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Mara en dehors des "Clues"

Jeudi 02 janvier 2014 - Mara est un auteur de bande dessinée pour qui tout baigne. Les albums de sa série "Clues" (trois au rytme d'un tous les deux ans), s'enchainent en même temps que son héroïne, Emily Arderen, s'affranchit des codes victoriens avec malice. Après deux volets chronologiques, en guise de respiration explicative, elle nous embarque dans un "prequel" qui lui tenait particulièrement à cœur. Un long flashback risqué qui se dévore également comme un one shot. Rencontrée à l'occasion du Festival de la bande dessinée d'Angoulême, Mara se livre et se projette. Elle raconte sa technique mais aussi ses envies et son besoin d'évacuer toute contrainte.
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© Frédéric Prilleux



k-libre : Bonjour Mara, vous êtes ici pour "Clues", une série policière, qui en est à son troisième volume. Pouvez-vous nous en présenter rapidement l'intrigue ?
Mara : C'est une bande dessinée dans un Londres victorien, donc à la fin du XIXe siècle, qui raconte l'histoire d'une jeune femme qui, pour retrouver les meurtriers de sa mère, décide d'intégrer la police. Pour cela, elle est obligée de s'allier avec un flic, un homme un peu bourru, un peu Sherlock Holmes, en fait, un peu ce qu'on appelle un héros byronien : très sombre, torturé. À côté, elle est toute fraîche, toute pimpante, très naïve, elle ne connaît rien à la vie. Ils vont s'associer, et ils vont enquêter ; et elle, en parallèle, elle va tout faire pour essayer de retrouver des indices concernant la mort de sa mère qui est arrivée quand elle était petite.

k-libre : À la bas, pourquoi ce choix de l'Angleterre victorienne, à la base ? Est-ce par goût ?
Mara : Oui ! Mes premières amours de lectrice, quand j'avais treize ans, furent avec la découverte de Sherlock Holmes. Tout de suite, ça été un véritable coup de foudre pour cet univers-là. J'ai aussi choisi cette époque car je voulais raconter l'histoire d'une femme à une époque un peu difficile pour les femmes. Je l'ai choisie justement car j'aime bien les contrastes de rapports que ça peut donner. C'est-à-dire que c'est au début, quand les femmes commencent gentiment à pouvoir faire des choses dans la vie, mais elles n'ont pas encore le droit de vote, des choses comme ça, et en fait je voulais avoir une espèce d'approche féministe sans l'être. Il n'y a pas un message féministe, mais mon personnage est féministe - non pas dans les paroles, mais dans les actes. Elle ne se pose pas de question, elle fonce, elle fait ses trucs. J'aimais bien cet aspect-là parce que du coup, cela lui permet de rencontrer des murs, et à cause de ces murs qui sont autant d'obstacles elle va être obligée d'apprendre à les affronter et les contourner.

k-libre : Justement, j'allais vous poser la question. On la voit évoluer sans aller jusqu'à devenir une féministe pure, mais elle fait ce que vous dites, elle agit.
Mara : Oui c'est ça, c'est pas quelqu'un qui va aller militer, mais elle fait ses trucs, elle ne se pose pas la question. En fait, je l'ai construite pour que, que ce soit un homme ou une femme et qu'au final ça revienne au même.

k-libre : Vous situez votre intrigue dans le Londres de Jack l'Éventreur. Quelles sont les difficultés quand on dessine une histoire de ce genre ?
Mara : Il faut quand même faire attention à être bien documentée, et savoir gérer les endroits, les lieux, mais en même temps ce qui est chouette avec ce genre d'ambiance, c'est que l'on imagine toujours la capitale anglaise victorienne assez biscornue, un peu sombre, avec des allées pleines de brouillard, et donc moi j'ai vraiment eu envie de jouer avec tous ces codes-là. J'assume totalement le fait que ce soit vraiment une sorte de Londres fantasmé, un peu comme quand on voit Jean-Pierre Jeunet dans Amélie Poulain qui offre un Paris fantasmé. Parce que les gens aiment ça, parce que moi j'aime ça, et surtout, je n'avais pas envie de tomber dans quelque chose de réaliste, d'historiquement correct. J'avais envie de me laisser une marge, pour pouvoir justement m'amuser avec les codes de l'époque, autant dans le graphisme, notamment des habits, que des bâtiments. Et si on regarde les tenues, on peut s'apercevoir que j'ai fait énormément de recherches pour celles de mes personnages - d'ailleurs, ce qui est marrant, c'est qu'il n'y a aucune tenue qui est exactement pareille. Moi ce que je faisais, c'est que je regardais les catalogues, je les ouvrais, je passais vingt minutes à bien tout détailler, après je les fermais et je faisais des croquis, selon ce que mon imagination et ma mémoire me rendaient. Mais comme je n'ai pas une mémoire photographique, j'ai reproduit parfois des trucs un peu faux ! [Rires.] Mais c'est ce qui donne le charme, c'est ce qui donne de la personnalité, parce que je ne vais pas recopier simplement des choses, parce que mon imagination complète le reste.

k-libre : Vous aviez en tête des héros, des archétypes pour lesquels vous vous disiez "Il ne faut pas que je tombe dedans, il faut que je me méfie " ou au contraire "Tiens je vais faire un petit clin d'œil" ?
Mara : Exactement comme pour les clichés au niveau de l'ambiance et de l'univers, j'ai fait pareil avec les personnages. J'ai énormément joué là-dessus car je savais que mon histoire allait être l'histoire d'un homme et d'une femme, pas forcément amoureux, mais qui allaient avoir une relation. Une relation entre un homme de type très rigide, même dans le profil que j'ai vraiment construit avec beaucoup d'angles, et une jeune femme, qui est tout son contraire, avec quinze-vingt ans de moins que lui, qui est toute fraîche, toute pimpante, et qui est tout en rondeur, pour pouvoir jouer sur ce contraste. On part dans une sorte de buddy movie, si vous voulez, car c'est cet aspect-là qui donne une relation dynamique. C'est ce qu'on appelle en anglais le dynamic duo, qui est souvent repris dans les polars avec par exemple Sherlock Holmes. Sherlock et Watson c'est carrément un dynamic duo !

k-libre: Effectivement, l'autre aspect dynamique, c'est votre dessin qui est assez cartoonesque. Est-ce que ça vient d'une formation que vous avez eue ?
Mara : Non, pas du tout. En fait je suis autodidacte, mais depuis toute petite je suis complètement fan des univers de Walt Disney et de l'animation en général. Je suis fascinée par ce média, mais autant Disney, que Dreamworks, que Fox, que tout ça... À l'époque, je me nourrissais de ça, et puis tous les hivers, mes parents m'offraient des artbooks de Disney, ou d'autres, et je reproduisais les dessins. Donc, j'ai vraiment ce style, parce que j'adore les expressions des visages, la fluidité du mouvement, et une envie de voir le personnage bouger quand on lit ma BD. J'essaie toujours de travailler dans ce sens, quitte à foirer mes proportions. J'ai toujours envie que ce soit dynamique.

k-libre : On le sent bien, au fur et à mesure des albums il y a une progression...
Mara : J'essaie toujours, en fait, parce que je suis très ouverte à la critique. je travaille et fais attention à la perspective. Je tente tout le temps de m'améliorer, et si ça se voit dans les albums... alors tant mieux !

k-libre : Une question sur l'ordre de sortie de l'histoire. On a eu deux volumes qui se suivent, avec un suspense à la fin du deuxième, mais le troisième est un flashback sur le passé de l'inspecteur. Pourquoi l'avoir fait à ce moment-là ?
Mara : Au départ, l'idée ne venait pas de moi. L'idée, c'est que lorsque j'ai commencé ma série, il ne devait y avoir que trois volets. À l'époque, quand j'ai commencé à faire le storyboard du troisième tome, je me suis rendu compte qu'il y aurait énormément de flashbacks, et je me suis dit "C'est pas possible, qu'est-ce que je vais faire ?" Je ne pouvais pas faire un album de 46-pages où il y aurait trente-six pages de flashbacks pour tout expliquer... Mon meilleur ami, toujours à l'époque, qui a toujours eu d'excellentes idées, m'a dit de faire un prequel et que ça valait la peine de raconter toute cette histoire, quitte à broder un peu. Je lui ai rétorqué : "Ouais, ok, d'accord : je fais mon troisième tome, je raconte la fin de l'histoire et puis après j'ai un prequel comme ça les gens qui veulent s'y intéresser peuvent le lire." Et lui de me répondre : "Mais non, tu le fais maintenant !" Il m'a convaincu en me disant que la série du "Parrain" utilisait la même méthode. Le deuxième film est un flashback. J'ai pensé : "Bon, le 'Parrain', c'est tout de même considéré comme quelque chose de bien, donc... C'est un risque, mais si c'est bien fait, pourquoi pas ?"

k-libre : D'ailleurs, si un jour une intégrale se fait parce que ça s'y prête, on peut tout remettre dans l'ordre !
Mara : Oui, ça se pourrait. Je me suis même demandé s'il pourrait être construit pour être lu à n'importe quel moment dans la série. Il y a d'ailleurs des gens qui viennent et qui demandent le tome 1. Le tome 1 n'est pas toujours disponible, alors je leur donne le tome 3. J'en profite pour leur demander s'ils trouvent bien ce tome en tant que one shot, et tous me répondent que oui. D'ailleurs, il y en a qui ont découvert la série comme ça, dans l'ordre 3-1-2. Tout le monde me dit que ça marche très bien comme ça aussi ! Alors c'est parfait et c'est tant mieux ! »

k-libre : Vous êtes en train de travailler sur le quatrième tome. Il sortirait quand ?
Mara : Je pense qu'il sortira d'ici une année parce que j'ai décidé de changer de technique. J'aimerais le faire en couleurs directes, pour avoir quelque chose qui soit vraiment atmosphérique. Je sais qu'il y a des gens pour et des gens contre – mon éditeur est pour –, mais je considère ça comme un challenge personnel. Ça risque de prendre un peu de temps, mais c'est aussi parce que c'est un album que j'ai vraiment envie de mettre en valeur. C'est celui qui m'a demandé le plus de travail au niveau de l'écriture. Il a été à la fois catastrophique et génial à réaliser et à écrire, parce que, vous savez ce qui se passe à la fin du tome 3, et vous imaginez bien qu'il va y avoir une confrontation. Cette confrontation, il ne faut pas que je la rate, car les lecteurs n'attendent qu'elle ! Moi j'ai envie que lorsque je dessinerai cette scène, je me dise : "Si je suis ce personnage, je réagirai comme ça." Ce serait alors un vrai bonheur.

k-libre : vous mettez un peu de vous dans le personnage d'Emily ?
Mara : Je pense que je mets un peu de moi dans tous mes personnages. Ce qui est certain, c'est que de toute façon je joue toutes les scènes dans ma tête au préalable comme si c'était du théâtre. Je m'allonge dans un lit ou dans un canapé. Je me raconte les dialogues. Je me mets à la place de ces personnages. J'ai un petit carnet de notes, et là les répliques fusent. Je n'ai jamais autant de répartie que lorsque je me mets dans la peau de mes personnages, ça me déprime ! [Rires.]

k-libre : Merci Mara !

Envie d'en savoir plus sur la série "Clues" ? La Traversée d'Arderen : Clues de Mara


Liens : Mara Propos recueillis par Frédéric Prilleux

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