La Chasse au renne de Sibérie

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Roman - Noir

La Chasse au renne de Sibérie

Corruption MAJ mardi 14 septembre 2010

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 11,5 €

Julia Latynina
Okhota na izioubria - 1999
Traduit du russe par Yves Gauthier
Arles : Babel, 0000
666 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7427-9121-7
Coll. "Noir", 6

Le capitalisme à la sibérienne

Le renne de Sibérie est l'écusson porté par les forces de sécurité de la police privée d'une usine sidérurgique. Mais cette usine, de par sa force financière et son dirigeant, est une partie vitale de l'économie régionale. Le seul problème, c'est que les requins de Moscou ont décidé de devenir les maîtres de l'usine, qu'ils sont aidés par des potentats divers qui apprécient peu l' industriel sibérien et que le dirigeant est également l'objet de ressentiment de la part des hauts gradés militaires.
Après s'être plongé dans ce roman, l'on regarde avec ravissement les polars américains. Eux qui s'apparentent à des démonstrations de la corruption de la société occidentale apparaissent à présent comme d'innocentes bluettes ! Un dangereux tueur moscovite est retourné par un des membres de l'usine sibérienne et accepte de dénoncer ses anciens patrons. En récompense il devient adjoint du chef de la police locale. Cela ne va pas l'empêcher d'essayer de racketter à son profit les commerçants et son chef direct s'en offusque, non pas tant du fait que la morale est bafouée mais que sa part ristournée est ridicule ! Du coup il passe dans le camp des moscovites et va même servir de complice lorsqu'il s'agira d'essayer de liquider le directeur de l'usine.
Le roman fonctionne comme une gigantesque série d'entourloupes et de chausse-trappes autour de sociétés bidons qui se reversent des dividendes, de crédits sur une entreprise qui se transforment en actions dans une atmosphère ubuesque. Par delà une dissection de la pratique de la corruption, de la concussion généralisée à l'ensemble des sphères dirigeantes, par la gangrène sur les petites gens qui essayent à leur niveau de survivre, c'est une démonstration par l'absurde de la folie totale, du chaos exceptionnel qui parcourt la Russie. De manière cynique, le président de l'usine explique qu'il vole certes mais en maintenant au mieux l'appareil de production et en payant les ouvriers, ce qui semble être un exploit. À un instant donné, pour contrer un concurrent, les "méchants" envoient un contrôleur fiscal qui doit s'attaquer à la réputation de l'usine. Le directeur adjoint de l'entreprise parvient par des cadeaux, une chambre d'hôtel et divers babioles à corrompre le fonctionnaire. Aussitôt, ceux qui l'ont envoyé liquident l'homme des impôts en mettant tout en place pour que les responsables de l'usine soient accusés. Et de déverser de l'argent sur la presse pour qu'elle publie la nouvelle !
Mais il ne faudrait pas penser que le roman se limite à cette évocation terrible du capitalisme sauvage appuyé sur le crime organisé et la mise en coupe réglée d'un pays-continent. Julia Latynina n'a pas pour autant oublié de décrire des personnages forts et prenants, pris dans leurs qualités et défauts, parfois monstrueux - d'aucuns diront l'âme russe. Au milieu du roman, un ancien policier se retrouve incarcéré et il sait ce qui va lui arriver. Il fait face avec une extrême dignité qui efface presque les premières pages où le lecteur le voyait comme une brute épaisse. L'intrigue se noue de manière tragique autour de deux "innocents" : un ancien procureur qui a accepté de devenir le second du responsable de l'usine et va peu à peu tremper dans ses noirs complots et une jeune spécialiste de la renaissance italienne qui découvre les similitudes entre les Borgia et les dirigeants de la Russie. Ces deux personnages devraient pouvoir vivre une passion amoureuse, mais c'est sans compter sur le propriétaire de l'usine, despote éclairé, qui va jouer avec eux et est tombé amoureux de l'historienne. Les péripéties de l'intrigue policière vont contrecarrer à chaque fois les possibilités d'explication entre les deux êtres qui du coup vivront l'un à côté de l'autre sans se comprendre. L'entrelacs des destins individuels et la complexité de la société se répondent, permettant de passer outre les difficultés de stratégies juridiques parfois absconses pour hausser ce polar au niveau d'une version russe d'un roman d'Ellroy.

Citation

Le gouverneur est un homme fier : par correction, il ne trompe jamais ceux qui le paient tant que d'autres ne l'ont pas payé plus.

Rédacteur: Laurent Greusard mardi 14 septembre 2010
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