Un pays à l'aube

Nous ne savons pas si nous sommes éveillés ou endormis. Lumières, films, musique... tout ça, c'est un sortilège qui maintient le peuple dans un profond sommeil. Qui va nous réveiller ?
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Roman - Noir

Un pays à l'aube

Politique - Historique - Social MAJ jeudi 22 janvier 2009

Il était une fois l'Amérique

Inutile de gloser sur les qualités littéraires de Dennis Lehane. Ses romans précédents parlent pour lui. D'Un dernier verre avant la guerre jusqu'au recueil Coronado, en passant par Mystic River ou Gone, Baby, Gone, le célèbre auteur américain a prouvé, par un travail chaque fois approfondi, sa capacité à transporter le lecteur dans les noirceurs de l'âme humaine et dans les méandres d'une société américaine qui cache plus d'un cadavre dans ses placards. Dennis Lehanne, avec Un pays à l'aube, nous touche encore une fois, nous met de nouveau face à la brutalité inhérente à l'être humain, mais il ne se contente pas de cela et donne à son roman la dimension qui fait d'un texte un classique, un incontournable. En effet, Dennis Lehane prend de l'altitude, et s'il opère un retour en arrière pour nous conter un épisode de l'Histoire américaine – le roman se déroule sur les années 1918 et 1919 sur fond de grève policière à Boston – c'est pour mieux regarder l'Amérique d'aujourd'hui, tant les problèmes qui lui sont posés demeurent les mêmes.
On retrouve ainsi dans ce roman une classe laborieuse en lutte saignée par les financiers, maintenue à la frange du rêve américain, comme Luther, jeune ouvrier noir, et son amie Lila demeurent à la frange du quartier blanc, dans le quartier noir juste de l'autre côté de la voie ferrée, à Tulsa, cette ville sortie de terre grâce à l'exploitation pétrolière, ce symbole de la jeune Amérique prospère, que Dennis Lehane confronte à Boston, la ville historique, celle des premiers immigrants et de la Tea party de 1773, premier acte d'émancipation de la nation américaine. Autre grand thème de ce roman, la peur de l'autre, de la différence, de l'étranger qui vient fragiliser l'équilibre du pays et de son fameux rêve, qui vient mettre en danger les membres de cette nation en construction, les terroriser. Car si jusque-là l'Amérique s'était concentrée sur elle-même, sur la conquête de l'Ouest, sur la construction du pays, la Première Guerre mondiale l'a forcée à se tourner vers le monde. Cette terre n'était plus l'endroit retiré du monde où tous les rêves étaient possibles, elle faisait dorénavant partie du monde et participait, comme les autres nations, à ses avancées et à ses échecs dont le plus retentissant jusqu'alors était en train de prendre fin.
Comment dès lors ne pas faire le parallèle avec l'Amérique, et même le monde, d'aujourd'hui, marqués par le traumatisme des attentats de 2001 où pour la première fois l'ennemi opérait sur le territoire des États-Unis ? Comment ne pas voir dans l'image de cette société en route vers la crise de 1929, celle de la nôtre ? Et que penser de cette société où même ceux qui ont la charge d'assurer l'ordre sont poussés à le contester ?

C'est parce qu'il aborde ces thèmes, et d'autres plus intimes à travers l'histoire de Danny Coughlin, policier et personnage central de ce récit, qu'Un pays à l'aube est un travail ambitieux, qui apparaît comme étant bien plus qu'un roman noir. C'est l'histoire de la naissance d'une nation qui nous est racontée ici. Un pays à l'aube fait de Dennis Lehane un auteur incontournable du paysage littéraire américain. Mais n'était-ce pas déjà le cas ?


On en parle : Au bord du noir n°11 |Alibis n°30 |La Tête en noir n°141 |La Tête en noir n°137 |L'Ours polar n°50 |La Vache qui lit n°132

Nominations :
Prix des Limbes pourpres 2009
Prix Mystère du Meilleur roman étranger 2010
Prix Nouvel Obs BibliObs du roman noir étranger 2009

Citation

Face à une telle réalité, un homme avait le choix entre se rebeller contre ledit système et crever de faim, ou en jouer avec suffisamment d'habileté pour qu'aucune de ces injustice ne s'applique à lui.

Rédacteur: Jean-Claude Lalumière mercredi 21 janvier 2009
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