Dès la dixième page de Vintage and Badass : le cinéma de Tyler Cross, Fabien Nury et Brüno évoquent longuement Échec à l’organisation (The Outfit, 1973, de John Flynn). Pourquoi ? Parce que c’est une des adaptations cinématographiques les plus fidèles du personnage de Parker, le gangster taciturne de Richard Stark. Et une source d’inspiration à Tyler Cross, le héros de leur série de bande dessinée éponyme. Richard Stark a.k.a. Donald E. Westlake, c’est surtout l’un des rares auteurs de romans américains à offrir aux lecteurs des histoires de héros récurrents qui sont du mauvais côté de la loi. Le second étant, dans une relative et moindre mesure, Lawrence Block avec son personnage de libraire-cambrioleur Bernie Rhodenbarr (Le Tueur du dessus – Burglars Can’t Be Choosers, 1977). Mais à la différence de Lawrence Block, Donald E. Westlake (1933-2008) se paie le luxe de créer sous deux de ses noms d’auteur, des bad guy aux antipodes.
John Archibald Dortmunder apparait dans Pierre qui roule (The Hot Rock, 1970). C’est un cambrioleur à la petite semaine, qui passe son temps à monter des coups tordus dans l’arrière-boutique d’un bar paumé avec une bande de paumés. Pourtant, c’est un professionnel, mais ses amis qui sont aussi ses acolytes ont parfois des idées loufoques qui associées à l’esprit tordue de Westlake font que le crime ne paie pas. D’un certain côté, Dortmunder est au choix ou défaitiste ou fataliste. Mais en ce qui concerne Parker, ce ne sont pas des traits de caractères qui le définissent. Lui, c’est un être froid et méthodique. Un gars qui prépare méticuleusement ses coups. Qui assure ses arrières. Et qui préfèrent travailler avec des professionnels qui ont sa confiance.
Chronologiquement, Parker est plus vieux que Dortmunder. Il arrive en 1963 dans Comme une fleur (The Hunter). Rien que leurs deux noms sont une piste quant à leur état d’esprit. John Archibald Dortmunder. Rien que de lire son nom on n’a pas confiance. On sait qu’il va y avoir une entourloupe quelque part. Tandis que Parker, ça claque. C’est sec. Il n’y a pas de fioritures. On va à l’essentiel. Pourtant, les destins des deux hommes ne sont pas si éloignés que ça. Car même s’il choisit bien ses associés, Parker n’évite pas le grain de sable dans les rouages bien huilés de ses plans. Il se rapproche même de Dortmunder sur ce coup. Parker c’est un gars indépendant rattaché à l’organisation. Seulement, il est souvent en lutte contre cette même organisation. Un anti-héros à l’américaine, comme le protagoniste de Drive, de James Sallis, ce conducteur qui cherche à rendre un butin à des hommes qui veulent en contrepartie lui faire la peau. C’est-à-dire un homme qui n’a d’autre choix que d’épouser la violence pour y échapper.
On notera qu’en 1974, les deux héros de Stark-Westlake se croisent dans Jimmy the Kid. Une rencontre truculente sur fond d’enlèvement d’un gosse de riche qui dérape de façon jouissive. L’occasion pour Donald E. Westlake de pousser la satire jusqu’à ce moquer de ses propres romans à l’occasion d’échanges téléphoniques entre le ravisseur et le père de l’enfant kidnappé.
Dans leur double page consacrée à l’adaptation de John Flynn, Fabien Nury et Brüno n’y vont pas par quatre chemins : les aventures de Parker représentent « une vingtaine de titres, qui sont au roman noir américain ce que les Rougon-Macquart sont au XIXe siècle français ». Rien que ça, mais on a envie de les croire. On les croit.
Entre 1962 et 2008, Richard Stark propose vingt-quatre aventures de Parker au rythme d’une tous les deux ans – en fait, c’est faux… Les douze premières années, il en propose quatorze ; il faudra un long break et l’approche du XXIe siècle pour que le héros reprenne du service.
Entre Comme une fleur et Argent sale, on a le temps de faire plus ample connaissance avec l’un des protagonistes les moins empathiques des littératures noires. Quand il a imaginé Parker, Westlake a pensé à l’acteur Richard Widmark. Il voulait un être froid, méticuleux, sans aucune forme d’empathie. Richard Widmark, depuis le début des années 1950, incarne à l’écran ce type de personnages à l’instar de son rôle de gangster psychopathe dans Le Carrefour de la mort, de Henry Hathaway.
Le personnage de Stark est ambitieux, mais sûrement pas mégalomane comme peut l’être celui de Richard Widmark dans le film de Jules Dassin, Les Forbans de la nuit. Mais les deux ont quelques similitudes. À commencer par leurs échecs successifs. On notera à ce propos que si Parker fuit souvent les mains vides mais en étant toujours en vie, nombre de ses aventures non écrites sont marquées par le sceau de la réussite. Et comme Parker est un gars prévoyant, il garde à sa disposition un peu partout aux États-Unis des réserves d’argent en cas de coup dur.
Mais pour en revenir à Richard Widmark, il n’aura pas l’occasion d’interpréter Parker. L’un des premiers rôles est pour l’impeccable Lee Marvin dans Le Point de non-retour de John Boorman(impeccable comme il peut aussi l’être dans Carnage, de Guy Ritchie en costume blanc, stetson blanc, chaussettes blanches et chaussures vernies blanches : le gangster de Chicago qui vient régler les dettes des bouseux du Midwest). Lee Marvin est tellement impressionnant, qu’il influencera par la suite le Parker des romans de Stark. Mais dans Échec à l’organisation, Robert Duvall incarne un Parker anti-romantique, électron libre actif au sein d’une Organisation monolithique. Mais revenons aux romans.
Liste des aventures de Parker :
Comme une fleur (The Hunter, 1962)
Peau neuve (Parker fait peau neuve) (The Man With the Getaway Face, 1963)
La Clique (Parker part en croisade) (The Outfit, 1963)
Pour l’amour de l’or (The Mourner, 1963)
En coupe réglée (Parker fait main basse) (The Score, 1964)
Rien dans le coffre (The Jugger, 1965)
Le Septième (The Seventh, 1966)
Sous pression (Parker rafle la mise) (The Handle, 1966)
Travail aux pièces (The Rare Coin Score, 1967)
Le Divan indiscret (Parker reprend son vol) (The Green Eagle Score, 1967)
Blanc-bleu noir (The Black Ice Score, 1968)
Un petit coup de vinaigre (The Sour Lemon Score, 1969)
Le Défoncé (Parker sonne l’hallali) (Deadly Edge, 1971)
Planque à Luna-Park (Slayground, 1971)
Portraits gratis (Plunder Squad, 1972)
Signé Parker (Butcher’s Moon, 1974)
Comeback (Comeback, 1998)
Backflash (Backflash, 1998)
Flashfire (Flashfire, 2000)
Firebreak (Firebreak, 2001)
Breakout (Breakout, 2008)
À bout de course ! (Nobody Runs forever!, 2009)
Demandez au perroquet (Ask the Parrot, 2012)
Argent sale (Dirty Money, 2013)
Parker, un gars sans prénom, réussit des casses avec méthodologie. Mais dans Comme une fleur, il finit par être arrêté par la police. Parker est tout sauf un imbécile. Parker a un avenir devant lui. Alors, Parker s’en sort commettre en vingt-quatre volumes autant, voire plus de méfaits. C’est un taciturne, mais ça ne l’empêche pas de filer le parfait amour avec Claire Carroll qu’il rencontre dans Travail aux pièces. Il lui a fallu huit volumes pour retrouver une compagne. Faut dire que son ex-femme, qu’il a fini par tuer, l’avait trahi et laissé pour mort dans le premier volet de ses aventures. C’est peut-être la raison pour laquelle Claire, qui connait à peu près tout des méfaits de son homme mais ne veut jamais savoir quand il se fourre dans un pétrin, est toujours en périphérie de ses aventures. Mais leur relation est intense et profonde. C’est parfois même une source de réconfort pour un homme qui apparait souvent sans cœur. Mais Richard Stark ne s’épanche jamais.
Parmi les personnages qui gravitent autour de Parker, deux ont une importance à ses yeux : Alan Grofield et Brenda Mackey. Le premier est un acteur qui a même le droit à ses propres aventures (4) loin de Parker. Un homme de confiance. La seconde est une femme envers qui il a une dette. Entre les deux, il y a un peu plus que beaucoup de respect. En France, Parker est d’abord sorti à la « Série noire » des éditions Gallimard avant d’arriver chez Rivages où nombre de ses aventures ont été retraduites, à tout le moins révisées.
Chroniques :
Le Septième
Firebreak
S’il y en a bien un qui a tout compris au potentiel de Parker, c’est Darwyn Cooke. Darwyn Cooke c’est un vrai auteur de comics avec des super-héros américains. Il est presque américain d’ailleurs selon Donald Trump, puisqu’il est canadien. Il a mis en dessin Catwoman, Superman, Batman, Le Spirit. Il était presque normal qu’il s’attaque à Parker en quatre volumes où il laisse éclater son talent et son trait.
Son Parker est sombre comme ses cases en bichromie. Il a des traits qui ne peuvent pas être plus anguleux que ce qu’ils sont dans ses cases. Il y a de la bestialité même quand l’auteur canadien revient dans son passé et s’essaie au pointillisme version Roy Lichtenstein. Les textes, minimalistes, sont traduits pour Dargaud par Tonino Benacquista, le gars qui en trois romans entre 1989 et 1991 (La Maldonne des sleepings, Trois carrés rouges sur fond vert, La Commedia des ratés) a participé à l’éclosion d’un certain noir à la française. Darwyn Cooke qui adapte Parker, c’est le summum. Ce qui fait qu’on regrette qu’il se soit arrêté après quatre volumes.
En 2024, Kieran et Headline reprennent le flambeau avec Parker : la proie, dans la toute nouvelle collection Aire noire de chez Dupuis. C’est bien. Pas aussi bien que Cooke mais c’est bien. Doug Headline a adapté tout ou presque Jean-Patrick Manchette avec son complice au dessin Max Cabanes. C’est un scénariste aguerri. Ici, il fait cependant un choix surprenant : il est bavard. Comme si les discours introspectifs de Parker devaient être oralisés. Pour s’émanciper quelque peu de son auguste aîné, Kieran a fait le choix, lui, de donner un peu plus de rondeur au personnage. Un peu plus ça veut dire pas beaucoup. Mais c’est suffisant pour tenter de s’éloigner de Cooke, même si la bichromie est toujours présente. Mais pour des cases avec un joyeux bordel.
Chroniques :
Parker : le chasseur
Parker : l’organisation
Parker : le casse
Parker : Fun Island
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