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Soudain, des cris étouffés s'en échappent, suivis d'une série de ruades. L'homme est contraint de reposer le sac pour ne pas perdre l'équilibre. Il décoche deux coups de pied sur le côté, et la chose qui est à l'intérieur cesse sur-le-champ de remuer.
Marin Ledun - Un cri dans la forêt
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D.O.A., un passager clandestin aux multiples facettes

Lundi 02 mars 2009 - En mars 2009 paraissait dans la "Série noire" des éditions Gallimard Le Serpent aux milles coupures (reparu depuis en "Folio policier"). Christophe Dupuis, éminence grise du polar, l'avait alors rencontré. S'en était suivi un échange qui aujourd'hui encore fait sens. Dans ce long entretien, il est question longuement de romans existants - Citoyens clandestins, La Ligne de sang -, mais également d'un roman à quatre mains avec Dominique Manotti amené à avoir un beau retentissement, L'Honorable société, qui parait de nouveau cette année en "Folio policier". Pour l'heure, il est essentiellement question d'idées, d'idéologie, de luttes vaines, d'écriture, d'auteurs cultes dans un entretien révélateur du style de son auteur...
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© D. R.



k-libre : D.O.A. – prononcer D-O-A –, vous êtes plutôt quelqu'un de secret ("J'ai voulu conserver un peu de distance entre la partie publique de mon métier et ma vie privée, d'où l'utilisation d'un pseudo", disiez-vous sur le site de Bibliosurf), mais pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous ? Car mise à part la laconique biographie : D.O.A. (Dead On Arrival, pourquoi pas John Doe ?) est romancier et scénariste. Lecteur compulsif sur le tard, il aime le cinéma, la BD, David Bowie, la musique électronique et apprécie également la cuisine, les bons vins, le Laphroaig et les Gran Panatelas (la crème du cigare des années 1960-1970 ai-je pu apprendre sur le net), on ne sait pas grand-chose de vous.
D.O.A. : Je retiens la suggestion, John Doe, si jamais l'envie me prend de changer d'avatar et de disparaître à nouveau. On ne sait pas grand-chose de moi, dites-vous, moi je réponds tant mieux. Et au mot "secret" je préfère "discret", moins connoté. Je n'ai rien à cacher, mais aucune envie de m'exposer non plus. Qu'y aurait-il donc à savoir qui changerait quoi que ce soit à la découverte de mes romans ? Mes livres, on les aime ou on les jette [sourire]. Le fait de savoir des choses sur moi ne peut qu'en polluer la lecture. Parlons d'eux, pas de moi. Cette tendance de fond à placer les "créateurs" de tous bords devant leurs œuvres pour "communiquer", je trouve cela pesant, lourdingue, exhibitionniste, à la limite de la prostitution. Et puis lorsque l'on commence à se dévoiler, où est-ce que l'on s'arrête ? Donc je préfère éviter d'en dire plus.

k-libre : Vous commencez à publier au Fleuve noir – Les Fous d'avril et La Ligne de sang –, que je n'ai pas lus et qui ont été impossible à trouver pour préparer cette interview, dont un a eu le premier prix du festival Quais du polar – année très, très pluvieuse, si mes souvenirs sont bons, avant de changer de maison d'édition, de format (un véritable pavé) et d'acquérir – corrigez si je me trompe – une place différente parmi les auteurs de romans noirs, ce roman vous ayant à fort juste titre placé dans "la cour des grands".
D.O.A. : Très pluvieuse, en effet. De mémoire, je n'avais jamais vu autant de flotte à Lyon. Une place différente ? "C'est pas faux", comme diraient d'autres Lyonnais cathodiques sévissant au Moyen Âge arthurien. Je dirais même une place tout court ! C'est simple : avant d'arriver à la "Série noire", je n'existais tout simplement pas. À tel point que pour beaucoup de lecteurs, Citoyens clandestins est mon premier roman. Quant au format, La Ligne de sang est aussi un gros bouquin. Dans sa version poche, presque aussi imposant que mon monolithe Gallimard.

k-libre : Aujourd'hui publié chez Gallimard, vos deux premiers romans épuisés vont-ils revoir le jour en "Folio policier" - visiblement c'est le cas pour l'un des deux en mars 2010 ?
D.O.A. : Les Fous d'avril est au purgatoire. J'en ai récupéré les droits auprès du Fleuve noir, puis je l'ai relu. Dans l'immédiat, hors de question de le ressortir tel quel où que ce soit. J'aimerais relancer le projet de trilogie à partir de ce premier volume, et je veux le faire bien, en tenant compte de ce que je sais faire aujourd'hui. Cela va nécessiter un certain travail pour lequel je manque de temps dans l'immédiat. D'autres romans à écrire avant. Quant à La Ligne de sang, oui, il est possible qu'il y ait du nouveau sur ce front-là en 2010.

k-libre : Alors comment est né ce Citoyens clandestins et combien de temps ça représente un tel travail ?...
D.O.A. : Citoyens clandestins est né du tumulte politique et médiatique provoqué par le 11-Septembre, un véritable choc suivi d'un vrai cirque, et a cristallisé quand, quelques mois plus tard, la France a subi le contrecoup du 21 avril 2002. Et entre l'envie de départ et le point final du manuscrit, il s'est écoulé quatre années. Des années passées à réfléchir, lire, rencontrer, voir, mûrir, écrire d'autres choses - La Ligne de sang, entre autres - du coup, je n'ai consacré à ce roman "que" dix-huit mois, sur ces quatre ans. Entre nous, c'est déjà beaucoup. Vais-je parvenir à faire mieux pour un livre prochain ? [Sourire.]

k-libre : Un véritable travail d'investigation. D'ailleurs, comment avez-vous procédé ? Avez-vous travaillé avec des flics, des journalistes du Canard enchaîné, avez-vous effectué des recherches sur Internet ? Car on sent chez vous cette volonté d'être précis, ce sens du détail cher à Jean-Patrick Manchette et donc pas question d'inventer – ou je me trompe (un Jean-Bernard Pouy dirait qu'importe si c'est un pistolet ou un revolver du moment que ça tire) ?
D.O.A. : Avec tous ceux-là, oui, mais mes journalistes à moi n'étaient pas du fameux volatile cher à mon cœur. Et puis, il y avait des gens d'autres horizons, d'autres bords, également. Plus de bords et d'horizons que je n'en utilise en réalité dans le récit final. Pas mal de lectures aussi, de visionnages, d'expériences personnelles diverses. C'est d'ailleurs l'essentiel de la documentation, en fait. Les professionnels de la profession n'étaient là que pour le vernis, la touche finale, celle qui donne l'illusion du vrai. Parce que tout ceci n'est qu'une illusion. Nous autres romanciers ne sommes que des manipulateurs, tout juste bons à emmener le lecteur ailleurs, le temps d'un livre. Si vous y croyez, c'est que notre numéro est au point, sinon... Après, chacun ses trucs et ses envies, ce qui explique les différences de conception et d'approche entre un Manchette, qui reste une référence incontournable du polar national, et les autres.

k-libre : J'ai une théorie qui vaut ce qui vaut et vous allez me donner votre avis : aux États-Unis, on a plein de thrillers politiques, en France peu et c'est lié au système éditorial. Aux USA, vous êtes bien payé pour votre livre (les gars comme James Ellroy ou Elmore Leonard ont même des documentaristes qui bossent pour eux), en France non. Et donc, quitte à écrire un livre, autant faire un truc de deux cent cinquante pages tout droit sorti de votre esprit qu'un pavé de plus de septs cents pages qui nécessite de nombreuses recherches.
D.O.A. : Je crois que c'est un peu plus complexe que cela même si vous avez en partie raison. Les pays anglo-saxons ont une grande tradition documentaire, une approche de la presse différente, plus factuelle - mais pas forcément infaillible - et, n'en déplaise à certains, aux États-Unis en tout cas, la liberté de parole n'est pas qu'un vœu pieu... Même si cela implique que tout le monde, y compris des gens franchement détestables, peut l'ouvrir grand. À leur premier amendement et leur règle du "Facts and only facts", s'opposent notre conception française de l'opinion reine, mollement consensuelle, idéologiquement acceptable, surtout pas hors cadre, et cette culture, qui s'est répandue dans tous nos canards nationaux, de l'hypothèse et du conditionnel. On aime bien gloser, glisser, échafauder sous nos latitudes. Quitte à inventer, pour faire coïncider ce que l'on couche sur le papier avec ce que l'on pense. Très souvent, la plupart du temps, contre le réel. Ce que l'on ne dit ou n'écrit pas n'existe pas. La littérature, en particulier la littérature noire, longtemps très politisée chez nous, n'échappe pas à ce phénomène. Du coup, plus besoin d'être précis, juste, documenté.

k-libre : Rougeard qui dit "J'ai arrêté quand j'ai compris que le libéralisme triomphant finirait par faire perdre la boule à tous nos dirigeants. La soupe est trop bonne pour se faire la moindre illusion sur les ambitions des uns et des autres. Avec le criminel, au moins, pas de surprise, il ne dissimule pas sa réalité sous un voile de probité" les choses sont claires : il y a de la matière pour écrire des polars jusqu'à la fin de votre vie, non ?
D.O.A. : Ah, vous trouvez aussi ? Vous comprenez pourquoi je manque de temps maintenant ? [Rires.]

k-libre : Karim, qui trouve le temps long pendant son infiltration (ce qui ressort à la lecture des livres de Stella Rimington ou d'autres) en tout cas, ça ne fait pas envie, non ?
D.O.A. : Oui, dommage pour les recruteurs de l'armée française... Karim est un homme seul, pire, isolé, engagé dans une action de longue haleine, dangereuse certes, mais qui, au quotidien, n'a rien de glamour. Ne serait-ce que parce que la vie des gens dont il doit se rapprocher n'a rien de glamour. C'est même une triste vie. Il subit par ailleurs une triple perte d'identité. Lorsque son infiltration commence, il cesse d'être l'homme réel Karim pour épouser une identité fausse, vivre la légende que les services secrets lui ont fabriqué. Karim se rend compte par ailleurs, en cours de mission, que cet homme réel qu'il a laissé derrière lui n'existe pas. Il n'a jamais existé. Il est acculturé du fait de son histoire familiale, marquée par le drame harki. Une acculturation aggravée le jour où l'état civil français lui a donné un prénom couleur locale, Robert, contre l'avis de ses parents, fraîchement débarqués d'Algérie. Ce prénom, c'est le symbole de la première négation de son identité, la plus profonde. Celle qui le hante et qui lui est renvoyée en permanence à la figure par les gens qu'il cherche à piéger. Eux, quoi que l'on puisse penser de leurs actions, luttent pour une certaine idée de leur culture et de leur identité. La troisième perte d'identité intervient quand il est trahi par sa hiérarchie et que l'agent Karim, cette individualité noyée dans le grand magma de l'armée, cesse d'exister pour devenir un bouc émissaire. Donc oui, pour Karim, l'existence est vraiment compliquée. Et l'avenir bouché. Quoique...

k-libre : Il y a une abondante playlist dans Citoyens clandestins, renforcée par le fait que Lynx utilise son RIO. Il n'y a qu'un seul titre dans Le Serpent aux mille cuopures mais c'est "Dead Souls" de Joy Division, alors respect. vous écoutez beaucoup de musique quand vous écrivez ?
D.O.A. : J'écoute beaucoup de musique tout court. Toute la journée, même à moto. Vive les baladeurs. Et beaucoup de styles musicaux différents (sauf Michael Jackson et Johnny Hallyday - tiens, je n'avais jamais remarqué qu'il y avait trois "y" dans son nom, ça fait riche - eux, je ne les écoute pas, je suis obligé de les entendre). Le seul moment où j'ai besoin de silence, c'est lorsque je rédige mes romans. Là, il faut que je me concentre. Mais au cours des étapes qui précèdent, la doc., la réflexion, la structuration, l'élaboration du traitement, oui, toute la musique que j'aime est dans mes oreilles [sourire], mais je ne sais pas si elle vient du blues... Et je suis entouré de pas mal d'experts aux goûts variés, à commencer par mon éditeur, ce qui me permet d'explorer de nouvelles pistes sonores en permanence.

k-libre : Servier – toujours lui – qui lit L.A. Confidential, je présume que ce n'est pas un hasard... Alors quels sont vos auteurs favoris, ceux qui vous ont influencé ?
D.O.A. : James Ellroy, l'évidence même. Mais aussi Ed McBain, Joseph Wambaugh, Elmore Leonard, Tony Hillerman, Richard Price, George P. Pelecanos, le Michael Connelly des débuts, Herbert Lieberman pour Nécropolis. Aux frontières du noir, Robert Littell. Ne pas oublier Don Winslow pour La Griffe du chien, injustement ignoré. Dans d'autres genres, H. P. Lovecraft, Cormac McCarthy, William Faulkner, John Irving, Ernest Hemingway, Jim Harrison, Don Delillo, Hubert Selby Jr, Truman Capote, Philip K. Dick, William Gibson et Bret Easton Ellis pour ses trois premiers romans. Il y en a tant d'autres. Chez les Grands-Bretons, noirs ou assimilés, Robin Cook, évidemment, John Harvey pour sa série "Resnick", James Graham Ballard. Plus récemment, Gene Kerrigan, une vraie découverte. Sans oublier J. R .R. Tolkien, bien sûr. Et chez les Français, la grande, l'unique : Dominique Manotti.

k-libre : Suite à Citoyens clandestins, on vous retrouve avec Le Serpent aux mille coupures...
D.O.A. : Encore un titre à la con [sourire].

k-libre : Alors, d'où vous est venue cette idée de commencer la narration à H + 6, ce qui met tout de suite le lecteur en haleine ?
D.O.A. : Si je vous explique ça, je révèle ce que je me suis efforcé de cacher dans ce roman, et ça fout tout mon super plan par terre. Oui, Citoyens clandestins est suivi par Le serpent aux mille cuopures, même si l'on peut lire l'un et l'autre indépendamment. Le récit du second commence six heures après la fin du premier. Six heures, H + 6. L'idée était on ne peut plus pragmatique.

k-libre : Il y a des différences d'approches entre Citoyens clandestins, qui est plus long avec des personnages développés, et Le Serpent aux mille coupures, qui est court, sec et musclé. Comment avez-vous travaillé le style ?
D.O.A. : Bien. Avec un clavier sans fil [sourire]. Maintenant que j'ai laissé entendre, pour faire sérieux, que l'écriture suivait chez moi un processus de longue haleine, permettez-moi de me contredire en disant que pour Le Serpent aux mille coupures, j'ai posé un plan sommaire en deux jours, et tenté l'expérience du roman sans filet en moins de trois mois. Une approche directe, rapide, dans le mouvement, autour d'une histoire courte, en accéléré, qui a peut-être influencé le style. Je crois cependant que cette évolution, qui est assez profonde et avait déjà été entamée avec Citoyens clandestins - les gens s'en apercevront à la lecture de La Ligne de sang, écrite trois ans plus tôt, et qui est beaucoup plus "grasse" - est une tendance de fond de mon travail vers l'épure et le plus sec. Qui correspond à mes goûts littéraires. Cela ne peut qu'empirer avec le temps.

k-libre : Comment mêle-t-on le macrocosme (trafic mondial de dope) et le microcosme (querelles – véridiques d'ailleurs – de vignerons) ? Et, en parlant de cette histoire de vigneron, avez-vous enquêté dessus ou juste suivi ça par presse ? Enfin, avez-vous par la suite fait une signature à Moissac ?
D.O.A. : Oui, j'ai fait une signature à Moissac. Où j'ai été particulièrement bien accueilli par le maire et le libraire. Par tout le monde en fait. Une de mes plus belles signatures de 2009. Et elles ont été nombreuses à être belles en 2009. Pour ce qui est des mélanges, je crois à la métaphore romanesque plus qu'à l'opinion premier degré d'un auteur transmise à coups de longues tirades par ses personnages ou d'explications maladroites. Mon livre est à tiroirs, histoire simple et parabole sur la mondialisation. Chaque protagoniste a sa place à la fois au premier degré, dans l'intrigue, et symbolique, dans le mécanisme plus global que celle-ci essaie d'illustrer. Je dois avouer m'être contenté de la presse, suffisante pour mes besoins, pour développer l'arc narratif du couple d'exploitants harcelé par ses voisins. En revanche, je me suis baladé sur place, à Moissac, pour me familiariser avec les lieux, et dans la région, pour saisir l'atmosphère et me faire une idée des rapports entre les gens. Je n'en ai, évidemment, retenu que ce qui m'intéressait, en allant à l'essentiel, contrainte de rythme oblige, et n'ai absolument pas peint un tableau exhaustif des mœurs locales. La preuve, je ne me suis pas fait lyncher lorsque j'ai dédicacé mon roman là-bas. Pour le volet Colombie/cocaïne, en revanche, je me suis livré à des recherches plus approfondies, plus proches de celles menées pour Citoyens clandestins.

k-libre : Pour ne pas dévoiler le roman, on dira que Lynx fait une brève apparition, mais on ne sent pas que vous avez envie d'en faire un personnage récurrent. Est-ce que je me trompe ?
D.O.A. : Non, vous ne vous trompez pas. Le "phénomène" Lynx est apparu de façon assez inattendue, après la sortie de Citoyens clandestins. Les lecteurs se sont attachés à lui plus qu'aux deux autres protagonistes, à ma grande surprise. Cependant, je ne crois pas être capable de le porter encore très longtemps. Et puis, je n'ai aucune envie de me laisser enfermer dans des histoires de "Lynx, sa vie, son œuvre". Les trois personnages principaux de Citoyens clandestins vont revenir encore une fois, et basta.

k-libre : D'ailleurs, vous voyez-vous un jour faire une saga de vie de commissariat sur dix romans ?
D.O.A. : Peu probable, pour une raison simple : je construis mes livres à partir d'une idée d'intrigue que des personnages viennent ensuite incarner. Pour concevoir une saga, imaginer des récurrents, il faut partir des personnages et s'attacher surtout à eux. Tout le contraire de mon processus mental. Et puis l'hyperréalisme supporte mal la récurrence ou la saga. Quelle est la probabilité qu'un policier croise au cours de sa carrière tous les tueurs en série de France ? D'un strict point de vue territorial et administratif, c'est quasi-impossible.

k-libre : Quand vous n'écrivez pas des polars, il paraît que vous écrivez des scénarios. Alors, scénario/roman : deux approches différentes. Vous nous dites comment vous abordez ces deux genres ?
D.O.A. : Séparément sur la forme, de la même façon sur le fond. Ce qui rend l'exercice du scénario pénible pour moi et les gens qui veulent travailler avec moi. Les professionnels de la télé et du cinéma se contentent de plus d'à-peu-près que je ne suis prêt à le faire. Et ils cherchent des recettes. Qui n'existent pas. Ils redoutent par ailleurs la sécheresse de mon style et ma noirceur réaliste. Alors même que c'est cela qu'ils viennent chercher chez moi en premier lieu. Ce qui déclenche souvent des discussions "animées" aux allures schizophrènes. Du coup, je me contente à présent de "script-doctoring". Je consulte sur les scénarios des autres, j'analyse, je fais des remarques puis certaines corrections lorsque mes remarques sont validées. C'est beaucoup moins impliquant, plus reposant.

k-libre : Queue pensez-vous de la phrase de Joseph Périgot qui voulant reprendre l'écriture après quinze ans de télé a eu d'énormes problèmes et a dit : "la télé m'a faussé ma plume" ?
D.O.A. : J'imagine que si je laissais ma plume littéraire prendre la poussière quinze ans pour faire quoi que ce soit d'autre, elle serait faussée. Mais je comprends ce qu'il veut dire. Cependant, il y a aussi des choses à retenir de l'écriture et de la construction des récits audiovisuels.

k-libre : Et comme disait Philippe Cougrand, écrivain et scénariste : "d'un côté on maitrise tout (le roman), d'un autre c'est une œuvre collective dont on est qu'un maillon…"...
D.O.A. : Mouais, œuvre collective, pourquoi pas. C'est surtout une œuvre dont le réalisateur accapare tout le crédit artistique - en France, l'auteur d'un film, c'est lui - et les acteurs l'essentiel du crédit médiatique. Citez-moi le nom d'un seul scénariste français contemporain... Un scénariste, hein, pas un cinéaste qui se pique d'écrire ses films. Le scénario est l'œuvre artistique la moins respectée de France. Et puis de toute façon, il semble que tout le monde sache écrire dès qu'il s'agit de film ou de série. Tout le monde sauf les scénaristes. C'est pour cela notamment que dans les maisons de production et les chaînes de télé il y a des gens très qualifiés pour assurer la direction "littéraire" des scénarios. Littéraire, je cherche encore, mais bon, je ne suis qu'un jeune con, ce doit être pour ça.

k-libre : Lors d'une interview vous disiez avoir travaillé avec Dominique Manotti sur un projet télé, non abouti [NdR - il s'agit bien entendu du roman L'Honorable société], que vous avez transformé en polar à quatre mains. Encore une écriture différente. Comment avez-vous fait ? Et quand aura-t-on la chance de lire ça ?
D.O.A. : Comment faisons-nous - parce que c'est encore en cours ? Pour concevoir l'histoire, le processus a été assez simple. Même si nous ne sommes pas nécessairement en phase sur tout - et heureusement ! -, Dominique et moi sommes d'accord sur l'essentiel : le type de sujet et la façon de les aborder, et le principe de la discussion, ouverte et argumentée, sur les éventuels points de désaccord. Assez rares, je dois le dire. Mais à présent nous entrons dans la phase de rédaction du roman. Et là, nous allons rire... Et faire ce que nous pouvons. Nous allons expérimenter une première méthode et nous la ferons évoluer au besoin. Gros changement pour moi, par exemple, il a été décidé d'écrire au présent, comme le fait habituellement ma co-auteur. Mais je ne me fais pas de souci, notre complicité est grande et nous sommes tous les deux intéressés par l'exercice. Alors rendez-vous à la sortie prévue, si tout se passe bien, en mars 2011.

k-libre : Et pour finir, quels sont vos projets actuels ?
D.O.A. : Le roman à quatre mains, avec Dominique Manotti. Mon prochain livre seul, pour lequel je suis encore dans ma phase documentaire et méditative. Peut-être une BD. Quelques pistes cinématographiques plutôt stimulantes. Et plus rien en TV, merci.

k-libre : Des choses à rajouter ?
D.O.A. : Juste quelques remerciements à tous les libraires qui me soutiennent et aux lecteurs qui me suivent. Sans démago aucune, c'est important que vous soyez tous là.


Liens : D.O.A. | L'Honorable société | Le Serpent aux mille coupures Propos recueillis par Christophe Dupuis

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