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De Polar Sud à Actes noirs

Mardi 03 juin 2008 - Les éditions Actes Sud sont nées voici trente ans. Afin d'en savoir plus sur l'histoire de cette maison prestigieuse, je partais en Arles au mois de juin pour y rencontrer Hubert Nyssen, leur fondateur, qui, pour me raconter la germination d'Actes Sud, m'emmena au fin fond du Sahara algérien à la fin des années 60, et Bertrand Py, l'actuel directeur éditorial qui, lui, m'expliqua en détail le fonctionnement actuel de la "machine" Actes Sud - une grosse entité éditoriale ressemblant davantage à un rhizome qu'à un gratte-ciel. Posé, soucieux de n'être jamais ambigu ni évasif, il pesa avec soin ses propos et ne quitta le terrain des généralités que le temps d'une seule digression de quelque ampleur. Elle concernait la genèse de la collection "Actes noirs" - une pépite qu'il m'a permis d'extraire et de polir tout exprès pour k-libre...
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© D. R.



k-libre : En 2006 a été créée la collection "Actes noirs". Pourquoi une telle initiative alors même que sont nombreuses les maisons spécialisées en littérature noire et que les éditeurs dits généralistes ont presque tous leur collection de polars ?
Bertrand Py : Ma fonction de directeur éditorial peut me conduire, quand j'en éprouve la nécessité, ou l'envie raisonnée, à créer une collection touchant à un domaine particulier, comme la littérature noire. Je songeais à ce projet depuis quelques années : nous avions déjà une collection noire, dont le nom était "Polar Sud" et dont le catalogue comptait une quinzaine de titres, mais elle était en totale désuétude car personne ne s'en occupait vraiment. Je n'étais pas satisfait de cette collection dormante, d'autant que son intitulé ne m'a jamais entièrement convaincu non plus... Voici trois ou quatre ans m'est apparue l'idée simple que l'on pouvait adopter pour la littérature noire ce même principe d'observation et de prospection qui est le nôtre pour la littérature générale : il ne devait pas être si compliqué que cela de glaner chaque année quelques bons polars à travers le monde qui n'auraient pas été accaparés par d'autres maisons - fussent-elles spécialisées comme Rivages, par exemple - à condition d'explorer des littératures en marge des domaines linguistiques habituellement fréquentés, c'est-à-dire pour l'essentiel le domaine anglo-saxon. En sollicitant tous les éditeurs qui, chez Actes Sud, sont en charge d'un domaine particulier - turc, japonais, hispanique... - je me disais que, chacun de leur côté, ils pourraient repérer des textes intéressants pour la future collection. Une collection à laquelle j'avais trouvé un nom : c'était une évidence pour moi qu'elle devrait s'appeler "Actes noirs".
J'avais pensé dans un premier temps me borner à ménager une extension au petit département "Babel noir" que nous avions récemment ouvert à l'intérieur de la collection "Babel" et qui comptait presque exclusivement des auteurs francophones. Mais j'ai vite réalisé que sortir des livres directement en format de poche ne me permettrait sans doute pas d'amortir les avances sur droits et les coûts de traduction ; pour maintenir un équilibre financier satisfaisant, il fallait produire ces éditions originales en grand format, c'est-à-dire fabriquer des ouvrages dont le prix de vente tournerait autour de vingt euros plutôt que de six euros.
Le projet "Actes noirs" prenait forme peu à peu - restait à trouver la personne compétente qui allait savoir dénicher les bons livres... Le premier à qui j'ai songé est Alberto Manguel [auteur, entre autres, d'Une histoire de la lecture et du Journal d'un lecteur, publiés chez Actes Sud - NdR.] Je le savais passionné de polars et nous avons plusieurs fois évoqué le projet - c'était, je crois, en 2003. Puis j'ai finalement confié la direction d'Actes noirs à Marc de Gouvernain [éditeur chargé de plusieurs collections Actes Sud dont "Antipodes", "Aventures"... Il est aussi traducteur - NdR] C'est un ami avec qui j'ai plaisir à travailler depuis une trentaine d'années. Je le sais homme de découvertes, éditeur de talent... je savais en outre qu'il connaît très bien la littérature scandinave et qu'il lit l'anglais couramment - de plus, je me suis souvenu qu'il y a près de six ans il m’avait alerté sur l’excellence d’un roman noir de Carl Hiaasen qu'il venait de lire en anglais et qui, depuis, a été publié en français chez Denoël - c'était, je crois, Mal de chien. Il était donc amateur de polar. Cela ne faisait plus aucun doute : c'était lui qui devait diriger Actes noirs. Peu après que je lui eus officiellement confié les rênes de la future collection - ce devait être en octobre 2004 - il partait pour Francfort, où il se promettait de faire quelques repérages. C'est là qu'il a entendu parler pour la première fois d'une vague trilogie appelée Millenium... Comme il devait se rendre en Scandinavie quelque temps plus tard pour un voyage d’éditeur il a pris rendez-vous avec Agneta Markös, la responsable des droits étrangers de Norstedts [la maison suédoise qui publie Stieg Larsson - NdR] qui lui a raconté l'incroyable succès de Millenium. Il est revenu avec le premier tome de la trilogie et le manuscrit du second - le troisième était alors en cours d'écriture. Le lundi qui a suivi son retour, nous adressions à Norstedts nos premières propositions pour l'achat des droits français de l'ensemble de la trilogie.
Voilà comment nous nous sommes trouvés à inaugurer "Actes noirs" quelque neuf mois plus tard avec d'une part le premier volume de Millenium, et d'autre part un roman de l'écrivain mexicain Garcia-Roza, Bon anniversaire, Gabriel ! destiné d'abord au domaine hispanophone dirigé par Alzira Martins - où ont été publiés ses romans précédents - mais dont la tonalité résolument noire l'inscrivait, de fait, au catalogue des tout jeunes Actes noirs...

Les livres "Actes noirs" ont une maquette très facilement réparable. Était-elle déjà au point avant que vous disposiez des premiers titres ?
Je savais que les livres devraient porter l'empreinte Actes Sud en termes de fabrication - qualité du papier, typographie, reliure... Mais je savais aussi qu'ils devraient se distinguer des ouvrages de littérature générale et afficher leur spécificité - quand on crée une collection, il est important de la rendre vite repérable, ce à quoi on parvient d'une part en publiant d'entrée plusieurs titres et d'autre part en optant pour une maquette de couverture qui attire l'œil et par laquelle les livres se détachent des autres. Avec les deux premiers romans que nous allions publier, j'ai tout de suite été confronté à un problème de taille : Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes était un livre énorme tandis que celui de Garcia Roza, lui, était d'ampleur beaucoup plus modeste. J'ai donc d'emblée décidé que les volumes de la collection pourraient se décliner en deux formats de façon à éviter de réduire à l'état de plaquette les textes les plus courts ou, inversement, de transformer en pavé peu maniable les romans plus denses, comme ceux qui composent la trilogie Millenium. S'il est primordial, quand on fait de l'édition, d'avoir des constantes de présentation, des lignes de force qui permettent le bon repérage des livres et facilitent ainsi leur réception, on s'aperçoit, aussi, qu'il faut conserver un minimum de souplesse pour pouvoir s'adapter aux imprévus, notamment quand on détermine un format.
En ce qui concerne la couverture, il était évident pour moi qu'elle devrait être noire. Mais qu'elle devrait immédiatement capter le regard. Il me semblait que travailler sur les seuls contrastes ne suffisait pas ; j'ai donc décidé qu'il y aurait un entour - c'est une loi bien connue en peinture: quand on trace un cadre autour d'un motif, on capte la lumière et le regard est automatiquement guidé vers ce motif. J'ai voulu que cet entour soit rouge, bien sûr pour me démarquer du cadre jaune de la célèbre "Série noire" de chez Gallimard mais je voulais aussi qu'il le rappelle, qu'il fonctionne comme un écho lointain et soit un hommage à la fameuse collection. De plus, nous avons longuement travaillé avec la graphiste Silvia Alterio pour définir l'épaisseur de ce cadre afin qu'il se distingue bien de celui de la "Série noire" d'origine. Je suis particulièrement heureux du résultat : ce liseré rouge change radicalement la perception que l'on a de la couverture ; enlevez-le, et elle devient invisible...
Voilà : "Actes noirs" démarrait sous de bons auspices. Et cela continue : Marc de Gouvernain fait un travail remarquable et, au-delà du phénoménal succès de Millenium, la collection est désormais bien repérée, tant en librairie qu'auprès des critiques.

Avez-vous fixé un nombre moyen de titres à publier chaque année dans cette collection ?
Non. Pas plus qu'en matière de format je n'ai voulu créer trop de contraintes. Cela se pose plutôt en termes de fourchette : l'on peut aller de quatre à douze nouveautés dans une année, cela dépend des circonstances, de ce que l'on nous propose, de ce qui est prêt pour la publication, etc. Il était important de publier plusieurs titres assez vite au début afin d'attirer l'attention sur "Actes noirs" mais, maintenant que la collection est bien repérée - et qu'on lui reconnaît ces mêmes qualités d'exigence qui fondent la réputation d'Actes Sud - il devient essentiel de bien valoriser le fonds et de ne pas inonder sans cesse les libraires de nouveautés. Et puis je ne souhaite pas mettre particulièrement l'accent sur ce secteur éditorial ; je pense donc qu'un rythme moyen de six à huit nouveaux titres par an est suffisant pour assurer la vitalité de la collection.

Comment se présente le proche avenir d'"Actes noirs" ?
Pour tout vous dire il y a, au projet tel que je l'avais imaginé, une "phase 2" qui sera réalisée d'ici à la fin de l'année 2008 : elle consiste à ouvrir Babel noir - qui ne comprend, je le rappelle, que des auteurs francophones - aux auteurs étrangers en rééditant les titres d'"Actes noirs" en format de poche. Tous les titres ne seront pas forcément repris en poche, mais nous nous réservons la possibilité d'aller récupérer des titres étrangers parus chez d'autres éditeurs afin d'étoffer la collection. Avec ce développement de Babel noir, qui sera initié dès novembre prochain, et enfin avec l’ouverture d’Actes noirs à des textes inédits français (sous la direction de Nelly Bernard qui dirige déjà Babel noir) l'entièreté de ce que j'envisageais pour la collection de littérature noire aura été mis en place.

Avez-vous repris le fonds "Polar sud" ? Envisagez-vous de rééditer ces titres avec le nouvel habillage "Actes noirs" ?
Non car "Actes noirs" ne publie que des inédits. Si des titres doivent être repris, ils le seront éventuellement en Babel noir mais, entre nous, le catalogue "Polar Sud" ne comporte que peu d'ouvrages vraiment remarquables en dehors de l'excellent roman de Patrick Delperdange, Coup de froid, qui est d'ailleurs déjà paru en Babel noir. Il y a aussi deux ou trois romans signés Dan Kavanagh - le pseudonyme de Julian Barnes, l'auteur du Perroquet de Flaubert - qui sont passionnants et dont le héros récurrent, un enquêteur hypocondriaque, bisexuel... est tout à fait étonnant ; je serais très heureux de les rééditer en Babel noir...


Comme pour saluer à l'avance ce futur coup de fouet donné à la collection "Babel noir", la SGDL attribuait en juin le prix Paul Féval de littérature populaire à Hécatombe-les-bains, d'Alain Wagneur. Un cadeau de plus qui venait enrichir la corbeille d'anniversaire de la belle trentenaire qu'est Actes Sud...


Propos recueillis par Isabelle Roche

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