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Thomas H. Cook et sa cuisine du Mal

Mercredi 09 mars 2011 - Si l'on voulait définir Thomas H. Cook, on dirait à l'instar de l'Outremangeur de Tonino Benacquista qu'il est un Outreromancier. Ses romans sont nombreux, ses publications annuelles multiples. Avec Les Leçons du Mal, il délivre un récit étrange qui s'attarde à la fois sur les différences de classe, les reliquats de la guerre de Sécession dans les États du Sud mais aussi et surtout sur les relations père/fils.
Dans cet entretien Thomas H. Cook nous parle du Mal en littérature, accepte une certaine parenté avec un roman de Donna Tartt, évoque ses propres minutes noires et réfute le déterminisme tel que le conçoit malgré lui son personnage d'Eddy. Si tout tourne très mal dans son œuvre, la rencontre, elle, s'est déroulée sous les meilleurs auspices.
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© Isabelle Roche / k-libre



k-libre : Pourquoi avoir choisi d'explorer à la fois le Mal et l'Humanité ?
Thomas H. Cook : Un journal m'avait demandé d'écrire une nouvelle, pour une édition spéciale, nommée "Ce que Eddy savait", et une fois la nouvelle écrite, Eddy ne partait pas, il restait dans mon esprit, et l'histoire s'est construite autour de la notion non du Mal que vous voulez faire, mais du Mal que vous faites en voulant faire le Bien. C'est donc ainsi que débute l'histoire.

k-libre : Voyez-vous une analogie entre Le Maître des illusions, de Donna Tartt et votre roman ?
Thomas H. Cook : Le livre de Donna Tartt n'aborde pas le thème de la classe sociale. Les élèves sont des privilégiés, dans une institution privée. Mais l'on peut parler d'une certaine analogie avec mon propre livre car le professeur est lui issu de la noblesse. Il enseigne à des enfants de la classe ouvrière. Le conflit est un malentendu entre l'enseignant aristocrate et ses élèves, puisqu'il ne les comprend pas, et se retrouve ainsi impliqué dans de terribles choses.

k-libre : Comment quelqu'un peut-il enseigner à propos du Mal ?
Thomas H. Cook : Vous l'enseignez comme vous enseigneriez tout acte humain, en prenant exemple de ce qu'est un acte du Mal, une personne mauvaise ou ce qu'elle fait. Mon personnage l'enseigne avec des exemples comme celui de Iago, que l'on retrouve dans Othello de Shakespeare, celui de Hitler, ou même celui de Staline. Tous de vrais tueurs maléfiques. Mais la raison pour laquelle il enseigne sur le Mal, c'est parce qu'il ne comprend pas ces enfants qui viennent d'une classe sociale différente. Il enseigne donc le Mal afin de les intéresser à son cours. En effet, il pense pouvoir les captiver avec un enseignement basé sur des meurtres, des tueurs et d'autres atrocités qui ont parsemé à la fois l'Histoire et la littérature. C'est partiellement là où il a tort.

k-libre : Quelles sont vos propres références en matière de Mal ?
Thomas H. Cook : Je suppose que mes références premières sont symbolisées par ce personnage de Iago, qui est hideusement mauvais. Chez Aristote le Bien est naturel, et le Mal anti-naturel. Mais la vertu peut être aussi destructrice. Iago en est l'exemple-type, il est incapable de séparer ce qu'il veut et transforme tout ce qu'il touche en Mal.Lui, c'est un sociopathe de première.

k-libre : Martin Solares à écrit avec Les Minutes noires, un roman qui s'intéresse à nos propres écarts vers le Mal. Il les appelle les "minutes noires", et estime que nous en avons tous au minimum cinq. Êtes-vous d'accord ?
Thomas H. Cook : Je pense que nous avons tous nos moments noirs, et la bonté est la véritable capacité à contrôler ces moments noirs, ces pensées noires. Il y a une différence entre penser à un héritage et tuer sa mère pour l'obtenir. Ce qui vous empêche, en général, de le faire c'est votre notion du Bien et votre capacité à suivre cette voie.

k-libre : Vous n'avez pas entièrement à ma question. Avons-nous nos propres moments noirs ?
Thomas H. Cook : Il y a toujours des moments où l'on déçoit, ment, ou trahi. C'est je crois un continuum. certains d'entre eux sont relativement bénins, alors que d'autres sont totalement nocifs.

k-libre : À l'instar de Dexter, le personnage de Jeff Lindsay, un être habité par un passager noir, on peut également tenter de canaliser nos instincts noirs et les mettre au service du Bien, non ?
Thomas H. Cook : Flannery O'Connor est un célèbre auteur gothique américain, qui a en 1955 écrit A Good Man Is Hard To Find. Toute l'intrigue est axée sur une unique et petite preuve d'égoïsme qui devient incontrôlable. Le roman nous décrypte parfaitement le potentiel du Mal à partir d'un acte qui au départ semblait vraiment anodin. Il est plus facile d'aller dans un sens que dans l'autre. Plus facile de faire le Mal en voulant faire le Bien, que l'inverse. Je ne connais cependant pas la réponse.

k-libre : Dans votre roman, Jack essaye d'aider Eddy, mais tombe du côté obscur. À quel moment et pourquoi devient-il un démon ?
Thomas H. Cook : Dans le cas de Jack, il ne comprend pas qu'il a permis à Eddy d'avoir d'autres perspectives de vie. Qu'il lui offre une autre vision de l'avenir. Jack le pousse vraiment à ressembler à son père et non au sien propre. Il possède des idées aristocratiques, qui sont populaires : vous devez faire face à tout ce qui se présente, vous confronter aux démons de votre vie. Mais ce n'est pas nécessaire pour tout le monde, et ce n'est pas toujours bon d'ailleurs. Son Mal part d'une bonne attention, mais plus tard, il devient vraiment mauvais, égoïste. C'est lorsqu'il découvre la relation qui se construit entre Eddy et son père [Ndr - le père de Jack], qui ressemble à celle que ce dernier possède et qu'il croit menacée. Il arrête alors de pousser Eddy et agit négativement dans l'idée de détruire cette relation naissante.

k-libre : Comment s'écrit un roman sur les secrets, surtout quand il s'agit de secrets de famille ??
Thomas H. Cook : Je crois que chaque roman en terme de structure est à propos du non-dit. Il faut pouvoir comprendre les choses sans qu'elles soient dites. C'est la seule façon de s'assurer l'implication du lecteur dans le roman. À titre personnel, j'aime quand le lecteur comprend ces choses non dites.

k-libre : Comment voyez-vous la relation entre Jack et son père ?
Thomas H. Cook : La seule relation qu'ils possèdent est intellectuelle. Ils ne communiquent jamais avec leurs cœurs. Ils n'ont pas de relation profonde, elle est purement littérale et spirituelle. Il semblerait que ce soit leur manière d'être humain. La seule qu'ils possèdent.

k-libre : N'y a-t-il pas une certaine analogie à voir avec le film de Joseph Losey Le Messager ?
Thomas H. Cook : C'est mon film préféré et il figure parmi mes livres favoris. C'est d'ailleurs un très bon roman de Leslie Poles Hartley. Donc si l'on se réfère strictement en termes de relations entre classes sociales différentes, j'accepte l'analogie entre les deux histoires. Mais il y a aussi un peu de Tchékhov ou de Dostoïevski, car les auteurs russes ont beaucoup écrit sur ce genre d'intrigue.

k-libre : Avez-vous des enfants ? Est-ce difficile d'être l'enfant d'un tueur ?
Thomas H. Cook : Une fille. Je pense que c'est plus simple pour elle d'être ma fille que celle d'un tueur, mais j'imagine qu'elle surtout qu'elle ne rencontre pas de vraies difficultés à être la fille d'un écrivain !

k-libre : Dans votre roman, Eddy se doit d'être coupable, à cause de son père, qui a été un tueur, il ne peut être innocent et répètera ses actes.
Thomas H. Cook : Oui, il doit porter le fardeau de son père, de ce qu'il a fait par le passé.

k-libre : L'approche déterministe n'est-elle pas trop simpliste ?
Thomas H. Cook : Jack essaye de trouver un chemin pour Eddy afin qu'il échappe à ce déterminisme, celui de sa classe sociale. Mais l'échappatoire que Jack trouve à Eddy est intellectuelle, ce n'est pas nécessairement celle faite pour Eddy même si ce garçon est brillant. Jack est constamment en train de mettre en avant ses idées de comment Eddy devrait être, ou ce qu'il devrait faire, mais ce dernier ne va pas forcément accepter ces idées. Il s'agit ici avant tout d'un aveuglement aristocratique.

k-libre : L'intrusion d'Eddy transforme totalement les choses. Comment est-ce possible ?
Thomas H. Cook : Eddy entre dans une dynamique familiale. Jack s'est toujours senti relié à son père. Il pense que ce dernier l'a toujours admiré, et il ne va pas tarder à découvrir que ce n'est pas le cas, que son père préfère Eddy plutôt que son propre fils car ils entament une relation à la plus saine et plus naturelle avec une certaine intimité. Il y a vraiment de la complicité entre eux deux. Eddy s'introduit simplement dans une relation qui a fonctionné sans vagues pendant des années sur un niveau intellectuel, mais jamais correctement au niveau sentimental, ce qu'il va développer avec le père de Jack. Ainsi Jack se sent menacé et se retourne contre Eddy.

k-libre : Le Mississipi porte toujours la trace de la guerre de Sécession, que la France ne connait que par les films. Elle a laissé beaucoup de stigmates ? Il faut dire que c'est un élément important de votre roman tant au niveau de l'Histoire que de la culture raciale...
Thomas H. Cook : J'ai grandi dans le Sud profond, et bien qu'un siècle soit passé depuis cette guerre sanglante, il y avait encore à l'époque un sentiment qui empêchait de se sentir américain, puisque les Sudistes s'étaient battus très longtemps au cours de cette guerre sanglante et civile. Mais je pense que c'est désormais fini, et que c'est grâce aux différents mouvements de lutte pour les droits civiques. Presque immédiatement après l'éclosion de ces mouvements, un président sudiste a même été élu ! On ne l'aurait jamais cru auparavant. Carter, Clinton, Johnson... Que des présidents des États du Sud.

k-libre : Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur votre prochain roman ?
Thomas H. Cook : Il s'agit de The Quest For Anna Klein, qui vient tout juste d'être publié aux États-Unis. C'est un roman très différent de ce que j'ai fait auparavant. Il se situe principalement en Europe : France, Allemagne, Pologne... C'est un livre d'intrigue, évidement puisqu'il s'agit d'un de mes livres, et cela tourne très mal...

Propos aimablement traduits par Julie Védrenne.


Liens : Thomas H. Cook | Les Leçons du Mal Propos recueillis par Julien Védrenne

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