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Arnaud LG. et Olivier B. au sujet du meurtre de Dominique A.
© Frédéric Prilleux/k-libre
k-libre : Olivier et Arnaud vous êtes tous les deux à Angoulême pour J'aurai ta peau, Dominique A, un polar. Olivier depuis un certain temps vous avez des affinités avec ce genre. Votre première BD était d'ailleurs L'Opus à l'oreille, un "Poulpe" paru en feuilleton dans Libération en 1997. Qu'est ce qui vous attire particulièrement dans ce genre ?
Olivier Balez : J'ai eu la chance de tomber dedans quand j'étais petit... Par ailleurs, j'ai toujours aimé le jazz, que j'ai découvert par un cousin et une cousine, et le mariage jazz et polar est bien connu. Et puis, j'ai eu la chance de rencontrer très tôt Jean-Bernard Pouy, presque à la sortie de mes études. On a bien sympathisé, il avait déjà lancé le "Poulpe", et quand je suis allé le voir, je lui ai demandé : "Ah ! Tu ne voudrais par faire une BD du Poulpe ?", il m'a répondu que cela ne l'intéressait pas, mais que, par contre, il y avait ce projet de "Poulpe" adapté pour Libération, pour tout un été. Du coup, j'ai fait plein de festivals de BD et de polar, et rencontré pas mal d'acteurs du roman policier en France. C'est comme cela que tout s'est déclenché.
k-libre : Vous évoquez les romanciers, et justement, vous avez réalisé Angle mort, un album avec Pascale Fonteneau.
Olivier Balez : Oui, c'était l'épisode suivant ! Parmi tous ces festivals et tous ces auteurs de romans policiers ayant participé à l'aventure du "Poulpe", j'ai rencontré Pascale, une vraie frangine, ça été un coup de foudre amical, on s'est tout de suite bien entendu ; et c'est moi qui lui ai proposé de faire une bande dessinée, chose qu'elle n'avait pas fait jusqu'à présent. C'était l'occasion pour moi de venir à Bruxelles, de m'installer, de travailler sur ce projet-là...
k-libre : Un projet avec un Bruxelles sombre...
Olivier Balez : Oui, plutôt sombre, pas forcément sexy, et hors des sentiers battus. Cela été pour moi un virage graphique important, et une belle rencontre, parce qu'à la sortie de la collection, où Angle mort figurait parmi les quatre premiers titres, ce fut aussi la rencontre avec Arnaud, au moment du lancement du label KSTR...
k-libre : Arnaud, tu as les mêmes souvenirs de cette première rencontre ?
Arnaud Le Gouëfflec : Oui, on s'est rencontrés à la soirée d'inauguration de la collection, où j'étais pour le Villebrequin écrit avec Obion. On s'est retrouvés tous les deux au bar avec Olivier, et on a sympathisé.
Olivier Balez : Autre coup de foudre !
k-libre : Et votre première BD, Topless, est aussi un polar. Vous pouvez nous en rappeler l'intrigue ?
Arnaud Le Gouëfflec : Topless est un polar mystique, une parabole sur la fugue d'un pianiste de bar de strip-tease, qui s'enfuit avec la strip-teaseuse en chef, et tous deux sont pourchassés par le patron, qui rêve de les décapiter. C'est une fable sur le destin et sur les signes qui permettent de savoir où l'on va et l'absence de sens, aussi...
k-libre : Vous avez ensuite réalisé tous les deux Le Chanteur sans nom, qui n'est pas un polar mais qui fait un peu enquête, tout de même... Qui a eu cette idée de s'intéresser à cet artiste mystérieux ?
Arnaud Le Gouëfflec : Tout vient du fait d'avoir posté sur mon blog une petite note sur ce chanteur masqué qui se faisait appeler "le chanteur sans nom", qui a vraiment existé, et des gens se sont mis à me répondre, à parler de lui. J'ai eu ainsi des commentaires d'une personne qui disait l'avoir connu dans les années 1920, ou ceux d'une autre dame pour qui c'était dans les années 1960... Le paradoxe de cet homme qui était tombé dans l'oubli, et qui avait lui-même mis en scène son anonymat, c'était de trouver encore du monde à avoir des choses à dire sur lui, après tout ce temps. Et pour nous c'était un peu comme un travail d'enquête, avec ce masque et sa part de mystère... Un peu la dimension "polar" du sujet ! Il a s'est donc agi de tirer le fil de cette investigation. Nous sommes allés avec Olivier rencontrer la fille du chanteur sans nom, à Paris, prendre des photos de tous les documents qu'elle avait sous la main.
Olivier Balez : Et là c'est fascinant ! Du coup, c'est l'illustrateur qui réagit : avec ces vieilles images et ces articles de presse, je voyais le personnage prendre chair. Au début, il y avait cette idée formidable d'Arnaud, une découverte originale, et voici que cette femme nous ouvre la porte de tous les souvenirs liés à son père. Et l'on a un frisson à ce moment-là, car on découvre une personnalité : on le voit en photo à côté d'Aznavour, d'Édith Piaf... Cela a été un régal de bosser sur ce projet-là.
k-libre : Voilà qui nous amène à un autre chanteur, mais bien vivant, Dominique A., et à une question de base : pourquoi Dominique A. ?
Arnaud Le Gouëfflec : Cette fois, c'est venu d'une discussion au bistrot avec Olivier, lors de l'un de ses passages à Paris (Olivier vit au Chili) où, après cette histoire de chanteur sans nom, on est partis sur l'idée d'un chanteur menacé de mort, et là on s'est dit : "Dominique A. !" Ce qui nous a fait rire instantanément, car absolument personne ne veut tuer Dominique A... et qu'il y a bien d'autres chanteurs à abattre avant Dominique A., qui serait plutôt le dernier sur la liste. Alors pourquoi lui ? Je venais juste d'écrire des chansons pour une chanteuse qui s'appelle Ooti, et sur son album La Boîte à Ooti, il y avait deux duos avec Dominique A. J'étais en fait en train de me reconnecter à sa musique, c'était tout frais : j'étais en train d'écouter ses disques, il était là, et très disponible pour se faire assassiner, sans aucune raison. C'était tentant !
Olivier Balez : Cette anecdote est amusante, car moi je suis au Chili. On se voit une ou deux fois par an dans le meilleur des cas, et pour cet album, notre éditeur Franck Marguin, avec qui on aime beaucoup travailler, nous avait dit, comme on avait mis la barre assez haut avec le Chanteur sans nom, que l'album avait bien marché, qu'il avait été sélectionné pour Angoulême. Il nous avait donc dit : "Pour la prochaine histoire, il va falloir faire fort..." Du coup, on avait un peu la pression, et dans cette discussion qu'Arnaud a très bien résumée, on a vraiment éclaté de rire à l'évocation du sort réservé à Dominique A., et on a commencé à imaginer deux, trois, scènes, mais vraiment comme ça, "en live", qui nous ont encore fait plus rire, et l'on s'est dit que cela pouvait vraiment fonctionner...
k-libre : Je confirme, cela fonctionne parfaitement !
Arnaud Le Gouëfflec : Le paradoxe, c'est que l'on peut avoir l'impression que la fin a été trouvée avant, et l'histoire construite après, autour de cette fin. En fait, pas du tout : on s'est quittés, avec Olivier, en se disant on veut tuer Dominique A., mais pourquoi, alors là... On n'en savait pas plus que le personnage...
Olivier Balez : Comme dans tout bon polar, il nous fallait une chute, qu'on avait pas encore.
Arnaud Le Gouëfflec : Et moi, j'aime bien me retrouver dans la peau du personnage qui ne sait pas. Un jour, en bagnole, alors que je retournais la question dans ma tête ("Mais pourquoi cet assassinat ?), l'idée m'est venue de cette chute. Elle m'a elle aussi fait rire, du même genre de rire que celui que nous avions eus avec Olivier au tout début, et là, je me suis dit que la boucle était bouclée...
k-libre : Sans trop en dire pour celles et ceux qui n'ont pas encore lu l'album, il y a un personnage de sosie qui arrive assez vite dans l'histoire. Il était là dès le début dans votre imagination ?
Arnaud Le Gouëfflec : Ce personnage du sosie est né suite à un reportage BD, qu'on est allés faire avec Olivier, sur le concert de Dominique A., au Théâtre de la Ville, pour croquer des ambiances de théâtre, voir Dominique A., bref prendre un peu la température. On s'est assis dans le grand amphithéâtre, attendant que le concert démarre, et là, on a été frappé par le nombre de tête chauves et de gens habillés en noir dans la salle... Ce vertige-là a inspiré le personnage du sosie.
Olivier Balez : Et il y avait même dans la troupe qui accompagnait Dominique A., un gars au crâne rasé, que l'on appelait Dominique B., et qui s'appelait Boulier ou quelque chose comme ça... On pouvait très bien le prendre de dos pour Dominque A. On s'est dit que c'était tout à fait plausible, notre histoire...
Arnaud Le Gouëfflec : C'est l'ingénieur du son de Dominique A.
Olivier Balez : ... qui fait aussi les cascades dans les clips ! [rires]
k-libre : Bon, une fois que vous avez votre histoire bien en tête, à quel moment en parlez-vous à l'intéressé ? Car après tout, il aurait pu ne pas être d'accord, même si les artistes ont toute liberté en matière de fiction...
Arnaud Le Gouëfflec : On a monté notre projet, conclu un accord avec notre éditeur, et à partir de ce moment-là on a contacté Dominique A. On ne voulait pas le faire tant que le projet n'était pas complètement engagé, histoire de ne pas abuser de sa patience. Et quand on l'a contacté, je marchais un peu sur des œufs, car il est un peu délicat de dire à quelqu'un : "Tiens, on va faire une BD qui va s'appeler J'aurai ta peau... Tout de suite il nous a répondu, avec une courtoisie sans faille : "Si c'est une fiction, j'ai pas à ramener ma fraise.", et aussi "Je ne veux pas lire de planche." (Je lui avais proposé.) Il est allé acheter cet album lui-même en librairie - car c'est un amateur de BD, ce que nous avons découvert pendant ce travail - car il souhaitait avoir le frisson de la découverte à la sortie.
Olivier Balez : Oui, et comme c'est un amateur de BD comme dit Arnaud, cela a aussi permis cette confiance de sa part ; il avait lu nos précédents albums, et il était plutôt honoré d'être un personnage de bandes dessinées, et se sentait entre de bonnes mains et nous a laissé faire.
k-libre : D'ailleurs, c'est un peu ce qu'il dit dans la préface que l'on peut lire dans cet album...
Arnaud Le Gouëfflec : Exactement. En fait, Dominique A. a vu deux pages, quand même, mais a découvert tout le reste après...
k-libre : Et avec Philippe Catherine, qui apparait lui aussi dans la BD, comment cela s'est-il passé ?
Arnaud Le Gouëfflec : On lui a aussi demandé son avis, mais là, a posteriori, une fois l'album quasiment terminé.
k-libre : Là aussi, on dirait le vrai... ou du moins ce que son personnage public laisse paraître.
Olivier Balez : Oui, là, c'est vraiment l'original [rires]. Ce qui est amusant, c'est qu'au début il était là, un peu dans le lointain, et puis il a pris de plus en plus d'importance, en contrepied parfait du personnage de Dominique A.
Arnaud Le Gouëfflec : C'est un peu le clown triste et l'Auguste, ce duo...
k-libre : Cet album est maintenant sorti il y a un an, quelle a été sa carrière jusqu'à présent ?
Olivier Balez : Il a été sélectionné pour le festival Bulles Zik. Le Chanteur sans nom avait eu le prix Bulles Zic.
Arnaud Le Gouëfflec : Il a eu le prix RTL du mois de janvier... Chaque mois un album est primé et à la fin de l'année, l'un des douze a le prix RTL tout court...
k-libre : Et vous êtes également en sélection pour le Prix SNCF du polar BD, qui est lui un prix du public.
Arnaud Le Gouëfflec : Oui, cela nous fait plaisir. D'ailleurs, il faut absolument que l'on ait ce prix ! [Rires]
Olivier Balez : Non, plus sérieusement, pour moi qui vit la bande dessinée tellement loin depuis le Chili, je suis rarement dans les festivals, c'est très important ces prix, et celui-ci donne une visibilité à l'album une année supplémentaire. C'est du pur bonheur, à une période où les albums sont tellement nombreux et très souvent de qualité... mais qui ont tendance à disparaitre très vite des librairies. Là, on pourra voir J'aurai ta peau Dominique A. jusqu'en mai... et plus si le prix arrive. Et on sera toujours là pour le défendre !
Liens : Arnaud Le Gouëfflec | Olivier Balez | Dominique A | J'aurai ta peau, Dominique A | Les Étoiles du Parisien / Aujourd'hui en France "Polar" Propos recueillis par Frédéric Prilleux