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Le Mat, Raja et Max Obione

Vendredi 20 mars 2009 - k-libre aime bien la coopérative Krakoen qui, sous l’impulsion de Max Obione, a fini par s’imposer dans le paysage éditorial comme une maison d’édition audacieuse, risquant là où d’autres campent, osant des veines, des styles, des écritures totalement dédiées au genre. Un collectif d’auteurs tardivement entrés en littérature, constituant une génération moins homogène par l’âge que cohérente par son goût des littératures policières. Sous l’impulsion de Max Obione, disions-nous, mais ce serait oublier que Max Obione est avant tout un auteur lui-même, et quel auteur ! Du pastiche du Poulpe au hard-boiled des milieux de la boxe, un auteur qui déploie un style d’autant plus étonnant qu’il n’hésite jamais à rompre avec lui-même. Krakoen réédite son Jeu du lézard , l’occasion de l’entendre nous parler de ce travail d’écriture si original.
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© D. R.



k-libre : Krakoen réédite Le Jeu du lézard avec un nouveau visuel, pourquoi ?
Max Obione : La première édition étant épuisée, il s’est agi alors, soit de procéder à une réimpression, soit d’envisager une nouvelle édition revue et corrigée. Comme le visuel de la première couverture était trop "hard" (un type hurlant sur fond rouge) et paraissait rebuter les lecteurs, il a été décidé de créer une nouvelle couverture plus en rapport avec l’histoire : une villa isolée dans un village perché de Corse.

On y retrouve Le Mat et Raja, deux personnages récurrents qui vous sont chers. À ce propos, comment vous est venue l’idée de ces personnages ?
J’ai pensé que créer deux personnages aux caractères dissemblables allait donner une dynamique au récit. Rien d’orignal en vérité, on rencontre fréquemment ce genre de duo dans les romans ou le cinéma. Ce sont deux retraités : le premier est un lascar. Le second, au départ, est du genre coincé. Leur amitié est improbable, ils viennent de milieux différents et pourtant ils se vouent l’un à l’autre une indéfectible amitié, comme des raisons de vivre réciproques.

En réfléchissant, ne sont-ils pas les deux faces d’un même personnage ?
Ceux qui me connaissent bien savent que le mythe de Janus est sans doute celui qui m’inspire le plus. Le dédoublement de la personnalité est un grand classique en matière criminelle comme en matière romanesque.

Aviez-vous en tête déjà leurs aventures à venir ?
Non, pour ces deux premiers romans, j’ai joué l’éponge comme tout raconteur d’histoires. Je connais bien la Beauce pour y être né, c’est donc devenu le terrain d’aventures des Vieilles décences, pour Le Jeu du lézard, mon travail en Corse m’avait procuré pas mal de matériaux romanesques. J’ai fait feu du bois dont je disposais. Le troisième en gestation utilisera – si je l’écris un jour – mon expérience du milieu hospitalier.

Lorsque l’on construit des personnages récurrents, est-ce que cela modifie la façon de construire le récit de chacun des épisodes de leurs aventures ? Vont-ils vieillir par exemple, et vous, introduire cette problématique comme un thème propre à la série ?
Les deux romans ne sont pas construits à l’identique. Je ne m’interdis rien. Je n’ai pas de recette en cette matière. Voir vieillir Le Mat et Raja ? Encore faudrait-il que j’aie la moelle d’écrire un nombre important de romans avec ces deux papys récurrents. Donc la réponse est non. D’ailleurs, je ne sais pas aujourd’hui si j’ai vraiment envie de continuer à relater les aventures criminelles de ces deux personnages. Disons qu’ils ne me surprennent plus, que je connais leurs penchants, leurs réactions... Dans ces conditions, la manière d’écrire s’apparente davantage à un travail de bureau, il faut remplir les cases du plan et de l’intrigue, c’est moins drôle que le plaisir d’écrire au fil de la plume ou du clavier, sans savoir où l’histoire vous mène ou quel sera le devenir de tel ou tel personnage nouveau. Le côté démiurge de la création romanesque me passionne trop pour en faire une routine.

Le Mat et Raja, à la retraite, s’ouvrent un sacré champ de liberté. En dehors des clous bien sûr. Non conventionnels, ils récupèrent une partie de l’imaginaire du polar et du roman noir français des années 1950. Pourquoi au juste ? Un travail du négatif qui dévoilerait l’aujourd’hui, au chevet duquel se porterait – quelle ironie - des retraités ?
Banalement, dans nos pays occidentaux, à soixante ans et plus, libéré de beaucoup de contraintes sociales et familiales, la vie commence pour peu que le corps "exulte". Grâce aux progrès médicaux, aux moyens financiers dans le meilleur des cas, la longévité est un fait. Gare à l’inactivité qui porte à l’ennui et la viduité. Il m’apparaît que la vie sociale, telle qu’on l’observe autour de nous, regorge de retraités actifs, très actifs. Mes deux papys, aux caractères "eau et feu", sont des figures d’aujourd’hui.Le moteur des actions qu’ils entreprennent, c’est quand même l’insatisfaction qu’ils ont vécue dans leurs carrières respectives. La procédure pénale avec ses finasseries procédurales et l’appareil judiciaire tatasse ne leur a pas permis de réaliser leur désir de justice. Les gros fumiers courent plus vite que les branleurs qui encombrent les prisons. Si ces papys, "criminels" bonasses, font peur, car un dérapage justicier est vite arrivé, les nettoyages qu’ils entreprennent donnent du baume au cœur. Amoral ? Forcément noir, vous dis-je !

Pourquoi la Corse dans l’horizon de ce polar ? Elle est comme un temps mort – vilaine expression - un temps réouvert plutôt, une pause de lecture, une "profondeur" du récit ménageant une densité d’émotion très forte…
Quand on reprochait à Pagnol son tropisme provençal, il rétorquait que l’universel se trouve partout au pied de sa porte. La tragédie grecque se décalque dans les pièces de Pagnol. Alors, pourquoi la Corse ? Parce que j’y ai vécu quelques années me laissant envahir par cette nature fabuleuse et contraignante, me laissant séduire par des Corses merveilleux ou haïr par des connards sur lesquels on bute plus souvent qu’on souhaiterait, du fait de l’insularité. Le Jeu du lézard contient un point de vue de continental qui a honnêtement voulu saisir ce qui se joue dans cette île, à ma manière. Il y a aussi des choses personnelles touchant à mon enfance, à la pension chez les curés, à la carrière professionnelle qui dévore la vie sentimentale et familiale dès lors que vous n’avez que le travail pour unique horizon vital, il y a aussi la musique de la mort qui approche, la sourde certitude qu’il est trop tard et que le ratage de votre vie vous étouffe, qu’il n’y a que la progéniture et l’art qui conjurent sa propre disparition. Sans compter l’amour... qui peut surgir à tout moment, sans crier gare !

Dans ce roman, comme dans les précédentes aventures de Le Mat et Raja, vous vous laissez aller à des exercices de composition offrant des structures très construites. Le roman est-il pour vous le lieu d’une quête stylistique qu’il faudrait chaque fois renouveler ?
Absolument, le style c’est la vérité en littérature. C’est en tant que romancier que je me définis, je récuse le terme d’auteur et plus encore d’écrivain, je leur trouve un côté abstrait ou prétentiard ; romancier, c’est un métier de passion, pour moi en tout cas. Écrire des histoires avec des platitudes stylistiques n’offre aucun intérêt en ce qui me concerne. Sujet-verbe-complément, avec un adjectif pour le sel ou un adverbe ronflant pour la peur, je laisse la recette aux fabricants utilitaires des pavés formatés à la mode. Na !

Dans Les Vieilles décences, le narrateur était un écrivain débutant. Remarquez que c’est la situation de Proust, dans "La Recherche". Il est en quête d’un style, d’un ton, d’un registre, et l’on voit très bien chez vous comment prolifèrent ces styles et ces registres. Mais pourquoi introduire dans le récit même cette exploration des possibles romanesques ?
Dans les deux romans, l’ancien magistrat est le narrateur, il tient la plume des aventures que vivent les deux compères. Ce sont en premier lieu des romans d’apprentissage au plein sens du terme. On peut y voir des gammes littéraires. En second lieu, on peut considérer que le récit s’enrichit des divers angles d’approche et de regard. Le Mat possède un langage propre que Raja retranscrit méticuleusement. Cela donne une couleur, une vitalité au récit.

Votre goût de la littérature paraît aller à rebours d’un certain ton français, volontiers consommé dans l’autofiction. Vous, malgré les ruptures signalées, vous maintenez fièrement, presque d’une manière militante, l’exigence du récit. Un manifeste ?
Un romancier romance, son utilité sociale et culturelle est de raconter des histoires, celles de son temps ; son ambition principale est de distraire sans démagogie, si en plus le substrat sociologique forme un décor signifiant et si les problèmes de société affleurent sans être chiants, bingo ! Les codes du genre noir balisent l’exercice et ces garde-fous me satisfont, le "moijisme" psychologisant me déplaît, la fiction a besoin d’être ancrée dans l’expérience vécue et le réel social, quitte à jouer de la transgression du genre. Il ne s’agit pas d’écrire un tract. Dans Les Vieilles décences, j’évoque le danger des OGM. Et mes papys flingueurs résolvent la question à l’explosif… Au moins c’est clair !

Mais votre écriture ne s’y enferme pas. Ne s’y résout pas ? Elle dénote une sorte de romanesque néo-picaresque, un romanesque de la transgression. Toute proportion gardée, cela me rappelle Gombrowicz, qui refusait de se laisser enfermer dans une forme romanesque. Vous également ?
Ressasser la forme qu’on aurait arrêtée une bonne fois pour toute, en gros, quand bien même l’histoire diffère, écrire la même chose avec les mêmes outils, quel ennui ! J’aime me coltiner la forme et le style, je peux bosser quinze jours sur une phrase pour obtenir la meilleure musique, le bon rythme, le signifiant qui me parait enfin imparable. La structure narrative adaptée au récit, la modalité temporelle de l’action, la vérité comportementale des personnages, l’amalgame du tout, voilà ce qui me branche, sinon je n’écrirai pas. À soixante-cinq balais je n’ai plus le temps de m’ennuyer.

On devine aussi, au cœur de votre préoccupation littéraire, le souci de repenser l’aujourd’hui du monde à nouveaux frais. Et ce qui me frappe avec les Krakoen, c’est qu’on a affaire à une génération d’écrivains entrés "tardivement" en littérature - attention, cela n’a rien de péjoratif, au contraire ! Une génération qui invente, défriche, innove et qui, loin d’être usée, a quelque chose à nous dire de fondamentalement neuf… Rien de voulu, de programmé, semble-t-il, mais que l’on voit s’affirmer publication après publication. Est-ce une dimension éditoriale dont vous êtes conscient ?
C’est une grande ambition que vous nous prêtez quand vous évoquez "une dimension éditoriale". Cette prise de conscience ne peut venir que d’un regard extérieur. La tonalité du catalogue vient de la liberté qu’on s’est accordée pour accueillir des écritures non formatées, voire inclassables. Comment cela est-il arrivé ? C’est une affaire de tempéraments, de personnalités qui se sont rencontrées au sein de Krakoen. La formule coopérative s’y prête, d’autre part, on n’a pas de compte à rendre à des actionnaires âpres au gain. L’âge ne clive pas l’expression, il y a un temps pour tout, d’aucuns démarrent une carrière très tôt, d’autres sont plus lents à la détente. Joseph Bialot a commencé à publier à cinquante-cinq ans, comme moi. De jeunes romanciers tardifs ! Et comme, du fait de l’âge, le temps nous est davantage compté, la graphomanie peut nous saisir. De plus, on n'a rien à prouver pour occuper le devant de la scène, on fonce en toute liberté, imprégnés de notre passé, de nos vies, de nos lectures… et tant mieux s’il apparaît que nos "écritures" apportent du plaisir au plus grand nombre. La reconnaissance, c’est la cerise. L’important, c’est de croire en ce qu’on écrit sans se prendre la tête sur la réception attendue d’un lectorat qu’on ne connaît pas. La notion d’œuvre m’est étrangère, pour l’instant ma passion est intacte… "pourvou que ça doure !". Longtemps !


Liens : Max Obione | Les Vieilles décences | Le Jeu du lézard Propos recueillis par Joël Jégouzo

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