas ce qu'il est aujourd'hui.
k-libre : Timothy et le capitaine Gully se livrent à la récupération de cadavres dans la Tamise contre rémunération. Cette pratique était-elle courante ? Pourquoi ceux qui ramenaient, ainsi, des corps étaient-ils payés ?
Louis Bayard : Je suis sincèrement désolé. Je vais devoir répondre à cette question en anglais. La récupération de cadavres était monnaie courante à cette époque. C'est l'un des thèmes du dernier grand roman de Charles Dickens, L'Ami commun (Our mutual friend, 1864-1865). Les récupérateurs étaient payés par les juges qui a leur tour les vendaient à des écoles médicales pour leurs dissections.
k-libre : Pourquoi retenir une jeune héroïne étrangère qui ne parle presque pas l'anglais. Est-ce pour créer un obstacle supplémentaire à la communication avec Timothy ?
Louis Bayard : Oui. Et comme je l'ai déjà dit, les filles étrangères étaient les plus vulnérables.
k-libre : "Ah, les privilèges d'un âge avancé. Rester couché toute la journée, personne... traitant de feignant." C'est ce que pense Timothy quand il se rend chez son oncle. Est-ce aussi une situation que vous souhaiteriez pouvoir vivre de temps à autre ?
Louis Bayard : Ah, non. Quel ennui ! J'aime mon travail.
k-libre : Avez-vous une affection particulière pour le roman de Daniel Defoe, Robinson Crusoé ?
Louis Bayard : Pas particulièrement. J'ai choisi ce roman pour son thème : un homme obligé d'avoir une nouvelle vie.
k-libre : Votre livre est-il un hommage à Dickens ?
Louis Bayard : Mais oui. C'est sa raison d'être. Dickens est l'auteur qui a aujourd'hui la plus grande influence sur mon écriture.
k-libre : Peut-on connaître le personnage célèbre que vous allez mettre en scène dans votre prochain livre ?
Louis Bayard : Vous connaissez le président américain Teddy Roosevelt ? J'écris un roman sur son voyage à travers la jungle brésilienne. Il est encore plus macabre que L'Héritage Dickens. Une histoire d'horreur !
Liens : Louis Bayard | Charles Dickens | L'Héritage Dickens Propos recueillis par Serge Perraud