Marie Vaillant : Histoire tragique d'une infanticide en Bretagne

Mon mari s'est évadé de prison il y a douze jours. Cette nuit, je suis incapable de dormir. J'observe le jeu des ombres et des lumières sur les rideaux, couchée dans un lit pliant dont je sens les ressorts à travers la galette qui me sert de matelas.
Rachel Caine - L'Ombre de l'assassin
Couverture du livre coup de coeur

Coup de coeur

Éclipse totale
Harry Hole a été exclus de la police, ce qui ne l'empêche pas de couler des jours heureux, bouteille ...
... En savoir plus

Identifiez-vous

Inscription
Mot de passe perdu ?

jeudi 25 avril

Contenu

Essai - Noir

Marie Vaillant : Histoire tragique d'une infanticide en Bretagne

Assassinat - Faits divers MAJ mercredi 25 mai 2011

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 18 €

Annick Tillier
Paris : Larousse, avril 2011
192 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-03-584593-1
Coll. "L'Histoire comme un roman"

L'ancêtre du bébé congelé

C'est l'une des six cents affaires d'infanticide jugées devant les cours d'assises des cinq départements bretons entre 1825 et 1865. Marie Vaillant, jeune domestique de vingt-quatre ans, a accouché en secret d'un enfant qu'elle tue et qu'elle dissimule dans son armoire, avant de le ranger dans sa malle mise au grenier. Son noble patron, intrigué par l'odeur de putréfaction, fait ouvrir la malle. Sous le petit cadavre, on en découvrira un deuxième momifié par le temps...

Annick Tillier est docteur en histoire et conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France. Spécialiste de l'histoire des femmes dans la société du XIXe siècle, elle a publié Des criminelles au village : femmes infanticides en Bretagne, 1825-1865 aux Presses universitaires de Rennes en 2001 et des études comme La Ménopause sous le regard des médecins des XVIIIe et XIXe siècle et L'Indigence et la décrépitude des hospices de Bicêtre et de la Salpêtrière dans la première moitié du XIXesiècle.
Le concept éditorial de Larousse pour sa collection "L'Histoire comme un roman" et sous la direction des universitaires Jean-Yves Le Naour et Claude Quérel, permet à des universitaires de signer des livres de "vulgarisation intelligente", découpés en courts chapitres titrés, sans notes en bas de page mais pourvus d'une importante bibliographie et couvrant de nombreux domaines. La socio-politique du crime y est très représentée avec les affaires Papin, Caillaux, Bruay-en-Artois, Gunness, Rosenberg, Ravaillac, Capone, Bobigny et Salengro.
Ici, Annick Tillier nous propose un parcours exemplaire : celui d'une fille pauvre de Josselin (Morbihan), née en 1840 qui va, à force de travail et de soumission, grimper les échelons de la hiérarchie domestique citadine, mieux payée et considérée que celle des campagnes, en passant de Josselin, à Rennes, puis à Nantes avant d'être arrêtée à Guéméné-Penfao (Loire-Inférieure actuellement Loire-Atlantique). L'auteur retrace le périple bien que les témoignages sur sa vie avant et après le procès soient rares voire inexistants. Marie Vaillant était une fille trop "ordinaire" pour déchaîner les passions et, d'ailleurs, "l'infanticide fait rarement la une des journaux, à moins qu'il ait été commis avec une particulière cruauté" nous apprend Annick Tillier avant de citer Célestine Fiévet, domestique à Solre-le-Château dans le Nord, décapitée dans sa commune en 1834 sous les huées de la populace pour avoir "fait disparaître dix nouveaux-nés, plusieurs ayant été retrouvés momifiés dans sa paillasse". Marie Vaillant ne subira pas un tel sort, mais sera condamnée à douze ans de travaux forcés. D'abord incarcérée à Vannes, elle sera, suite à l'incendie de la prison, transférée à Rennes.
Outre le fait de glisser de larges extraits de témoignages recueillis au sein du dossier d'instruction, et ceci dans tout le corps de l'ouvrage, Annick Tillier est une adepte de la lecture transversale qui nous fait découvrir des domaines annexes à l'affaire et dont Marie Vaillant va s'avérer être un "fil rouge" efficace. Ainsi de la décrépitude de Josselin dont les tisserands ne sont plus performants et les voies de communications obsolètes, poussant un pourcentage important de la population (dont la famille Vaillant) dans la misère. La puissance de l'Église au sein de la communauté avec la gestion de l'éducation et de l'aide aux pauvres ainsi que l'organisation du fameux pèlerinage où les Aboyeuses (des femmes en transe portées devant Notre-Dame-du-Roncier) perpétuent une tradition archaïque. Les foires à domestiques, les agences de placements, les droits qui se mettent en place, la vie dans les maisons, le passé négrier de Nantes, les paysages vus du train... Autant de points de vue passionnants d'une société passant peu à peu à l'industrialisation.
Annick Tillier dresse aussi le portrait des employeurs de Marie : les Anglais de Rennes, le directeur du Théâtre Graslin à Nantes et sa gestion calamiteuse, le jeune comte Charles du Bois de Maquillé, son dernier patron qui découvre le crime. Le plus étonnant étant celui de Claudine Rault, sage-femme de la Manche dans le chapitre intitulé "Faire disparaître le fruit de son inconduite". On y apprend que les "tours" pour abandonner les enfants anonymement dans les orphelinats se raréfiant, la Manche en gardait exceptionnellement quatre. Les enfants devant être abandonnés par des personnes "assermentées", certaines sage-femmes en faisaient commerce moyennant finance (près d'un an de salaire de domestique) et publiaient des annonces dans les départements moins pourvus en promettant la plus grande discrétion. Marie Vaillant contacta donc Claudine Rault mais accoucha trop tôt. Une stupéfiante affaire de faux accouchement d'une femme stérile montée par Claudine Rault est aussi racontée par le menu.
Annick Tillier a réussi là un ouvrage passionnant par son foisonnement autour d'un thème douloureux. Sous une couverture sobre à la photographie ancienne, parfaite dans son propos, voilà une enquête dont la multiplicité des points de vue sociologiques, judiciaires, politiques, historiques et géographiques ne peut que combler le lecteur.

Citation

Les femmes enceintes essaient tout d'abord de mettre fin à leur grossesse par des décoctions de plantes réputées abortives, comme la sabine, la rue, l'armoise ou l'absinthe.

Rédacteur: Michel Amelin lundi 23 mai 2011
partager : Publier dans Facebook ! | Publier dans
MySpace ! |

Pied de page