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Grand format
Inédit
Tout public
Paris : La Martinière, octobre 2010
190 p. ; illustrations en couleur ; 27 x 26 cm
ISBN 978-2-7324-4318-8
Retour sur les lieux du crime
Un photographe revient sur les lieux des crimes français les plus célèbres. Il écrit : "Ces lieux ont-ils gardé une trace ? Sont-ils habités par la souffrance de leurs victimes, par la cruauté de ce qu'ils ont vécu, par le mystère d'un crime non élucidé ? Quel genre de trace ? Qu'en reste-t-il ?"
Voilà une démarche passionnante qui nous vaut un ouvrage copieux et fascinant comme on n'en a encore jamais vu en France. En 1997, Chronicle Book avait édité un recueil dans le même esprit dû au photographe américain Joel Sternfeld, l'un des papes du "American Landscape" avec William Eggleston et Stephen Shore, de la couleur et du quotidien. Joel Sternfeld, dans On This Site: Landscape in Memoriam était retourné sur des lieux marqués autrefois par une tragédie. Il en avait tiré de grandes photos où la banalité se voyait revêtue de chaudes couleurs du présent et où le vide rappelait le passé. Jean-Michel Turpin, lui, est journaliste et reporter-photographe. Ainsi est-ce moins dans une optique plastique que dans un souci d'objectivité qu'il est retourné sur les lieux des crimes. Séparé en trois grands chapitres : Paris et sa Région, Sud et Nord de la France, le livre présente quarante lieux célèbres dans les annales judiciaires, de la Villa Tric à Gambais (Landru) au Manoir de Traou-Nez à Plourivo (Seznec). Contrairement à ce que pourrait faire croire cette première et dernière affaires, Turpin ne se contente pas de choisir des affaires anciennes (Agnès Sorel, Henri IV, Jaurès, Petiot, Auberge Rouge, puis Besnard, Dominici etc.), il revisite aussi les scènes très contemporaines qui ont déchaîné les médias (Cannibale japonais, Grégory, Carpentras, Émile Louis, Heaulme, Dutroux, Famille Flactif, Omar Raddad, Mesrine, Rer B, Dils, les Frères Jourdain, Patrick Henry, Ranucci, Spaggiari, Robert Boulin, Temple Solaire etc.).
À ce propos, il est intéressant de constater que, pour nommer une "Affaire", on choisit soit le nom du criminel, soit celui de la victime, soit, mais c'est plus rare, celui du lieu. Une étude universitaire sur ce sujet mériterait d'être entreprise...
Chaque affaire est traitée par Jean-Michel Turpin d'une double page qui s'ouvre sur une grande photo couleur et la mention d'une date, d'un lieu et de la commune. Le pavé d'une phrase choc en grosse typographie pâle fait pendant à la photo. Un texte important sur les deux pages suivantes est illustré d'autres documents photographiques issus de la presse.
Le grand mérite de Jean-Michel Turpin est de nous replonger dans ces affaires que nous croyions nôtres et dont on se rend compte qu'il ne nous reste que des bribes. Il est passionnant, pointu et clair dans ce travail de compilation. Le dossier Boulin est l'un des plus réussis, avec cette photo actuelle de "l'Étang Rompu, Saint-Léger-en-Yvelines, forêt de Rambouillet", puis, derrière, les vues, en noir et blanc, du même lieu avec les enquêteurs, le cadavre aux poignets marqués, un portrait officiel et l'une des (fausses ?) lettres de suicide.
Il n'y a rien a reprocher quant à l'écriture et au travail de recherche. Un bon point pour les lignes finales où Jean-Michel Turpin donne sa vision du lieu actuel et des informations supplémentaires. La grande photo couleur est par contre caviardée par la présence, discrète, de la fameuse bande jaune "Gendarmerie nationale zone interdite" (version française de la fameuse "Crime scene" américaine que Jean-Michel Turpin a placée pour marquer plus précisément le lieu actuel et le resituer dans son passé tragique. Quel dommage ! Il démolit son concept artistique alors qu'il lui suffisait de marquer d'une croix la reproduction réduite dans les deux pages documentaires suivantes. Idem pour l'extrait en grosse typo en regard de la grande photo qui n'a pas lieu d'être. La mise en page de cette ouverture de dossier aurait eu tout à gagner à être plus sobre et plus muette voire présenter deux vues face-à-face en pleine page sans recourir à ce "fil rouge" un peu enfantin. Les lecteurs, surtout depuis les photos de façades de provinces françaises de Raymond Depardon, auraient eu suffisamment de sens esthétique pour apprécier.
Les Lieux du crime est plus un livre de reporter photographe que celui d'un plasticien mais sa valeur n'en est pas diminuée pour autant. Il s'inscrit dans notre patrimoine historique tout en jouant sur la proximité et le vécu de la photo. Une belle leçon d'histoire criminelle qui doit être en place d'honneur dans notre bibliothèque.
Citation
Brisant la banalité des paysages, j'ai marqué chaque lieu d'un morceau de ruban jaune, celui qu'utilisent les enquêteurs pour délimiter une scène de crime.