Un mort de trop

Dans l'ascenseur, maudissant l'abruti qui avait eu l'idée géniale de le couvrir de miroirs, il se contorsionna pour éviter de contempler sa gueule et celle d'une vieille dame allongée sur une civière, qui le fusillait du regard comme s'il était à l'origine de ses malheurs : la moitié de son visage s'était affaissée, et elle bavait autant qu'un saint-bernard.
Éric Forbes - Amqui
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Roman - Noir

Un mort de trop

Social - Artistique - Rural MAJ samedi 02 septembre 2023

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 23 €

Alexandra Appers
Paris : Ring, mai 2014
262 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 979-10-91447-20-1
Coll. "Ring noir"

Du sang sur un comptoir mal lavé

Au cœur du roman, Otis, le personnage central, est un jeune homme qui n'a pas encore fait grand-chose de sa vie mais veut devenir tatoueur. À force d'entraînement sur les chiens du village, il connaît les rudiments du métier et les injures des voisins. Pourtant, lorsqu'il effectue son premier dessin sur un être humain, il a des bouffées de chaleur, et des visions du futur de son client lui apparaissent, le rendant malade. On pourrait alors se croire dans un des premiers romans de Stephen King. Et le décor pourrait contribuer à cette impression : un village perdu, des montagnes et des forêts, des lacs où peuvent disparaître les cadavres encombrants, un bar (que tient la mère du tatoueur) lieu de rencontres des ouvriers agricoles et des chômeurs du coin, et où se profile souvent une bagarre. Mais le décor pourrait être également vosgien, malgré les personnages qui ont des noms américanisés. La présence d'une petite copine, Ella, allumeuse qui ne sait comment choisir entre ses amoureux mais sait avec perfidie les faire se chamailler, d'une sœur enceinte d'on ne sait pas trop qui et qui dilapide les allocations pour des produits de marque, renforce cette impression de se trouver dans un roman de Pierre Pelot. Tout ceci est même accru par l'ami du tatoueur, un simple d'esprit, prêt à tout pour aider son copain. Sans compter les figures maternelles que sont la mère et la grand-mère qui se déchirent et se surveillent, chacune pensant que l'autre veut sa peau.

Mais ces deux figures tutélaires de la grande littérature populaire de qualité n'empêchent pas de laisser à Alexandra Appers l'occasion de faire couler sa petite musique : noirceur des décors et des situations du quotidien se répondent avec force. L'auteure décrit la lente déchéance de la famille qui essaie de surnager à des dettes grandissantes et des huissiers de plus en plus envahissants - le tatoueur, malgré ses douleurs, continue et même développe une activité de piercing et peut-être de gigolo. Symbolisant toute cette déchéance, une odeur de décomposition plane sur le roman. Celle d'Ella, tuée accidentellement par Otis, et dont le corps est planqué dans la cave en attendant de trouver une solution. Plusieurs scènes oscilleront ainsi entre la noirceur et le nauséeux : que faire d'un cadavre encombrant, surtout lorsqu'il faut continuer à tenir son commerce et ne pas être vu de voisins qui n'ont rien d'autre à faire que d'être derrière les fenêtres à regarder la pluie qui tombe ? Un mort de trop ressemble à un roman qui aurait pu être écrit par Stephen King ou Pierre Pelot mais il est signé Alexandra Appers, une jeune auteure qui a réussi à s'installer dans les traces de ses illustres devanciers pour offrir un texte personnel, une variation intelligente (avec une chute très forte, inattendue et pourtant extrêmement logique, que nous nous garderons bien de dévoiler), noire et pessimiste sur la condition humaine, appuyée par un humour noir et une dose de cynisme, léger parfum entêtant, qui en fait tout le sel.

Citation

Ce qui m'inquiétait c'était que rien ne se déroulait comme dans un épisode des Experts.

Rédacteur: Laurent Greusard vendredi 01 septembre 2023
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