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Au début de l'année 1958, l'insubordination d'une police parisienne tentée de se faire justice pour pallier la supposée faiblesse des moyens légaux de répression et désireuse de faire pression sur un pouvoir politique dont elle menaçait de se détourner, ne fut pas seulement une parenthèse.
Emmanuel Blanchard - La Police parisienne et les Algériens (1944-1962)
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On a cuisiné McDonald

Jeudi 02 décembre 2010 - Craig McDonald vient de publier en France Rhapsodie en noir. Un personnage fort, Hector Lassiter que l'on avait déjà vu dans La Tête de Pancho Villa, un sens de l'intrigue bien maîtrisé, des voyages à travers le monde... L'occasion pour nous de l'interroger sur sa fascination pour Hemingway, les années 1950 et ses relations avec le monde de l'écriture et le 7e Art.
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© D. R.



k-libre : Votre héros, Hector Lassiter est un auteur de polar réputé pour vivre ce qu'il écrit et écrire ce qu'il vit. On ne peut s'empêcher de vous imaginer à siroter des mojitos dans des endroits plus ou moins louches, un flingue sous la table et une jolie fille à votre bras... Quels sont les liens entre l'écriture et votre propre vie ?
Craig McDonald : Certainement pas dans les mêmes proportions que chez Hector, mais il y a un certain parallélisme. J'ai aussi savouré plus d'un mojito, bien que la tequila reste mon poison préféré. Ce qui m'inquiète, c'est que plus j'écris sur Hector, plus je remarque que nous nous rapprochons d'une façon déconcertante. J'en arrivais à environ la moitié de Rhapsodie en noir lorsque j'ai réalisé que Hector et moi n'étions plus aussi éloignés qu'à l'époque de La  Tête de Pancho Villa. Lorsque ensuite, j'arrivais à la fin de la série, je me surprenais à agir ou parler à la façon d'Hector et, pour être franc, je ne crois pas qu'il m'ait vraiment abandonné. Je crois pouvoir invoquer Hector dans certaines circonstances... Pour le meilleur ou pour le pire.

k-libre : Hemingway apparaît dans La  Tête de Pancho Villa et Rhapsodie en noir. D'où vous vient cette fascination ?
Craig McDonald : Pour les auteurs masculins d'un certain âge, Hemingway est LE plus grand modèle — un idéal littéraire, mais aussi un avertissement, comme peut l'être Elvis pour les musiciens. Hemingway fut influencé et a contribué à façonner la plupart des mouvements-clé artistiques du XXe siècle : il a grandi avec le modernisme, continuant dans le post-modernisme et, dans ses œuvres posthumes, s'essayant à la méta-fiction. À travers Hector et Hemingway, j'avais aussi envie d'explorer une certaine notion de la masculinité qui a quasiment disparu. Et pour ça, quoi de mieux qu'envoyer Hector se frotter au plus macho des auteurs machos ? La série consacrée à Lassiter tient sur huit romans — tous écrits et prêts à l'usage — et les quatre premiers servent de mini-série autour de la série, centrée sur Hemingway.

k-libre : Les années 1950 exercent également une vraie fascination pour vous ?
Craig McDonald : J'aime cette période et ai tendance à m'y identifier, ce qui vient sans doute de James Ellroy, une influence majeure. J'aime également l'esthétique des années 1950 : la mode, la musique, et surtout et avant tout, les grandes voitures américaines classiques telles que la Bel Air de 1957. Par bien des façons, les années 1950 sont gravées dans l'imaginaire américain, puisque c'est la dernière bonne période de l'histoire. À partir de 1961, tout devient sanglant et angoissant... un point de vue qui, je crois, se reflète dans le choix des parties de La Tête de Pancho Villa : les années 1950 sont "la terre du rêve et de l'espoir", les années 1960 "la terre de la peur et de l'angoisse" et les années 1970 "les terres arides".

k-libre : La Tête de Pancho Villa se passe entre le Mexique et les États-Unis. Rhapsodie en noir, entre Key West, Madrid, Hollywood et Cuba. C'est un réel besoin de déplacer vos personnages ? Envisageriez-vous une histoire qui se déroulerait dans un lieu unique ?
Craig McDonald : Les critiques américains ont tendance à catégoriser les auteurs selon des critères territoriaux qui ne sont que des raccourcis paresseux pour certains styles d'écriture. Je ne suis jamais rentré dans aucune de ces catégories, puisque je n'ai jamais limité mon univers littéraire par des frontières géographiques. Lorsque j'ai conçu Hector, je voyais en lui un errant, un nomade, afin de pouvoir l'enrichir de références historiques et culturelles plus étendues. Cela dit, le quatrième roman se passe presque exclusivement dans une ville européenne et se déroule sur une période très surveillée de sept jours. Le roman suivant, lui, a pour décor exclusif Key West, en Floride. La suite occupe plus d'espace géographique à la façon des deux premiers.

k-libre : Cette interview étant destinée aux Français, on notera un très court passage de Lassiter à Paris, dans Rhapsodie en noir. Peut-on espérer que la France offre des épisodes plus longs dans le cadre de l'un de vos prochains livres ?
Craig McDonald : Oh, oui, et très bientôt. Le troisième épisode comprend des retours en arrière dans le Paris des années 1920 et comprend un "chapitre perdu" de Paris est une fête d'Hemingway, ou Hector et Hemingway se retrouvent ensemble à Paris un matin de Noël. Le quatrième roman, One true sentence [pas encore traduit en français - NdR], se passe entièrement à Paris en février 1924. C'est un peu Paris est une fête réinventé en roman noir. Un autre épisode plus tardif, qui se situe durant la Seconde Guerre mondiale, se déroule en France occupée... de Lyon à Paris.

k-libre : Les deux histoires se mêlent, s'imbriquent l'une dans l'autre. Est-ce qu'en écrivant l'une vous aviez déjà une idée précise en tête ou avez-vous ressenti le besoin de combler certaines périodes méconnues de la vie de votre personnage ?
Craig McDonald : De la façon dont je l'ai conçue, la série comprendrait huit romans qui, une fois assemblés, formeraient un tableau plus vaste et nous donnerait un portrait de personnages de fiction criminelle de façon plus complète et approfondie que, je pense, la majorité des séries policières. J'ai aussi écrit les huit épisodes dos à dos, et ai eu le luxe (et parfois le malheur) de réviser les huit tomes plus ou moins en même temps... Afin de les relier entre eux pour obtenir un résultat plus dense. Les épisodes sont censés se parler entre eux, et comme la plupart d'entre eux s'étendent sur des dizaines d'années, on peut faire un retour sur les précédents pour voir comment les événements d'un roman s'imbriquent dans ceux des autres. Les personnages aussi changent, vieillissent et, dans le cas particulier d'Hemingway, se détériorent lentement au fur et à mesure que la série progresse.

k-libre : Lassiter a un regard assez précis sur l'écriture des scénarios au cinéma. Il intervient d'ailleurs à plusieurs reprises pour donner un coup de main à des cinéastes en panne, mais on sent bien qu'il entretient un rapport très particulier avec ce monde-là. Quels sont vos rapports avec le 7e Art ?
Craig McDonald : Pour l'instant, elle est inexistante. Lorsqu'on a annoncé la parution de La Tête de Pancho Villa, il y a eu tout un bourdonnement d'activité, divers témoignages d'intérêts et des moments-clé lorsque telle ou telle vedette ou leur boîte de production envisageait de prendre une option. À un moment donné, même une boîte française s'est dite intéressée. Au cas où ça intéresserait quelqu'un, j'ai encore sous la main une adaptation en scénario de La Tête de Pancho Villa... Pour l'instant, un autre scénario de ma plume est adapté en bande dessinée. Cette version éveillera peut-être un nouvel intérêt de la part du cinéma. D'une certaine façon, les albums de BD sont quasiment des storyboards de films.

k-libre : On sent dans vos livres une vraie réflexion sur l'écriture. Les personnages d'auteurs y sont des personnages très forts et assez différents les uns des autres. Que ce soit Lassiter, Hemingway, Bud Fiske, le jeune journaliste de La Tête de Pancho Villa ou encore le critique littéraire hargneux de Rhapsodie en noir. C'est une vraie préoccupation pour vous d'essayer de connaître la place de la littérature dans la société et cette espèce de hiérarchie selon les genres littéraires ?
Craig McDonald : Absolument. De livre en livre, je cherche à remettre l'artiste dans son environnement et son contexte social. Le critique et historien des "pulps", Woody Haut, a écrit des chroniques assez fouillées des romans sur Lassiter et de la façon dont ils traquent l'évolution de l'écriture littéraire ou populaire tout au long du XXe siècle. Et chez nous, aux États-Unis, le combat continue entre littérature et "mauvais genres" qui entraîne les auteurs, les critiques et les lecteurs dans une guerre culturelle non déclarée, à plusieurs fronts, sur les vertus et les limites de l'écriture littéraire contre le roman de genre. Étant donné ce que j'ai écrit sur le personnage de Lassiter et l'évolution de son rôle en tant qu'auteur — dans cet épisode situé à Paris dans les années 1920 que j'ai cité, on voit Hector passer d'aspirant romancier littéraire à écrivain de polars — eh bien, Lassiter et moi sommes des porteurs de drapeaux dans ce conflit.

k-libre : Dans Rhapsodie en noir, les peintre surréalistes sont pour une partie d'entre eux des pervers sadiques. Pourquoi vous êtes-vous attaché particulièrement sur ce courant pictural ? J'imagine qu'il ne s'agit pas uniquement de raisons liées à la chronologie de l'histoire de l'art...
Craig McDonald : Rhapsodie en noir fut inspiré en partie par des documents arguant de façon convaincante d'un lien entre l'art surréaliste, et peut-être les artistes eux-mêmes, et le meurtre assorti de mutilations d'Elizabeth Short en 1947 à Los Angeles — mieux connu sous le nom de "Dahlia Noir". L'art surréaliste est plus ou moins ouvertement bourré de thèmes et d'imagerie misogyne, et beaucoup, beaucoup de surréalistes étaient profondément misogynes. Deux ou trois étaient connus pour leur haine des femmes et ont parfois fait usage de violences physiques avérées. Le livre reflète cette réalité. Les scènes de fiestas dans Rhapsodie en noir sont inspirées de descriptions de telles soirées comme on en trouve dans de nombreux mémoires ou biographies. Caligula se serait senti chez lui dans une réception de surréalistes.

k-libre : Enfin, Hector Lassiter se lève très tôt le matin pour écrire. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos habitudes à vous ?
Craig McDonald : Les habitudes d'Hector étaient les miennes pendant que j'écrivais la série. Je me levais tôt avant de partir au travail pour écrire deux heures. Le soir, j'écrivais encore quelques heures et continuais la nuit. J'étais alors — et suis toujours — journaliste à plein temps, si bien qu'il s'agissait de caler autant de temps que possible pour écrire et, comme Hector, il m'arrivait d'abattre cinquante à soixante mille signes en une séance, généralement le matin. Mais ces temps-ci, je suis plus du soir.

Propos aimablement traduits par Thomas Bauduret


Liens : Craig McDonald | Rhapsodie en noir | La Tête de Pancho Villa Propos recueillis par Gilles Marchand

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