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Roman - Policier

Bordeaux-Vintimille

Enquête littéraire - Assassinat - Faits divers MAJ vendredi 11 janvier 2013

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Inédit

Tout public

Prix: 12,1 €

Jean-Baptiste Harang
Paris : Grasset, janvier 2013
140 p. ; 19 x 12 cm
ISBN 978-2-246-78571-2
Coll. "Ceci n'est pas un fait divers"

Le train de 22 h 27

"Au moment des faits et des procès, j'étais correspondant régional de Libération à Toulouse d'où j'en ai rendu compte dans de nombreux articles" commente l'auteur dans sa note finale. "Ce livre est un récit, plus qu'un roman." Pourtant c'est le terme "roman" qui est inscrit sur la couverture de ce court texte inédit (ce qui doit expliquer son prix assez élevé de douze euros, pour un semi-poche) paru sous la célèbre couverture jaune avec une jaquette classique. Il appartient à une collection où des auteurs s'emparent de faits divers pour nourrir leur fiction. Simon Liberati est, par exemple, parti de l'accident tragique de Jayne Mansfield pour son titre Jayne Mansfield 1967. En détaillant les archives, en scrutant à la loupe les documents photographiques, il dissèque la chronologie et les résultats de l'accident avant de monter une chronologie à rebours qui permet de rendre compte de l'état déglingué de la star dans ses ultimes shows. Jacques Chessex, quant à lui, se serait basé sur une histoire véritable de nécrophile pour écrire Le Vampire de Ropraz. Il a tellement bien réussi que son Charles-Augustin Favez apparaît à beaucoup comme ayant réellement existé. Quant à Élise Fontenaille avec Les Disparues de Vancouver, elle s'intéresse aux victimes et à leur triste vie qui finira sous les coups de Robert Pickton, ce serial-killer canadien qui assassina des dizaines de prostituées dans son abattoir.

Pour sa part, Jean-Baptiste Harang, reste très prudent vis-à-vis de la novelisation (et il a raison). "C'est à partir de ces textes (pour Libération) que j'ai composé le récit, prenant le risque d'en reproduire les approximations, et m'autorisant à citer ce qui s'y trouvait entre guillemets. Seuls les noms des personnes ont été changés." Il retrace donc l'ultime voyage, dans la nuit du 13 au 14 novembre 1983, de Rachid Abdou (en fait il s'appelait Habib Grimzi), venu d'Oran jusqu'à Bordeaux voir sa correspondante et repartant vers Marseille pour prendre un bateau qui le ramènera chez lui. Dans le train, il sera attaqué par trois garçons qui viennent de signer un pré-engagement pour la légion et qui sont saouls. Réfugié au fond de la voiture, le visage en sang, le jeune homme terrorisé ne voulant pas remonter le train avec un contrôleur, préférera se faire enfermer en queue entre deux voitures. Mais les futurs légionnaires, revenant à l'attaque après les remontrances du contrôleur, le tabasseront de nouveau et le jetteront par la portière. Cette triste histoire est restée dans les mémoires comme l'un des pires actes racistes de notre époque. L'auteur dresse les portraits et suit les trajectoires de chacun jusqu'à la rencontre fatale. Sans tomber dans le pathos, ni dans la dénonciation, il essaie de rester dans une position d'observateur ce qui conduit à une écriture fluide où les (rares) témoins prennent la parole et où il se met lui-même en scène parmi les journalistes (en disant "nous") lors de la reconstitution avec les deux voitures immobilisées à l'endroit même où le jeune est mort, puis lors des procès. En filigrane de l'histoire, il nous fait prendre conscience du courant raciste et de la peur des témoins qui étaient pourtant près de cent lors des exactions des aspirants légionnaires. Le comble du cynisme étant atteint par le légionnaire caporal-chef qui les accompagnait jusqu'à Aubagne, qui les avait sous sa responsabilité, et qui ne fit rien pour sauver le garçon. On sera reconnaissant aussi à Jean-Baptiste Harang de dire la vérité sur une lettre de témoin qui a tout vu du filet à bagage où il dormait, lors de la dernière attaque et qui s'épancha sur sa lâcheté dans la (célèbre) rubrique "courrier" de Libération. Tout était inventé par un indigné de l'affaire, ce qui prouve combien les réactions à chaud trop vite publiées peuvent s'avérer faussées voire carrément fausses.

En conclusion, voilà un roman qui n'en est pas un et qui est tout à fait dans l'air du temps de notre littérature (nombriliste) fortement teintée d'autofiction. Mais il échappe à cette tendance par l'ancienne implication physique de l'auteur en tant que témoin journaliste. Contrairement au courant de Laurent Binet, par exemple, il se garde de se mettre en scène par un "je" narrateur. Alors que les années sont passées, il pourrait se permettre un discours plus distancé mais non, c'est un œil de journaliste qui est privilégié, mais un œil qui voit tout, le passé, le présent et le futur, et qui nous fait toucher du doigt l'existence même de ces pitoyables personnages qui sont avant tout des personnes.

Citation

On ne sait pas combien parmi les quatre-vingt-quinze se sont esbignés à Toulouse sans demander leur reste, mais il en restait assez pour qu'on relève leur identité, recueille leur témoignage, et assez de forces de l'ordre pour le faire. Non, on a laissé repartir le train, avec les deux voitures de la scène du crime, horaire oblige.

Rédacteur: Michel Amelin dimanche 16 décembre 2012
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