Dans une Amérique rurale qui peine à se relever de la crise économique de 1929, Bruce Holbert propose une intéressante chasse à l'homme qui allie western crépusculaire, roman ethnologique et thriller.
Russel Strawl, un ancien policier, reprend du service dans le comté de l'Okanogan pour tenter d'arrêter un tueur qui ensuite met en scène ses victimes – toutes indiennes – de façon artistique, sauvage et macabre. À mesure que les deux hommes pénètrent dans le Grand Ouest, le romancier multiplie les fausses pistes en perçant à jour les nombreux mystères qui entourent la vie de Strawl. Les comparaisons, dès que l'on parle de ruralité américaine à cette époque ne peuvent que fleurir, mais Bruce Holbert a une certaine tendance à laisser le lecteur incrédule. Les freaks de Harry Crews sont animés d'une folie sourde et amusante, ceux de Jim Thompson, d'une folie raisonnée et meurtrière, mais tous conservent une identité réaliste. Ceux de Bruce Holbert ont le trait un peu trop poussé et un lourd passé qui pèse trop gravement sur leurs épaules. C'est ainsi que Russel Strawl va croiser toute une population étrange sur la piste du tueur fanatique qui poursuit un but qui ne sera explicité qu'à la toute fin du roman.
Pendant ce temps, Strawl ne chasse pas qu'un démon, il pourchasse ses démons. Et ils sont nombreux. Si bien que son pire ennemi, tueur également, est tout simplement lui-même, un être nostalgique meurtri, qui se hait, et dont tout le monde se joue, jusqu'à sa première femme qu'il croit morte et qui s'est enfuie avec l'aide de sa fille, restée pour s'occuper d'un père en perdition. Strawl est un carnassier qui suit férocement la trace d'un de ses congénères, n'hésitant pas à laisser des carcasses fumantes sur le bord de la piste. Arrêté, tabassé, emprisonné, il s'échappe afin d'accomplir également le but qu'il s'est imposé. Mais la traque est aussi un prétexte pour décrire des contrées encore sauvages peuplées d'êtres improbables, dotés de leur propre conscience et qui ont une certaine idée de la justice.
Le roman, écrit d'une jolie plume pleine de maturité, que l'on sent excellemment bien traduit, prend le risque de perdre son lecteur au hasard de haltes ou d'errements. Strawl croise son fils adoptif, Elijah, un homme à l'esprit dérangé convaincu qu'il est missionné sur terre pour apporter un message d'amour et de mort. Très tôt convaincu qu'il est le meurtrier recherché, Strawl l'entraine dans sa poursuite du mal, Elijah chevauchant Baal, son cheval, jusqu'à une fin qui traine un peu en longueur à force de multiplier les épilogues. Mais pour un premier roman, Bruce Holbert fait preuve d'une jolie maitrise stylistique pour une intrigue originale.