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Ombre à l'italienne
Il est amusant de voir comme les critiques sérieux et salonnards se sont rués sur le terme de "giallo" pour définir Le Jeu de l'ombre, roman écrit par Sire Cédric, le lauréat des prix Cognac et Cinécinéma Frisson (excusez du peu...), sans apparemment trop savoir ce qu'il signifie. On imagine donc qu'il devait figurer sur le dossier de presse.
Donc, critique sérieux salonnard qui me lira peut-être d'une fesse distraite, sache que "giallo" vient d'Italie (et pas de New York, déjà quelques points de branchitude en moins), à l'heure des "gialli Mondadori", l'une des premières collections de polars en masse devenue mythique — comme la "Série noire" d'ailleurs — et dont l'esthétique, outre le jaune, fit des émules avec sa capsule ronde renfermant une illustration.
Par la suite, le terme fut étendue à cette série de films à suspenses baroques typiquement latins virant parfois à l'horreur, influencés tant par les adaptations allemandes d'Edgar Wallace que par les bandes dessinées, initiées par Mario Bava (le fuligineux Six femmes pour l'assassin) et surtout Dario Argento (L'Oiseau au plumage de cristal). Les assassins gantés de noir syndiqués moissonnant des donzelles dévêtues ont vite fait capoter le genre dans l'auto-parodie...
L'éditeur Néo Publishing a bouclé la boucle en créant une collection de DVD "giallo" particulièrement soignée en reprenant l'esthétique des Mondadori.
Donc, ce roman est-il bien un giallo, le genre ayant bizarrement peu inspiré la littérature ? Années 1970 oblige, on y prenait généralement pour protagonistes des riches oisifs ou des artistes au bord du gouffre.
En ce sens, Malko Swann, musicien de trente-cinq ans, au talent proportionnel à l'arrogance qui l'habite, représente un avatar du pianiste Marcus Daly de Profondo Rosso d'Argento, et son aventure (un accident de la route, un réveil à l'hôpital et Marko Swann n'entend plus la musique) lui fera découvrir ses propres limites, le roman permettant plus de travail psychologique que le cinéma.
De même, une des constantes des "gialli" d'Argento — un événement ou une vision qui, une fois interprété correctement, donne un nouvel éclairage au récit — est présenté à travers l'accident de voiture ouvrant le roman.
Le criminel diabolique est bien présent à travers une affaire apparemment indépendante qui va se refermer sur Swann, car pour lui le cauchemar s'amplifie à mesure que l'on tourne les pages. Le baroque est également là à travers ses multiples visions : manipulation ou divagations d'un esprit malade ? En ce sens, la révélation finale est plus ou moins prévisible, mais prend de l'intérêt via un twist inattendu.
Les meurtres sanglants nous sont par contre épargnés, l'auteur ayant déjà fait couler l'hémoglobine à flots dans a href="http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=livre&id=914" title="Chronique de De fièvre et de sang sur k-libre">De fièvre et de sang. Ceux qui furent d'ailleurs rebutés par l'élément fantastique présent dans ce précédent roman seront rassurés. Ici, le fantastique est diffus, suggéré plus que flagrant, permettant à chacun d'avoir sa propre interprétation.
Enfin, le rythme effréné et très cinématographique de De fièvre et de sang s'efface devant une écriture plus mûre, prenant davantage le temps de poser son intrigue, mais dont la sincérité ne fait aucun doute.
C'est certainement du très bon roman populaire moderne...
Citation
Belleville n'avait pourtant pas un physique à inspirer la peur. Il dégageait, au contraire, une certaine beauté surannée, avec son visage naturellement lisse et ses cheveux noir d'ébène peignés en arrière. Sa voix était d'une douceur calculée. Sans un mot plus haut que l'autre, jamais. Il était difficile de comprendre pourquoi un tel homme provoquait généralement ce sentiment irrationnel de danger.