Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Préface d'Ivan Passer
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Daniel Lemoine
Paris : Folio, novembre 2003
434 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-07-030487-6
Coll. "Policier", 314
Miroir désincarné
Roman éblouissant de noirceur et malheureusement méconnu, Fin de fiesta à Santa Barbara est le miroir parfait de la désillusion américaine au lendemain de la guerre du Vietnam. Tout tourne autour de Cutter et Bone, deux personnages qui passent leur temps à boire et à baiser pour oublier qu'ils sont morts de l'intérieur dans un monde extérieur qui n'a que l'impression d'être vivant. Heureusement pour eux, il y Mo et Alex V pour les aider à surnager. Cutter et Bone, rien que leurs noms les situe. Le premier est un rescapé de la guerre, un demi-rescapé devrait-on dire : un œil, un bras et une jambe en moins ça force le respect des patriotes mais en dehors de ça ça rend surtout cynique, caustique, nihiliste et autodestructeur. Le second n'a que son corps d'Apollon pour forniquer à tout va et s'éclipser sans aucun état d'âme. Les deux sont amoureux de Mo, mais Mo est la mère d'Alex V, la compagne d'infortune de Cutter, qui plane à base d'alcool et de barbiturique.
Cette vie sans but se retrouve chamboulée lorsque rentrant à pied, Bone croise sur sa route un énergumène au volant d'une puissante berline qui ne trouve rien de mieux que de jeter le cadavre d'une gamine de dix-sept ans dans une poubelle. Dans le journal du lendemain, dans les pages intérieures, un éleveur des Ozarks de passage pose auprès de sa voiture calcinée. En un réflexe Bone le reconnait, mais il n'en est pas sûr ou n'en a pas envie, alors malgré l'insistance de Cutter, il décide de continuer à survivre dans sa routine mortifère.
Mais Cutter ne l'entend pas de cette oreille et part à la rencontre de la sœur de la victime dans le but avoué d'exercer un chantage sur le criminel. C'est à partir du moment où ce plan génial s'installe que tout ce qui allait déjà de travers va aller encore plus de travers. Cutter est incontrôlable et hésite entre mener à bien son objectif du moment et en finir avec la vie. Mais vieux débris lâche comme il est, il ne peut se suicider. Il passe son temps à provoquer les gens d'un air narquois. Seul Bone le comprend et ne peut se résoudre à le voir se faire encore plus déglinguer. Il suit le mouvement sans même savoir quelles sont ses motivations à lui.
Cette histoire que l'on peut pressentir d'une banalité crasse malgré les tableaux qu'elle dépeint, sous la plume de Newton Thornburg prend une dimension difficile à juger si l'on n'a pas lu le roman écrit en 1976 à l'heure du plus grand réveil du rêve américain. Guerre du Vietnam, chômage, précarité, sexualité, drogue, alcool, dérives, désuétude : plus de quatre cents pages d'un condensé de misère, de mal-être à ne pas comprendre pourquoi l'auteur ne s'est pas tiré une balle dans la tête où les phrases sont écrites au cordeau, pas un mot de trop jusque dans les monologues inflammatoires et jouissifs de Cutter. L'amoralité portée par tous les personnages va jusqu'à dépasser tout ce à quoi l'on pouvait s'attendre. Car Newton Thornburg adore ses personnages mais n'hésite pas à les faire aller au bout d'eux-mêmes, au bout de leur folie, au bout de leur mort... Àmes sensibles s'abstenir. Il faut avoir une bonne dose de courage ou d'inconscience avant d'aborder ce livre au titre français totalement absurde. Pour paraphraser Thornburg qui décrivait ainsi son personnage de Swanson, il était* bel et bien le dernier Américain vivant à toujours regarder cette Génération perdue.
*Newton Thornburg s'est éteint dans l'anonymat le plus complet le 9 mai 2011.
Citation
Les flics étaient si occupés à dresser des contraventions pour excès de vitesse aux contribuables honnêtes qu'ils n'avaient pas le temps de traquer les assassins, surtout ceux qui jetaient les lycéennes à la poubelle.