Le Mystère Caravage

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jeudi 18 avril

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Roman - Thriller

Le Mystère Caravage

Historique - Vengeance - Artistique MAJ mardi 02 novembre 2021

Note accordée au livre: 3 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22 €

Peter Dempf
Das Vermächtnis des Caravaggio - 2020
Postface de Peter Dempf
Traduit de l'allemand par Joël Falcoz
Paris : Le Cherche midi, octobre 2021
592 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-7491-6614-8
Coll. "Thriller"

In vino pictura

Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610), dit "Le Caravage", compte parmi ces artistes qui fascinent parce qu'à leurs œuvres bien présentes, puissantes et marquant de leur sceau l'histoire de l'art correspond, comme en écho inversé, une existence noyée dans les brumes dont on n'entrevoit que d'infimes bribes. "Alors que les personnages peints par Caravage semblent vivre sous nos yeux, sa propre personnalité reste dans l'ombre" écrit à son sujet Sebastian Schütze*. Plus de supputations et d'hypothèses que de certitudes, pas de documents autographes, aucun écrit où l'artiste aurait exposé, tel Léonard de Vinci, sinon des théories du moins sa conception de la peinture, très peu de témoignages directs... Autant de lacunes documentaires qui mettent à la peine le chercheur... et sont pain bénit pour un auteur exploitant la veine du roman historique.

Et Le Mystère Caravage est un roman historique, de ceux qui mêlent adroitement l'Histoire réelle – disons plutôt l'Histoire documentée – à la fiction. Dans sa postface, précédée d'une citation d'Alain Robbe-Grillet énonçant une définition de la liberté du romancier, Peter Dempf pose en peu de mots les limites de l'espace fictionnel qu'il s'est assigné avant de donner une chronologie succincte de la vie du Caravage – "afin d'aider le lecteur à faire la distinction entre fiction et réalité", écrit-il. La liberté du romancier s'est donc arrêtée là où l'historicité prouvée commence. Cette historicité prouvée étant extrêmement réduite concernant Caravaggio, Peter Dempf disposait là d'une aire de jeu conséquente. Le titre, qui semble référer à cette existence toute en zones d'ombres, laisserait attendre une biographie où la fiction viendrait combler les lacunes. Il n'en est rien : le roman ne couvre que les cinq dernières années de la vie du peintre. D'ailleurs, le titre original évoque davantage le legs de Caravaggio (Das Vermächtnis des Caravaggio) que le mystère dont est empreinte sa vie.

Rome, 1605. Le pape Clément VIII agonise. Le Vatican vit au rythme des menées cardinalices qui s'accélèrent autour de la couche du mourant. Camillo Borghese ronge son frein : il a hâte de ceindre la tiare pontificale – car il ne doute pas d'être élu à l'issue du prochain conclave. Auprès de lui, son neveu Scipione intrigue, pour servir les desseins de son oncle mais surtout pour assurer sa propre influence. Par le biais, notamment, de ses goûts artistiques qui le portent à apprécier beaucoup les toiles de Michele Merisi da Carvaggio, protégé par de grandes familles romaines et travaillant à de nombreuses commandes mais dont les représentations religieuses suscitent force polémiques. Et que dire de ses modèles : des prostituées, de petites gens... même un cadavre lorsqu'il s'agit de peindre la mort de la Vierge. Sans compter son inclination pour le vin. L'engouement pour ses toiles au réalisme cru cesse de lui sauver la mise lorsqu'il blesse à mort son adversaire au cours d'un duel – il doit alors fuir Rome et, jusqu'à sa mort cinq ans plus tard, il sera en exil permanent. À Naples, à Malte, en Sicile... et partout dès qu'il fait halte il peint comme un forcené entre ivresses abyssales et cavales rocambolesques. À ses côtés Nerina, son apprentie qui veille sur lui envers et contre tout, le soigne, va le quérir au fond des tavernes, assure sa subsistance, le protège comme elle peut de ses tourmenteurs et l'accompagne indéfectiblement, jusqu'au tout dernier moment. Les talonnant telles les funestes Erynnies : un "prêtre roux", le père Léonardus, et un mystérieux frère hospitalier. Mais aussi Enrico, le secrétaire de Ferdinando Gonzaga, un bien précieux auxiliaire...

En quatre "livres" Peter Dempf compose un roman prenant, qui attache le lecteur au sort des personnages et au contexte complexe qui les baigne. Entretissé d'enjeux politiques, de luttes d'influence, de nodosités diplomatiques, l'on en saisit néanmoins tous les méandres, grâce notamment aux dialogues extrêmement vivants par le truchement desquels en sont exposés les éléments essentiels. Pas un chapitre qui ne laisse "pendu à la falaise" ; des ellipses et des retours en arrière savamment organisés : la construction est minutieusement planifiée. Le rythme, les couleurs du récit nuées avec soin selon les circonstances – scènes de rue, d'atelier, de couloirs et de boudoirs où s'ourdissent les manigances, fuites, poursuites, altercations, entrevues plus ou moins clandestines, pauses sentimentales où se parcourt la carte de Tendre... – sont admirablement modulés, servis par des descriptions précises sans être bavardes. L'auteur témoigne d'une grande maîtrise de la narration et l'on est porté par l'histoire qu'il donne à lire. Porté, voire emporté... mais point ému.

À aucun moment on ne se sent en empathie fusionnelle avec les personnages : leurs sentiments, leurs émotions sont largement décrits mais rien n'en parvient aux tréfonds du lecteur – on lit sans être traversé. Les accès de violence ou de fièvre créatrice de Caravaggio, les frayeurs et angoisses de Nerina, fussent-ils à leur paroxysme, ne touchent pas – comme si les descriptions atteignaient l'intellection mais pas la "corde sensible". Sans doute parce qu'en dehors des dialogues on ne voit nulle part apparaître le "je" qui ouvrirait sur telle ou telle intériorité. Invariablement le narrateur anonyme-omniscient garde la main, et demeure maître des "je" comme du jeu romanesque. S'il est indéniable qu'ici ou là un point de vue particulier est adopté – notamment celui de Nerina, d'Enrico ou de Scipione Borghese – le récit ne se départit jamais de cette objectivité que lui confère la houlette du narrateur anonyme. Une guidance distanciée doublée d'une écriture trop lisse, qui ne décoche aucune de ces fulgurances stylistiques qui, par les mots seuls, envoûtent... et l'on obtient un roman au suspense tenu, narrativement irréprochable, mais auquel l'âme reste extérieure. Je le quitte sans en garder d'autre trace qu'une curiosité affûtée pour un peintre dont je ne savais que le nom – et de cela Peter Dempf doit être remercié.

*. Indéniable réussite romanesque, cette fiction incite en outre à (re)découvrir Le Caravage ; à cet égard l'ouvrage que S. Schütze a publié aux éditions Taschen et disponible désormais en format réduit, est un très bon compagnon de lecture, fort commode de surcroît – richement illustré, il comporte un catalogue raisonné des œuvres et l'avoir à portée de main tandis qu'on progresse dans le roman, où sont si nombreuses les descriptions picturales, permet d'avoir l'image couplée au récit.
S. Schütze, Caravage. L'œuvre complet (traduit de l'allemand par Michèle Schreyer), Taschen, coll. "Bibliotheca Universalis", 2020 (première édition : 2015).

Citation

Nous craignons la mort, et pourtant nous ne pouvons nous empêcher de la glorifier, murmura Caravaggio d'un air songeur. C'est seulement dans le vin que la vie s'ouvre à nous.

Rédacteur: Isabelle Roche lundi 01 novembre 2021
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