Too Much Future : Le punk en République Démocratique Allemande

Le pistolet se trouve sous le bureau, à quelques mètres du macchabée. Sauf tour de passe-passe, je ne vois pas comment il a atterri là.
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jeudi 28 mars

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Essai - Noir

Too Much Future : Le punk en République Démocratique Allemande

Historique - Musique MAJ mardi 05 juillet 2011

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Public averti

Prix: 15 €

Michael Boehlke & Henryk Gericke
SUBstitut - 2005
Traduit de l'allemand par Nelly Fourment
Paris : Allia, septembre 2010
190 p. ; illustrations en noir & blanc ; 22 x 18 cm
ISBN 978-2-84485-367-7

Punks en RDA : mur du son et rideau de fer

Alors qu'on commémore les cinquante ans de la construction du Mur de Berlin, retour sur l'un des derniers grands mouvements d'avant-garde qui défia le régime est-allemand dans les années 1980 : les punks. Oui, encore eux. Ou comment le "No Future" a tenté de contrecarrer les logiques de programmation des êtres et de leurs existences... À la lumière d'un document renversant, Too Much Future, publié chez Allia.

En gros, si on n'a jamais été punk en RDA, on n'a jamais été punk. C'est un peu la morale de ce riche, passionnant et très politique ouvrage qui compile des témoignages d'ex-activistes de la scène underground, de Berlin-Est à Dresde, en passant par Leipzig. On y découvre une vague punk radicale et jusqu'au-boutiste, ne visant finalement qu'un but : s'affranchir du modèle unique et totalitaire de la "personnalité socialiste", dans un contexte d'oppression.
Le punk y fut une sorte d'ultime sursaut, d'exutoire et d'énergie créatrice à un moment où le régime était à bout de souffle et qu'il trouvait de moins en moins d'appuis et de force pour lutter contre les dissidents. Il développa d'ailleurs une agressivité stupéfiante envers les punks, le nombre de mesures judiciaires dirigées contre ces derniers étant démesurément élevé, plus important que celles visant des opposants politiques "classiques". "Atteinte à la morale socialiste", "dénigrement de l'État", voire "asociabilité" : c'étaient les délits les plus fréquents retenus contre les punks, dans ces années 1979-1985.
L'un des auteurs du livre, Michael Boehlke, a d'ailleurs été, à la suite de ses frasques, incorporé dans une unité disciplinaire de l'armée. Boehlke, c'est le destin d'une révolte qui commence à l'école, parce qu'il était gaucher. Début de la marginalité, alors que son avenir est écrit. Sans doute piloter des machines. "C'est comme ça que l'avenir devient un présent perpétuel. Une vie tracée, programmée, les mouvements de jeunesse, servir l'armée populaire nationale, et puis la formation universelle de la personnalité socialiste et un poste qui menait tout droit à la retraite, couronné, à l'âge de 65 ans par une permission exceptionnelle de voyager à l'Ouest...", écrit-il. Un jour, il tombe sur des photos de punks londoniens sur Kings Road : "La beauté et le danger s'entrechoquaient : ce fut le coup de foudre." Il adore immédiatement le punk, que les autorités est-allemandes qualifient alors de "mouvement de contestation décadent voué à l'échec, puisque ne reposant pas sur la doctrine marxiste-léniniste". Le mouvement est apparu en 1979, et presque disparu en 1984 - avant de renaître plus tard -, parce que jamais commercialisé, parce qu'on jouait son avenir en étant punk et qu'on pouvait compromettre sa famille. En effet, les punks sont constamment surveillés par la Stasi et ses indics – les fameux "IM" : 175 000 dans toute la RDA - largement infiltrés parmi eux. Ils sont souvent arrêtés et tabassés, étant considérés comme des éléments "ennemis négatifs". Le livre évoque des figures légendaires, Major, Colonel, Locke... Ils entendent surtout se démarquer des "bluesers" et dire tout leur dégoût des balades rock qui passent alors à la radio ; ils se retrouvent dans des clubs de jeunesse, où les bastons sont fréquentes, où l'on dévalise les punks plus riches, ceux qui possédaient de vrais cuirs et de vrais badges. Le look "à la Sid Vicious" est le plus répandu... Parmi les groupes, Planlos, Vitamin A, Antitrott, Paranoïa, Alternative 13, Rosa Extra, L'Attentat, Chaos (où le dénommé Pfft est chargé de la batterie, de la perceuse, et de la tronçonneuse électrique...). Certaines anecdotes sont savoureuses, comme ce jour où les flics débarquent en plein concert et qu'une épaisse fumée et une odeur pestilentielle envahissent alors la salle, permettant à tous de s'enfuir : l'un des punks a vomi dans le poêle à charbon... Pour organiser un festival, on fait croire qu'on marie une sœur ; on échange, avec les punks de l'Ouest, flyers et enregistrements de contrebande, dans l'espoir d'être diffusés dans les salles mythiques de Londres. Enfin, on se croise dans les grands festivals "inter-médias", où se côtoient musiciens, plasticiens et peintres d'avant-garde, souvent interdits.
Le mouvement prend des allures d'épopée remarquable quand, dès 1981, les punks sont soutenus par les églises luthériennes, entrées en résistance. Ce sont alors les rares endroits où ils peuvent se produire en concerts, comme dans l'Église de Pfingst ou celle de Sion, à Berlin-Est - où des concerts de solidarité sont organisés quand des punks sont arrêtés -, là où vont commencer les "prières pour la paix", moments-clés de la contestation qui aboutira à la chute du Mur en décembre 1989.
Là où les punks occidentaux, marqués par les gauchismes, dénigraient le citoyen-consommateur et les travers du capitalisme, les punks de l'Est dénonçaient le manque de liberté et l'avenir programmé. Tous se rejoignaient dans la conjugaison d'un esprit No Future, et un penchant pour le logo anarchiste. Différence de taille en RDA : les concerts étaient clandestins, il n'était pas question pour les groupes d'enregistrer un disque, et aucun gamin ne pouvait décemment rêver de devenir une rock-star. À la fin, certains constatent que la moitié de leurs cercles d'amis a disparu, enrôlés pour le service militaire, emprisonnés, exilés, voire enfermés en asile psychiatrique... Bref, une histoire époustouflante, on le répète, et un livre passionnant, qui ne devrait pas séduire que les amateurs de punk-rock.

Citation

C'est comme ça que l'avenir devient un présent perpétuel. Une vie tracée, programmée, les mouvements de jeunesse, servir l'armée populaire nationale, et puis la formation universelle de la personnalité socialiste et un poste qui menait tout droit à la retraite, couronné, à l'âge de 65 ans par une permission exceptionnelle de voyager à l'Ouest...

Rédacteur: Cédric Fabre mardi 05 juillet 2011
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