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Facettes du monde actuel
Écrire un roman noir, c'est aussi - certains diront avant tout -, une question de construction. Avec Dans la vie, Aïssa Lacheb nous offre un texte en trois parties, qui pourraient se lire indépendamment mais qui offre de l'une à l'autre des résonances. Dans sa troisième et dernière partie, présente sous la forme d'un conte laissé par une institutrice à sa mort, il nous délivre une fable qui à travers l'histoire d'un enfant montre combien dire la vérité nous expose à ne pas être cru, à être puni, et que les notions du Bien et du Mal ne sont pas toujours aussi antagonistes qu'elles le semblent.
On peut d'ailleurs y voir un rapport avec la première partie (où sur un thème casse-gueule, Aïssa Lacheb a la bonne idée de s'arrêter à temps, juste avant que le sujet ne s'épuise de lui-même stérilement). Un narrateur ordinaire a décidé de tuer tous les salauds. Vaste programme comme aurait dit le Général. Réduction de l'ambition du personnage qui se "contentera" de liquider ceux qui lui déplaisent. Mais à peine a-t-il commencé, qu'il s'aperçoit que sa liste s'allonge bien plus vite qu'il le pensait, et qu'il ne peut suivre le rythme imposé - essayez vous-même c'est assez impressionnant.
Puis le récit bascule dans une longue partie centrale, qui quitte le registre intimiste du journal du tueur pour devenir un roman noir social, à la Thierry Jonquet en cela que l'auteur use de descriptions âpres et sordides, prenantes et fortes d'une maison de retraite où chacun essaye de surnager entre les restrictions budgétaires, le petit patron fonctionnaire imbu de son autorité et le personnel qui oscille entre ceux qui veulent faire de leur mieux pour colmater les errances du système et ceux qui n'attendent de ce métier qu'une paye. C'est cette structure particulière et la façon dont se développent les thèmes qui l'éloigne du classicisme "polar" sans pour autant abandonner les canons d'une écriture blanche classique, et cette approche prend le risque de jouer des tours à son texte. Le risque principal étant qu'il ne satisfasse personne.
Pourtant, brassant des thèmes propres au roman noir ou au polar - le réalisme social, le tueur en série, le renversement de la morale traditionnelle, ponctuée de cadavres divers et variés (y compris des morts naturelles) -, Dans la vie pourrait aussi illustrer, de manière intelligente et sensible, Charlie Chaplin dans Monsieur Verdoux lorsqu'il est au tribunal et qu'il doit rendre des comptes sur les raisons qui l'ont poussé à tuer des femmes pour s'emparer de leur argent. Le tueur est-il plus coupable que la société qui produit des mouroirs à vieux ? "Je ne voudrais pas perdre mon calme au moment de perdre ma tête."
Citation
J'ai barré son nom avec le feutre, c'était réglé. Je me sentais bien. A chaque fois, ce serait comme ça, je me sentirais bien.