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Les trafiquants filent à 200 à l'heure sur les autoroutes qui zèbrent l'Espagne, et quand ils garent leurs BM dans les sous-sols du quartier, ils sont accueillis comme des héros par des mômes de douze ans qui ne rêvent que d'une chose, être un jour à leur place, brûler le pognon et niquer tout ce qui bouge.
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Marie Neuser : du noir au serial killer en passant par les marges

Jeudi 25 octobre 2012 - Deux années ont suffi à convaincre les lecteurs que Marie Neuser a écrit deux petits bijoux de romans à la construction et à l'intrigue très resserrées. Ils ont même quelque peu fait beaucoup parler, et ils assoient une ébauche de renommée absolument pas injustifiée. Plantant ses décors dans des microcosmes amenés à être oppressants, la romancière, qui est par ailleurs enseignante, s'ingénie à multiplier et élargir les champs d'exploitation de l'écrit. À travers une interview virtuelle, elle a répondu aux questions de Thomas Bauduret, a abordé ce rêve d'enfant, entrepris de relater comment il a commencé, essayé de nous en apprendre un peu plus sur son état et ce qu'il deviendra elle l'espère. De notre côté, nous vous souhaitons que cette interview vous donnera envie de découvrir cette auteure ou qui si vous l'avez déjà lue, vous regarderez ses romans d'un autre œil...
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© D. R.



k-libre : C'est votre première interview pour k-libre alors pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Marie Neuser : Je suis enseignante, et parfois très heureuse de l'être, mais l'écriture pour moi est une deuxième vie, un "amant" si l'enseignement est mon mari ! J'ai quarante-deux ans, je suis née et vis actuellement à Marseille, et dans mon temps libre je m'intéresse à beaucoup de choses : j'apprends des langues, je fais du théâtre, je m'adonne à ma passion de la criminologie et des séries HBO !

k-libre : Votre premier roman, Je tu les enfants français dans les jardins, a été très controversé. Curieusement, si on doit résumer l'histoire, on pense à un pastiche variante littéraire des histoires d'auto-défense en vogue fut un temps !
Marie Neuser : Je n'ai pas eu l'impression qu'il ait été à ce point controversé... Les avis positifs ont été beaucoup plus nombreux que les négatifs... et j'ai surtout rencontré des gens plutôt enthousiastes ! Mais je ne suis pas d'accord avec le terme d'auto-défense pour l'évoquer. Je pense plutôt à une idée de transgression, d'interdit, de passage à l'acte. Lisa ne se défend pas, elle se soulage, c'est bien plus amoral ! En mon sens (et je peux me tromper) certaines réactions violentes viennent du fait que vous décrivez un système vicié, mais sans donner de solutions faciles ni de bouc émissaires, à une époque où on se rassure en pensant que tout peut être résolu d'un coup de baguette magique. Là, tout le monde est soit complice, ne serait-ce que par omission, soit partie prenante du problème. En effet j'ai refusé de donner une "solution" au problème que j'évoque. D'ailleurs, je ne suis pas sociologue, je n'ai pas le s outils pour analyser les choses autrement que par le ressenti, l'observation. Pas de bouc émissaire parce que je crois qu'il n'y en a pas. Et, effectivement, dans mon récit tout le monde est complice par petite survivance personnelle : les collègues pour ne pas avouer qu'ils sont en souffrance, la hiérarchie qui ne veut pas faire de vagues, les parents qui admettent qu'il y a bien longtemps qu'ils ont baissé les bras, les gamins parce qu'ils se complaisent dans cette violence gratuite et stupide.

k-libre : La fin est également assez intrigante. Y a-t-il une clé pour la comprendre  ?
Marie Neuser : Pas de clé, pas d'intrigue. Je crois qu'il faut rester très terre à terre. Lisa a nettoyé le monde d'une de ses ordures, et elle n'en éprouve aucun remords. C'est justement ça qui m'a amusée : faire de cette petite jeune femme "parfaite" un monstre de froideur, peu à peu, parce qu'elle a été trop offensée et humiliée, et qu'elle n'a trouvé que le passage à l'acte, la transgression, pour pouvoir respirer.

Je ne sais qui disait qu'un e salle de classe est une radiographie d'une société. Êtes vous d'accord ? Et que cela dit-il de la nôtre ? La façon dont vous montrez comment les étudiants sont des reflets de ce qu'ils seront - les brillants, les "pommes pourries" et la grande masse des médiocres - est glaçante dans sa crudité (voire sa lucidité).
Marie Neuser : Oui, c'est une réflexion qui me semble assez juste. La manière de se positionner face au savoir, à l'instruction, aux adultes, à l'autorité, à l'avenir, à l'intérieur du milieu scolaire, reflète je crois assez bien la société. À l'époque où il y avait de l'espoir de promotion sociale, les gamins s'accrochaient, respectaient l'enseignant, l'adulte. Aujourd'hui, ils ne croient plus en rien, n'espèrent plus rien du monde de l'esprit. Ils ne sont attirés que par l'immédiat, la facilité, le loisir à tout prix. Et dans les salles de classes, ils montrent ces visages auto-satisfaits de leur propre ignorance, et vous jettent au visage que vous ne leur servez à rien. J'enseigne dans un lycée ZEP, où la violence que j'ai décrite dans Je tu les enfants français dans les jardins n'existe pas, mais c'est une autre forme de violence que nous subissons : le mépris. Une petite de seconde m'a dit la semaine dernière "Qu'est-ce que je me fais chier dans votre cours...". On est face à des classes entières de jeunes de quinze ans qui se balancent sur leurs chaises, refusent d'ouvrir leurs cahiers ou alors avec un grand soupir irrité, vous foudroient du regard quand vous les empêchez de bavarder, du genre "vous nous dérangez", et se marrent comme des baleines quand vous leur rendez leurs 2/20. Mais contrairement à Lisa, je mets un énorme bémol au constat: que de jeunes motivés et sérieux dans ces milieux malgré tout! Et que d'heures formidables passés avec eux... Moi, je garde espoir. Ceci dit, je pense que l'enseignement, avec ce qu'il implique comme petites briques empilées lentement les unes sur les autres pour parvenir à former un citoyen pas trop obtus, comme effort, comme non-évidence, ne répond plus à leurs attentes du "tout tout de suite", de l'argent facile et sans rien faire, de la jouissance sans entraves et de l'individualisme forcené. Quel que soit le milieu, les origines sociales. Et enfin, je pense que l'absence de mixité sociale dans les établissements continuera en effet à créer des élites et des laissés pour compte. Alors oui, un reflet de la société.

k-libre : Votre nouveau roman Un petit jouet mécanique brise un tabou, celui de la mère-courage en prenant un cas proche du Munchausen par procuration.
Marie Neuser : J'ai été très impressionnée quand j'ai appris l'existence de ce syndrome, peut-être parce que je suis moi-même maman et que l'idée de faire du mal à son enfant par pur nombrilisme m'a été insupportable. Une fois de plus, c'est de l'ordre de la transgression, comme dans Je tu les enfants français dans les jardins . Il ne s'agit plus d'une salle de classe, mais d'un autre microcosme, ici familial.

k-libre : Préférez-vous prendre des histoires en forme d'épure, à peu de personnages ?
Marie Neuser : Effectivement, ne pas me perdre en chemin avec de nombreux personnages m'aide à aller droit vers le but comme un trait d'arbalète, de tendre l'écriture au maximum. Le huis-clos est pour moi un cadre très intéressant. Je préfère prendre peu de personnages et les tordre plutôt que multiplier les interventions. Les microcosmes sont aussi très intéressants pour ça, parce qu'ils finissent par étouffer.

k-libre : Par contre, les personnages, le décor, tout est très différent de Je tue les enfants français dans les jardins, avec cette extraordinaire description d'une ado à fleur de peau. Comment choisissez-vous vos personnages, qui sont d'une authenticité rare, presque charnelle ? Et est-ce une façon de vous renouveler ?
Marie Neuser : Je ne me renouvelle pas, je varie, parce que toutes les histoires qui me viennent ne peuvent exister que dans les lieux différents. Avant d'être publiée pour la première fois avec Je tue les enfants français dans les jardins, j'ai ancré des histoires à Lisbonne, à New York qui sont les villes où j'aurais aimé vivre... Puis il y a eu les salles de classes, milieu dans lequel je baigne, puis la Corse que j'ai voulu faire exister autrement qu'avec des récits de brigandage, de vendetta ou de meurtres mafieux, ce à quoi elle semble être abonnée... En réalité, ce sont tout d'abord les lieux qui m'inspirent, avant d'y installer des protagonistes et des intrigues. Et puis, bien sûr, je suis extrêmement attachée à la vérité psychologique des personnages. C'est ce qui me demande le plus de travail : bâtir l'authenticité. J'ai voulu faire d'Anna une adolescente dans laquelle tout le monde se reconnaîtra même si elle est un peu à part, dans sa tour d'ivoire, avec ses intérêts et ses préoccupations qui ne sont pas communs. J'aime parler de l'adolescence, de ce moment sur le fil. Je sculpte mes personnages à travers leur corps tout d'abord, leurs attitudes : c'est ma pratique intensive du théâtre qui me l'a appris. C'est par le corps qu'un comédien existe. On peut ensuite le remplir. Mais si on fait "du psychologique" sans corps, c'est raté. Ça reste froid. J'aime faire évoluer mes personnages d'une façon cinématographique : les voir avant de les entendre .

k-libre : En cette époque de livres écrits à la mitraillette, vous attachez un grand soin au style tout en restant au service de l'histoire. Vous vient-il naturellement ou est-ce du travail et encore du travail ?
Marie Neuser : Je n'ai jamais l'impression de travailler le style. Les mots se présentent à moi d'eux-mêmes, je suis leur musicalité et je les laisse m'emmener. Je consacre beaucoup plus de doute, de rage, de recommencement, de réécriture à la structure des récits, pour justement atteindre l'impression d'authenticité et surtout la logique narrative et psychologique. Les crescendo, les decrescendo, les infimes mouvements de l'âme qui progressivement vous amèneront à agir d'une certaine manière. Il faut qu'on y croie ! Il faut distiller pour faire monter la tension.

k-libre : Vous êtes publiée chez un éditeur catalogué polar, noir ou quelque soit le nom qu'on lui donne, alors que vos romans sont aux marges du genre. Comment s'est fait la rencontre avec l'Écailler ? Aviez-vous envoyé vos manuscrits à d'autres éditeurs ?
Marie Neuser : L'Écailler est effectivement catalogué noiret polar mais il se dirige de plus en plus vers les marges du genre. Vers le rock, le document, le roman plus "généraliste". Mais ils aiment les choses qui secouent, qui parlent du monde, qui râpent. Notre rencontre a été le fruit du hasard : le manuscrit de Je tue les enfants français dans les jardins leur est tombé entre les mains par un ami commun. Et ils ont tout de suite été emballés. Avant cette belle aventure, j'ai bien entendu envoyé mes manuscrits à diverses maisons d'édition plus ou moins prestigieuses, sans succès. Mon premier roman, qui dort à présent dans un tiroir, a un temps enthousiasmé les comités de lecture d'un immense éditeur, mais au final il n'a pas été retenu. J'ai failli tout laisser tomber après cette désillusion, heureusement que je ne suis pas du genre à baisser les bras ! Quant à Je tue les enfants français dans les jardins, il n'a inspiré qu'indifférence aux éditeurs avant d'être retenu par L'Écailler.

k-libre : Avez-vous déjà une idée de votre prochain roman, histoire de nous allécher un peu ?
Marie Neuser : Mon prochain roman est en chantier, et quel chantier ! Je travaille sur un fait divers italien écœurant et fascinant, qui m'obsède depuis presque deux ans et qui de ce fait s'est présenté à moi dans toute son évidence : "mais bien sûr, c'est ça qu'il faut que je raconte !". Alors, après des mois de recherches, de documentation, de mise en ordre des informations, je m'attelle à travailler la matière du réel avec des mains de romancière. Je retrace la réalité d'un drame et d'une enquête en les romançant, en créant le fil conducteur entre toutes les zones d'ombre, les implications et les motivations de chacun, dans une grande fresque polyphonique. Donc, après l'épure, après le noir à la marge, me voici aux prises avec un serial killer, des flics, des magistrats, des curés et des évêques, des journalistes, des faux témoins, de l'ADN,et même Scotland Yard ! On ne pourra pas dire de moi que j'écris toujours le même roman...

k-libre : Quelle est la question que vous aimeriez qu'on vous pose et sa réponse ?
Marie Neuser : Si l'écriture est un plaisir ou au contraire un accouchement difficile ? Eh bien, un plaisir, bien sûr. C'est ce qui me fait ouvrir les yeux le matin sans avoir envie de les refermer. C'est ce qui me pousse hors de chez moi à l'aube pour m'installer dans un café devant mon cahier d'écolière. C'est mon rêve d'enfant enfin exaucé.


Liens : Marie Neuser | Je tue les enfants français dans les jardins | Un petit jouet mécanique Propos recueillis par Thomas Bauduret

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