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Je suis toujours étonnée de constater que les difficultés rencontrées dans une enquête sur un véritable meurtre sont proches de celles qui consistent à imaginer une enquête fictive. Curieusement, la manière dont je réfléchis et fonctionne dans les deux cas est extrêmement similaire. Je suppose que la partie de mon cerveau qui trouve les réponses dont j'ai besoin dans mes livres est la même que celle à laquelle je fais appel pour résoudre une affaire réelle.
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mardi 19 mars

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Dieu, Thirion, John et Yoko...

Jeudi 07 mai 2009 - Jan Thirion est un auteur singulier. L'un de ces auteurs qui n'entrent pas, comme le disent, mine pincée, nombre d'éditeurs à la remorque de publications sans histoire, dans les lignes éditoriales convenues. Moins original par dessein semble-t-il, que par nécessité. Auteur "Krakoen" par excellence donc, il nous livre ici quelques réflexions sur l'art de commettre ses romans.
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© D. R.



k-libre : À chaque nouveau Thirion, on se pose la question : qu’est-ce qu’il va nous sortir cette fois ? Tout l’univers change, le ton, le sujet... Tout est chaque fois renouvelé. Entièrement. Pourquoi ?
Jan Thirion : Le besoin de varier sûrement, de ne pas se cantonner aux mêmes histoires, de ne pas se coltiner les mêmes personnages. Et puis c’est ça la littérature, créer, se renouveler, franchir des seuils qu’auparavant on ne pensait pas pouvoir atteindre.

Au point qu’on en finit par se demander : c’est bien son style, le sien à lui, bien en propre, mais tout de même, d’où lui vient pareille inspiration ? Qui, parmi ses "Maîtres", l’a-t-il pareillement dévié du cours ordinaire des littératures molles ?
J’aime bien lire forcément et je puise beaucoup de choses dans mes lectures, mais la plus intéressante, c’est d’être original autant que les romans que je choisis de lire. Je ne vois pas l’intérêt pour moi d’écrire quelque chose qui existe déjà. Certains livres me restent en mémoire, tels L’Homme-dé de Luke Rhinehart ou Le Démon de Hubert Selby Jr.

Dans John et Yoko sont dans un hosto, c’est tout l’univers des années soixante qui ressurgit. Le personnel de l’œuvre lui-même prend nom et corps dans cette galaxie. Pourquoi ce livre ? Pourquoi ce choix ?
À l’origine, il y a un projet autobiographique, à savoir revenir à la fin des années soixante, non pas par nostalgie, mais en finir avec le passé en le balançant définitivement aux oubliettes. Je ne suis pas un fan des modes rétro. Entendre les chansons anciennes me met mal à l’aise. Mais en même temps, leurs interprètes, qu’ils soient morts ou vivants, sont désormais des fantômes de cette époque. Voilà pourquoi je les ai tous convoqués pour une dernière ronde dans cet hôpital mental.

L’effet est immédiat, déroutant, plaisant aussi. À ce propos : où s’enracine le plaisir de l’écrivain, là ?
C’est ludique pour l’auteur. Retravailler le passé avec fantaisie, c’est comme faire du tuning. Il en ressort quelque chose d’étrange, plein de bruits, plein de couleurs et, au final, je suis moi-même abasourdi du résultat.

L’intrigue passe au second rang. Voire le récit lui-même : la forme prend le pas sur la fond, encore que... Justement, il y a cet "encore que" sur lequel je vous demande des précisions : comment ça se "calcule" un tel "encore que" ?
L’intrigue passe au second rang ? On me dit souvent ça à propos de mes romans. Et pourtant, je soigne mes intrigues, je n’aime pas partir en vrille et mon objectif est de toujours surprendre le lecteur. Le fond est donc essentiel, certes, mais la manière, c’est d’abord se distinguer, et se distinguer c’est exister.

On songe aux danses macabres du Moyen Âge, revisitées par un esprit fantasque, une sorte de danse de morts mexicaine, avec une vitalité incroyable. C’est exactement ce fil pour moi, du Bergman parfois, dans cette manière de configurer la narration pour la subsumer sous le narratif.
Ces comparaisons sont intéressantes. Danses macabres et joyeuses à la fois, c’est exactement le projet de ce roman où les chansons accompagnent des événements tantôt tristes et sinistres, tantôt féériques et fantomatiques.

La dédicace demande quelques éclaircissements...
La dédicace à Raymond Poincaré   C’est le nom de l’hôpital qui sert de cadre au récit. C’est donc une dédicace à toutes les personnes, patients et personnel, de l’hôpital à l’époque.

Jean explore ses souffrances dans les interludes. C’est tout de même une tragédie intense, poignante. Non ? La vôtre ?
Jean ? Vous voulez dire John. Mais c’est vrai, John, Jean, Jan, les noms se superposent et il s’agit bien d’expérience personnelle.

Difficile de grandir. Pour la société elle-même au fond, de passer de l’immaturité des années soixante à cette triste maturité des années postérieures. Pensez-vous que tous les comptes soient réglés ?
Pour grandir il faut brûler ce qu’on a été. Croire que les années soixante étaient mieux est un leurre. Quant à notre société actuelle, elle apporte chaque jour la démonstration que l’être humain perd de sa valeur et ça, c’est terrifiant.

Avec Dieu veille Toulouse, on est dans un tout autre univers. Pourquoi cet univers pour Toulouse ?
J’habite Toulouse. On est plus à l’aise pour faire évoluer une intrigue sur un territoire connu. Et puis Toulouse alimente la rubrique des faits divers par des grosses affaires ces dernières années. Il y a quelque chose dans l’air qui fait de la ville un petit enfer sur Terre.

Le personnel de l’œuvre cette fois est en partie importé des évangiles...
Dieu est un nom propre que bien des gens portent. J’ai pensé qu’il irait bien à un policier qui doute, qui voit beaucoup de choses, mais qui ne peut forcément agir au moment où il faudrait. Comme le Dieu auquel on pense, il n’est pas la solution aux problèmes des hommes.

Les armes du crime sont à se tordre. Leur manque de sérieux recouvre-t-il une sorte de manifeste ?
Les armes du crime devaient coller à la personnalité du ou des assassin(s). Pour ce genre d’activité, on prend ce qu’on a sous la main. Après, c’est à l’auteur d’imaginer ce qu’il peut leur mettre sous la main. Là encore, il y a un malin plaisir à se démarquer de ce qui se fait ailleurs.

Vous étiez un auteur "Krakoen". Vous le restez ?
Je reste un auteur "Krakoen". Je n’ai proposé John et Yoko sont dans un hosto à aucun autre éditeur. J’espère recommencer l’année prochaine avec un autre roman inclassable.

Quid de cette expérience Krakoen ?
Krakoen est un collectif d’auteurs mené de main de maître par Max Obione. Petite sur le papier, c’est une grande maison d’édition qui présente des réalisations sérieuses, mais qui ose surtout publier des ouvrages atypiques qui vont surprendre et qui peuvent plaire au public. Le but demeurant le plaisir du lecteur. Personnellement, Krakoen m’a redonné du cœur à l’ouvrage et m’a permis de m’exprimer comme je l’entendais.

Comment voyez-vous du reste se construire – si elle se construit -, une sorte de génération Krakoen ?
Le modèle Krakoen est une bonne formule pour des auteurs sérieux, mais évincés des grandes maisons parce que ne rentrant pas dans des schémas vendeurs ou n’ayant pas de notoriété.


Liens : Jan Thirion | Dieu veille Toulouse | John et Yoko sont dans un hosto Propos recueillis par Joël Jégouzo

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