À perpétuité : relégués au bagne de Guyane

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Essai - Policier

À perpétuité : relégués au bagne de Guyane

Politique - Historique - Social - Prison MAJ mardi 25 novembre 2014

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19 €

Jean-Lucien Sanchez
Préface de Marc Renneville
Paris : Vendémiaire, septembre 2013
380 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-36358-065-8
Coll. "Chroniques"

La République esclavagiste...

Cayenne, c'est fini... Le bagne a disparu du Code Pénal français, mais il y a moins d'un siècle seulement ! Et encore, moins au terme d'une réflexion humanitaire qu'à l'occasion d'une prestation d'Humphrey Bogart au cinéma, incarnant un personnage roué de coups qui émut l'Amérique et sensibilisa l'opinion au sort réservé aux bagnards. Une mémoire curieusement connotée donc et volontiers oublieuse du caractère honteux pris par les derniers bagnes dont il est question dans cet essai splendide. Bagnes qui étaient coloniaux. Et coloniaux non seulement parce qu'on y envoyait massivement les musulmans que la colonisation de l'Algérie révoltait, mais aussi par le fait que ces bagnes étaient conçus comme des colonies de peuplement. On y envoyait donc les sujets que la République française refusait de considérer comme ses citoyens bien qu'ils le fussent, algériens, vagabonds, petits délinquants et opposants politiques - comme les communards qui y arrivèrent en masse. La déportation aura ainsi permis de se débarrasser de la frange politique la plus à gauche de la Métropole, et d'y régler à peu de frais la question sociale.
L'essai, en tout point remarquable, présente une formidable vision d'ensemble sur la relégation en Guyane, de 1885 au rapatriement des derniers libérés, par l'Armée du Salut, en... 1953 ! Avec cette stupéfaction de découvrir que dans les bagnes français, le taux de mortalité était équivalent à celui des camps de concentration nazis... L'arbitraire le plus effarant y régnait, les Lois de la République ne s'y appliquant plus, sans qu'aucun élu ne s'en émeuve. Une souillure de plus à inscrire au compte des prétendues valeurs de la République française. Et il n'est pas inintéressant d'observer qu'au fond les raisons étaient les mêmes que celles qui président à la décision politique contemporaine : électoralistes, flattant ce qu'il y a de plus exécrable non dans dieu sait quel fonds d'horreur populiste, mais bel et bien dans l'autorité politique et les classes dominantes. L'idée était celle d'une régulation sociale à peu de frais. À l'origine du bagne, Pierre Waldeck-Rousseau et Léon Gambetta. Le premier, alors Ministre de l'Intérieur, pour n'avoir pas à avouer l'échec du système judiciaire français, envoya en masse les "récidivistes" en Guyane. Le second mena campagne sur le thème après avoir pris soin de faire circuler dans la population des pétitions, complaisamment relayées par la presse bourgeoise, des études psychiatriques et de criminologie, exigeant une plus grande sévérité et davantage de sécurité dans les villes. L'exil était demandé dès la troisième condamnation. Et quelle condamnation : quatre-vingts pour cent des déportés de Guyane relevaient de la correctionnelle ! Qui pour un bout de pain, qui pour vagabondage... Seul Georges Clemenceau osa dénoncer cette situation, aux côtés des catholiques : c'était une manière odieuse de régler la question sociale. Mais pour les socialistes d'alors, déjà pourrait-on dire, "une loi de sauvegarde républicaine"... Il fallait préserver le corps social national, et avant cela, l'épurer. La relégation devint à leurs yeux un préalable à toute réforme sociale de la société. Les colonies pénitentiaires, telle la Guyane, se muèrent ainsi en soupapes sociales de la Métropole. Pourquoi la Guyane ? Parce que la colonie, réputée pauvre, n'intéressait pas les migrants volontaires. Comment la défricher, l'exploiter, la développer ? La France, bousculée par l'industrialisation et l'explosion d'un sous-prolétariat urbain pourvut donc à ce déficit. L'esclavage aboli (1848), on le réintroduisit hypocritement. Les bagnards étaient nos nouveaux esclaves, dont le Conseil Général de Guyane négociait âprement le coût auprès de l'administration pénitentiaire ! Un vrai marché d'hommes envoyés mourir dans ces lointains marécages, qualifiés à l'époque par un inspecteur des colonies (juin 1887), de vrais "camps de la mort".

Citation

Produit d'une misère sociale, le récidiviste en devient la cause. Il fait office de bouc émissaire.

Rédacteur: Joël Jégouzo jeudi 20 novembre 2014
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