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Il lui tend la feuille et Vesna la saisit en tremblant comme si elle prenait dans ses mains l'ostensoir sur le tabernacle. Elle contemple ce bout de papier couvert de l'écriture de Mate comme s'il s'agissait de la preuve tangible, indiscutable du fait que Silva est vivante. Elle s'assoit, terrassée par l'émotion.
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Thierry Groensteen, éditeur d'Anthony Pastor, au sujet de Castilla Drive

Dimanche 03 février 2013 - Parrainé par SNCF et remis à l'occasion du Festival de la BD d'Angoulême, le Prix Fauve Polar taille sa route. En 2013, d'une sélection de cinq ouvrages est sorti "vainqueur" Castilla Drive, de l'auteur Anthony Pastor. Frédéric Prilleux, qui a quelques accointances dans le monde obscur de la bande dessinée, se trouvait sur les lieux incriminés lors de la remise du trophée. S'il ne pût attraper au vol Anthony Pastor, il débusqua dans les allées son premier et unique éditeur, celui qui l'a publié déjà quatre fois, Thierry Groensteen. Ce dernier, dans cet entretien, dépeint Anthony Pastor, évoque leur relation, narre et décrit les techniques de ses albums, s'attarde sur l'histoire d'une maison d'édition devenue collection, et enfin allèche avec une future BD polar à la clé.
De gauche à droite sur la photo : Thierry Groensteen, F. Ferrer & Anthony Pastor.
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© D. R.



k-libre : Thierry Groensteen, bonjour, vous êtes l'heureux éditeur d'Anthony Pastor, qui vient d'obtenir le Fauve Polar SCNF d'Angoulême pour Castilla Drive. Vous avez édité, déjà chez Actes Sud/L'An 2, les trois précédentes œuvres de l'auteur, pouvez-nous présenter ces trois albums ?
Thierry Groensteen : D'abord, Anthony est venu tard à la bande dessinée, puisque auparavant il a travaillé dix ans dans le théâtre. Il avait réalisé, très jeune, des bandes dessinées dans des fanzines – que je n'ai jamais vues d'ailleurs –, et il est revenu au dessin dix ans plus tard. Son premier livre a donc été Ice Cream, qui est en noir et blanc, et qui est une sorte de polar fantastique. On y rencontre par exemple un personnage à tête d'oiseau, et cela se passe pour l'essentiel autour d'un bar. Deux personnages ont une conversation, et essayent d'échanger des informations, pour reconstituer un événement, qui s'est passé avant même que l'histoire ne commence...

k-libre : Déjà une certaine complexité, peut-être, dès ce premier album ?
Thierry Groensteen : Cela se lit très bien. Et à ce moment-là, Anthony avait adopté un rythme qu'il a conservé pour l'album suivant, de deux images par page. C'était une mise en page immuable, ces deux images par page, de même dimension, cadrage fixe, comme au cinéma. Une technique qui était tout à fait différente de celle de Castilla Drive, puisqu'il dessinait au stylo bille, avec des petits traits entrecroisés, faisant des hachures plus ou moins denses, avec des nuances de gris. Chaque dessin original est une feuille A4, utilisée à l'horizontale, et dans l'album, ces dessins sont évidemment considérablement réduits, on ne voit plus les petits traits, et on a presque l'impression d'être face à une photo.
Beaucoup de gens me disent : "Anthony, il dessine d'après photo." Mais en fait, non ! Il est très inspiré par les photographes, il a étudié leurs effets d'éclairage, de cadrage, etc. Cela a nourri son œuvre, son esthétique, mais en fait il dessine à main levée, sans aucun document de référence. Il crée ses images ex-nihilo. Et ce livre a été très remarqué car sa technique était complètement bluffante, les gens ont d'abord été étonnés par le dessin.

k-libre : Vient ensuite, le deuxième titre, Hotel Koral.
Thierry Groensteen : Oui, toujours dessiné au stylo bille, mais là, Anthony est passé à la couleur, et il a utilisé des couleurs assez flashy, presque acides... ce qui a totalement changé l'univers visuel de l'album. L'histoire se passe dans un hôtel, où un personnage, qui a été autrefois torturé, devenu un vieillard, va retrouver son ancien bourreau... Je n'en dis pas plus...
Et puis est venu le livre qui a tout de même consacré Anthony comme grand auteur, et notamment grand scénariste, une œuvre qui reste la plus dense, et la plus ample en nombre de pages déjà, et qui est Las Rosas. Là, il est revenu au noir et blanc, mais avec un dessin plus linéaire, des trames plus mécaniques pour les gris. C'est une histoire assez extraordinaire, qui se passe déjà à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, donc un peu le même univers que Castilla Drive. C'est un village de femmes qui vivent dans des caravanes, au milieu du désert, un peu en marge de la société. Le seul homme qui ait le droit de pénétrer dans le village, c'est le shérif, et on découvre cette petite communauté à travers une nouvelle arrivante, une jeune fille, une punkette, qui est enceinte... Et il y a beaucoup d'autres personnages, hauts en couleur, dont les destins s'entrecroisent. C'est vraiment un récit "choral", on ne suit pas un personnage, mais on passe de l'un à l'autre, on suit plusieurs histoires, c'est un livre qu'on image facilement au cinéma. Les gens me disent : "On voit un film de Clint Eastwood ou de Tarantino..."

k-libre : C'est un beau compliment pour lui...
Thierry Groensteen : Oui. Mais Anthony ne s'est pas arrêté là, et est arrivé Castilla Drive, où il a encore changé de technique, puisqu'il est passé à l'ordinateur. Il est revenu à la couleur, mais cette fois par le biais de l'informatique... C'est aussi ce qui est intéressant avec Anthony, c'est que c'est un virtuose, qui peut faire absolument ce qu'il veut avec son trait, mais il est aussi toujours en recherche, et à chaque livre, il essaye autre chose, change de technique, ne fait jamais deux fois la même chose.

k-libre : Et son prochain album, justement, est annoncé pour quand ?
Thierry Groensteen : En principe, il doit paraître en janvier 2014. Ce n'est pas une suite à Castilla Drive, puisque c'est une tout autre histoire, qui se déroule autour d'une centrale nucléaire désaffectée, mais on y retrouvera Sally Sallinger et Oswaldo.

k-libre : C'est un scénario qu'Anthony Pastor vous a présenté ou lui avez-vous suggéré ?
Thierry Groensteen : En fait, Anthony a beaucoup de sujets en réserve, il pourrait facilement écrire non seulement pour lui, mais aussi pour d'autres. Je pense que dans les années à venir il va plus scénariser. D'ailleurs, des contacts sont déjà pris avec d'autres dessinateurs. Il a beaucoup d'histoires dans ses tiroirs, qu'il reprendra plus tard, et il a parfois du mal à faire le tri et aurait plutôt un trop-plein d'idées...

k-libre : Est-ce donc vous qui avez choisi parmi toutes ces idées pour le prochain album ?
Thierry Groensteen : Non, je réagis plutôt à ses propositions, lui disant, je préfère cette histoire, celle-ci ce serait mieux que tu la développes, dans tel ou tel sens, et lui réagit. Nous avons un échange comme cela, où je lui fais comprendre certaines choses, et Antony apprécie, car c'est auteur qui aime bien prendre des avis. Je lui donne en quelque sorte mes impressions de premier lecteur, et qu'il prend ou ne prend pas...

k-libre : Pour terminer, pouvez-vous nous dire deux mots de votre rôle chez Actes Sud ?
Thierry Groensteen : Il y a deux collections de BD chez Actes Sud : Actes Sud/BD et Actes Sud/L'An 2. Je suis directeur de la collection Actes Sud/L'An 2. Cette collection est la continuité au sein du groupe Actes Sud des éditions de l'An 2, que j'avais fondées à Angoulême en 2002. J'ai été éditeur indépendant pendant quatre ans et demi, avant d'intégrer Actes Sud, une période durant laquelle j'ai publié 67 livres, et parmi ceux-ci, figurait le tout premier album d'Anthony.

k-libre : D'autres bandes dessinées polar sont-elles prévues en 2013 ?
Thierry Groensteen : Effectivement, dans ce genre nous allons publier un album de Lucie Lomová, une auteur tchèque dont nous avons déjà deux albums au catalogue. Shooting Star est un polar semi-humoristique se déroulant dans le monde du théâtre... et je n'en dis pas plus sauf qu'il sort à l'automne !

k-libre : Suspense, donc... Merci beaucoup Thierry Groensteen, et encore bravo pour ce Fauve Polar.
Thierry Groensteen : Merci à vous.


Liens : Anthony Pastor | Castilla Drive Propos recueillis par Frédéric Prilleux

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