Passés par la case prison

Y'a pas : faut que je m'arrache. Surtout à un début de polar. C'est vital. J'en sais qui partent déjà. Qui disent : 'Oh, bon, s'il débloque d'emblée, qu'est-ce ça va être par la suite, quand il vadrouillera dans le gras.' Coûte que coûte, je dois m'interrompre la délirade, débander de l'envolée, que je pantèle dans la bonne action facile à suivre, péripétique, un peu foutreuse, juste la limite.
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vendredi 29 mars

Contenu

Essai - Policier

Passés par la case prison

Prison MAJ mardi 30 juin 2015

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 17 €

L'attente démolie

Huit anciens détenus racontent leur histoire. Deux photographes, des militants de l'Observatoire International des Prisons, huit écrivains les rencontrent, les écoutent et surtout dialoguent. Huit trajectoires banales – les délinquants nous ressemblent plus qu'on ne l'imagine. Huit vies brisées, frappées d'une double peine tant l'empreinte de la prison se fait prégnante, des années encore après l'avoir quittée. Huit témoins d'une société absurde, cruelle, vaine, qui, alors que la délinquance n'a cessé de diminuer en France depuis vingt ans, laisse croître vertigineusement les incarcérations. La plupart du temps pour des délits mineurs. La prison est-elle un lieu d'expiation ? Certainement, avec la souffrance jusqu'à plus soif ! Lieu immonde que ces prisons françaises épinglées année après année par l'UE, sans qu'aucune volonté politique ne se manifeste pour mettre fin à cette privation calculée de tous les droits humains, même les plus élémentaires, qui y est la règle. On le voit bien à lire ces témoignages, cette perte totale de l'intimité par exemple, qui grève la dignité des taulards et contamine la probité des mâtons.

Car la prison salie tout, et tout le monde autour d'elle. Outre l'attente absolue dans laquelle elle vous plonge, si irrésolue qu'elle referme par avance tout "après", c'est à la misère, la maladie, le suicide qu'elle ouvre. Véronique H. en témoigne, condamnée pour alcoolisme, les yeux battus quand elle reçoit Pierre Lemaître chez elle, dans cet univers de pauvreté tyrannique qu'elle a pourtant réussi à arracher à plus sordide encore : la rue. Le poêle à bois chuinte ses mauvaises cendres à côté d'eux, tandis que Véronique H. tente, en vain, de rassembler ses souvenirs : elle oublie tout. Toujours. Ne reste bientôt pour meubler ses silences qu'une bouteille d'orangeade posée sur la vieille toile cirée qui les sépare et quelques mots qu'elle peine à prononcer. Son dossier ? Il est vide. Pierre Lemaître l'a étudié. Rien. Pas même un accident, une menace pour autrui. Rien, sinon la misère, le chômage et la récidive : dans son cas, elle a cédé à la tentation de boire de trop pour oublier la vie qu'on lui a faite. Le juge a statué en deux minutes. Écrasant d'un coup de marteau leste le commis d'office chargé de (si peu) la défendre.

En prison, on envoie les pauvres (INSEE). Les SDF aussi désormais, les personnes fragiles, les précaires, les chômeurs. La prison française est devenue un immense asile de pauvres, tout comme une sorte d'hospice pour malades mentaux : plus de vingt pour cent des taulards y sont affectés de ces troubles que l'on soignait autrefois dans des hôpitaux. C'est ça la réalité de la prison française. 5,7 % de prisonniers pour homicides. 21,4 % de prévenus attendant leur jugement, 86,8 % de personnes relevant de la correctionnelle. Au total, en janvier 2015, 77 291 individus sous écrou, alors qu'on n'en comptait que 48 594 il y a douze ans... Une immense majorité de courtes peines, alors que toutes les études, dans le monde entier, ont montré que les courtes peines désocialisaient, brisaient à tout jamais, poussaient à la récidive. Mais non, nos politiques continuent de tenir le discours du laxisme de la Justice française, qui de son côté envoie en prison sans discernement tout ce qui passe sous sa main, à l'exception des crapules de la finance et ceux de la classe politique.

Entre 2000 et 2014, les peines inférieures à un an de prison ont été multipliées par deux ! Et dans le même temps, la délinquance ne cessait de décroître... Un véritable choix politique que cette répression aveugle qui frappe les classes populaires. "Matière de l'Humain", énonce Philippe Claudel, parlant de Christophe L., usé, dégraissé, raboté. Au couteau. La gueule cassée comme en 1914-1918. La prison a tout aspiré, ne reste, comme il l'écrit, qu'un être d'occasion. Peu glorieux, ce gâchis national. La prison aggrave les facteurs de délinquance recensés. Toutes les études, dans le monde entier, le démontrent, mais les politiques s'en fichent : ils soignent l'électorat d'extrême droite qui réclame toujours plus de sévérité. La prison met en réseau, vous octroie une identité de sous-citoyen dont vous ne pourrez plus sortir, mais la société s'en fiche. Des études ont montré que la courbe de la délinquance s'infléchissait après trente ans. Mais l'âge moyen des prisonniers français est de trente et un ans.

On aurait pu traiter autrement toute cette jeunesse jetée dans les bras de la récidive. Mais non. Des études ont prouvé que deux facteurs étaient essentiels à l'abandon de la délinquance : l'installation dans une vie à deux et l'obtention d'un emploi stable. Mais d'emplois stables, la société française ne veut plus en proposer. Ils en subissent de plein fouet les conséquences. Et cela se voit : les photos de Dorothy-Shoes et Philippe Castetbon laissent transpirer toute cette souffrance, tout ce gâchis, superbes, terribles, le commencement d'une terreur dont le nom est une infamie nationale.

Citation

L'idée, c'est d'avoir du mépris pour le crime, non pour les gens.

Rédacteur: Joël Jégouzo mardi 19 mai 2015
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