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Lumières riches sur le roman de L. C. Tyler

Jeudi 09 août 2012 - Le roman de L. C. Tyler, Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage, détonne des précédents publiés par les éditions Sonatine de par son humour anglais très particulier. Certes, elles nous ont déjà habitué à leur tout début avec le roman de Hugh Laurie (qui interprète le fameux Dr House, faut-il le rappeler ?) Tout est sous contrôle à l'humour caustique dans des situations foutraques parfois mêmes un peu trop alambiquées, certes le Néo-Zélandais Paul Cleave manie excellemment l'humour noir-kiwi, il n'en demeure pas moins que L. .C. Tyler puise l'origine littéraire de ses textes chez P. G. Wodehouse et Tom Sharpe, et que cela se sent. Dans ce roman, vous serez confrontés à un écrivain schizophrène pour la bonne raison qu'il a trois noms de plume, et à une mise en abime de la littérature à travers des pastiches (d'ailleurs l'auteur en appelle à la sagacité de ses lecteurs français - si vous trouvez les quatre noms d'écrivains pastichés dans les extraits au début des chapitres où Fairfax est le protagoniste, communiquez-les-nous, nous lui ferons parvenir vos réponses), et vous vous retrouverez avec l'envie de lire et de découvrir ces auteurs dont il est question au fil de cette discussion virtuelle...
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© D. R.



k-libre : Etheired Tressider, votre personnage, porte un nom qui semble sortir tout droit d'un roman anglais démodé, proche d'Alice au pays des Merveilles. Avez-vous étudié sa musicalité ? Cherché un nom qui sonne bien ?
L. C. Tyler : Comme bien des choses lorsque j'écris, j'ignore d'où me viennent les noms de mes personnages. En général, ils se contentent d'émerger, comme un papillon sortant de son cocon, et il ne reste plus qu'à les surveiller de près pour voir s'ils vont s'envoler. Parfois, le premier nom que je leur donne est le bon mais, souvent, ils changent au fil des révisions. Ethereid était un de ceux que je n'ai pas ressenti le besoin de modifier. Curieusement, bien que j'aie écrit son nom des centaines de fois, je n'avais pas remarqué cette question de rythme avant que vous ne m'en parliez ! Il faut surtout s'assurer que personne ne porte déjà ce nom et puisse se sentir insulté. Tout le reste est un bonus.

k-libre : Votre personnage est un auteur de polar écrivant sous trois pseudonymes avec un genre différent pour chacun. Puisqu'on est entre amis, on est en droit de se demander : celui qui parle d'un inspecteur névrosé est-il Ian Rankin ? Celui qui rédige des policiers historiques Anne Perry ? Et pour les romances Barbara Cartland ?
L. C. Tyler : Ah ! Je présume que Ian Rankin gagne plus qu'Etheired Tressider. Mais je peux voir une vague ressemblance. J'ai bien peur que tous ces auteurs ne soient que moi !

k-libre : L'inspecteur Fairfax rappelle d'autres policiers fictionnels, tant romanesques que télévisuels. Quels sont vos rapports (personnels ou de connivence) avec les auteurs et scénaristes du genre ?
L. C. Tyler : Je regarde très peu les séries télévisées, et pour autant que je puisse dire, Ethereid non plus. Mes influences viennent surtout des auteurs humoristiques — P. G. Wodehouse, Evelyn Waugh, Mark Twain, Hunter S. Thompson — plus que des polareux, bien que j'en aie lu beaucoup dans tous les genres et surtout de "l'âge d'or" Agatha Christie, Dorothy Leigh Sayers et Margery Allingham. Fairfax devait toujours être un personnage typique de procédure policière — je l'ai déjà comparé à John Rebus [NdR - personnage créé par Ian Rankin], mais peut-être aussi à Morse [NdR - personnage créé par Colin Dexter]. Quoique, comme vous le savez déjà, Fairfax lui-même semble ne pas avoir le temps de lire des policiers.

k-libre : Même question pour maître Thomas...
L. C. Tyler : Je doute qu'il soit basé sur quelqu'un en particulier. La période où il vit, la fin du XIVe siècle, était tout simplement celle qui m'intéressait. Comme le remarque Etheired lui-même, c'était une période de transition — l'anglais remplaçait le normand en tant que langue littéraire et devenait celle du gouvernement de Londres, Chaucer écrivait sa poésie. Il y avait pas mal de troubles sociaux culminant avec la Révolte des Paysans. Je crois que l'Angleterre et la France étaient déjà en guerre — mais passons pudiquement.

k-libre : Votre premier roman a pour protagoniste un auteur de polars souffrant de l'angoisse de la page blanche. N'est-ce pas ironique ?
L. C. Tyler : Personnellement, je n'ai jamais eu ce genre de problème. Ce qui me prend du temps, c'est de réviser ce que j'ai déjà écrit.

k-libre : Les extraits ou les débuts de Fairfax peuvent-ils être considérés comme des pastiches du genre ?
L. C. Tyler : Bonne question. Lorsque j'ai écrit ces pastiches, je me suis dit que tout le monde verrait ce que je voulais faire. Or rares sont ceux qui l'ont compris, ce qui signifie qu'ils ne sont probablement pas si bons que je le croyais. En effet, chaque extrait est une section d'un polar écrit par un auteur établi — mais certainement pas un auteur de polars. Je pense que le pastiche d'A.A. Milne est assez évident, et celui de P. G. Wodehouse un peu plus dur pour un public français. J'attendrai de voir si quelqu'un devine qui sont les deux autres (dont un Français...).

k-libre : Pourquoi n'y a-t-il pas de pastiches équivalents avec maître Thomas ?
L. C. Tyler : Il y en a. Mais pas dans ce tome !

k-libre : Le début du chapitre trois est plutôt surprenant pour un roman, avec des considérations plus financières qu'artistiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L. C. Tyler : Samuel Johnson a dit un jour "Personne, sinon un idiot, n'écrit pour autre chose que de l'argent." Donc, il est compréhensible qu'Etheired s'inquiète pour ses finances. Et (comme aurait pu ajouter Johnson) personne, sinon un idiot, ne se fait agent littéraire sinon pour l'argent, Elsie a donc toutes les raisons de s'inquiéter.

k-libre : Le portrait de l'agent littéraire est-il un souvenir ou un symbole ?
L. C. Tyler : En ce temps-là, je n'avais pas d'agent et n'en avais rencontré qu'un ou deux. Je n'avais qu'une vague idée de ce qu'ils faisaient. Donc, Elsie est le fruit de mon imagination. Depuis, bien des gens m'ont demandé si je me suis inspiré de tel ou tel agent, parce qu'elle leur ressemble — il faut croire que je ne m'en suis pas trop mal tiré.

k-libre : Au début du chapitre dix, lorsqu'on change de narrateur, le ton est très ironique, y compris envers vous-même… Vous sentiez-vous obligé de changer de narrateur ? Pensez-vous que, pour être efficace, l'humour doit également être tourné contre soi ?
L. C. Tyler : Au début, j'ignorais qu'Elsie allait narrer une partie du livre. C'est son idée à elle. Quant à la seconde partie de la question, si on ne peut se moquer de soi-même, à quoi bon ?

k-libre : Angleterre oblige il est facile de voir John Cleese ou Michael Palin dans le rôle d'Etheired. Quel serait votre casting idéal lors d'une adaptation ? Et le réalisateur ?
L. C. Tyler : Oui, Palin serait parfait. Ou peut-être James Fleet ? Elsie est plus difficile. Peut-être Caroline Quentin. Quant au réalisateur, maintenant que la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques est passée, Danny Boyle devrait être disponible.

k-libre : Pensez-vous vraiment que "aujourd'hui, je suis trois auteurs dont pas un seul ne s'intéresse au sexe, ce qui explique pourquoi ni les uns, ni les autres ne vendent beaucoup" ?
L. C. Tyler : Je ne sais ce qu'il en est en France, mais en Angleterre, Cinquantes nuances de gris cartonne cet été. Le sexe fait vendre, ça n'a jamais été aussi vrai. Quoique, il n'y en a pas beaucoup dans Harry Potter.

k-libre : En général, les polars sont quelque chose de très sérieux. En termes d'humour, seuls quelques noms viennent en tête : Carl Hiaasen ou Colin Bateman, qui pratiquent souvent l'excès. En connaissez-vous d'autres ? Et quel est le lien ?
L. C. Tyler : En Angleterre, beaucoup d'auteurs mêlent polar et humour — comme vous dites, il y a Colin Bateman, mais aussi Ruth Dudley Edwards, Colin Cotterill, Chris Ewan, M. C. Beaton, Suzette Hill, Declan Burke, Simon Brett, Hugh Laurie, Gyles Brandreth. Je ne peux dire que j'imite l'un ou l'autre, du moins pas consciemment — ou que l'un ou l'autre m'ait imité.

k-libre : L'ironie semble être un trait typiquement british, surtout quand on pense à P. G. Wodehouse (à qui vous rendez hommage au chapitre 18). Pouvez-vous nous en dire plus sur cette forme d'humour aigre-doux ?
L. C. Tyler : Je pense que l'humour est impossible à expliquer. Il ne se traduit pas toujours très bien d'un pays à un autre, et seuls les meilleurs survivent à la génération qui les a créés. Vous avez raison, l'ironie est importante dans l'humour anglais — bien qu'il y ait également un composant de grosse farce, comme Tom Sharpe, qui est tout aussi british.

k-libre : Les derniers chapitres sont ouverts à de nombreuses interprétations : Elsie est-elle amoureuse ? Qui est derrière cette agression ? Ce genre de roman demande-t-il une fin ouverte ?
L. C. Tyler : En général, les polars ont une conclusion bien délimitée — l'énigme est résolue, l'assassin est arrêté, tout redevient normal. Je préfère que tout soit un peu moins clair. Ce qui soulève la question de savoir si ce que j'écris est vraiment du polar ou juste de la littérature générale avec un meurtre en cours de route.

k-libre : Le portrait de Geraldine sous-tend que, si le roman était considéré de son point de vue, il pourrait être un roman noir avec son archétype de la femme fatale... Une autre possibilité de pastiche ? Et de plus, quels sont vos projets en cours ?
L. C. Tyler : Geraldine est une ombre qui contrôle tout ce qui se passe, même en son absence. Oui, je crois que c'est une femme fatale — ou du moins pour Etheired, qui a tendance à se laisser mener par le bout du nez par ses femmes, et pas que dans ce livre. Quant à mes projets en cours, ils restent assez mystérieux pour l'instant. Et ça ne sera pas forcément un roman mettant en scène Etheired et Elsie...

Propos aimablement traduits par Thomas Bauduret.


Liens : L. C. Tyler | Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage Propos recueillis par Laurent Greusard

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