Contenu
Histoire du 36 quai des Orfèvres
Grand format
Inédit
Tout public
502 p. ; illustrations en noir & blanc ; 25 x 16 cm
ISBN 978-2-84724-267-6
Les petites cellules grises
"L'ancien patron de la PJ raconte", sous-titre placé après le nom de l'auteur, aurait pu faire craindre un boulot de commande genre travaux de Pierre Bellemare. L'éditeur a d'ailleurs l'honnêteté de créditer les "collaborateurs" de cet épais pavé dès sa page de garde. Et ils ne sont pas moins de trois : Dominique Cellura, Alissia Grifat et Franck Hériot. Mais, à la lecture, il s'avère que ce sont vraiment les souvenirs et les commentaires de Claude Cancès qui sont au cœur de l'ouvrage ; les collaborateurs s'étant chargés du lissage, des transitions et de l'importante documentation qui retrace l'historique du 36 et celui des grandes affaires traitées.
À tout seigneur tout honneur, le Chapitre 1 raconte l'entrée de Claude Cancès dans la police. Après son service militaire en Algérie, il devient pion puis, étant bachelier, entre comme OPAC (Officier de Police Adjoint Contractuel) le 2 mai 1963 au 36 quai des Orfèvres en service actif dans la 4e BT (Brigade Territoriale) qui ressemble un peu à une PJ locale. C'est le bal des initiales tout le long du livre ! Outre le fait que les structures initialisées vont être les cailloux blancs de son parcours policier jusqu'à sa consécration comme patron du 36, de 1993 à 1995, Claude Cancès affiche une sincérité et une simplicité louables. Après ce chapitre introductif, où le jeune homme se voit lesté d'un pétard, de balles, et d'une carte de police sans autre précaution ou entraînement, on l'expédie ensuite à la Brigade Mondaine où il aura l'occasion de croiser le gratin du show-biz et les grandes mères maquerelles comme Madame Claude ou Madame Billy qui fournissent les call-girls. Mais voilà qu'il passe le concours de commissaire en 1972 et qu'il le réussit grâce à ses potes qui lui épargnent les grosses affaires pour qu'il potasse...
La première partie du livre est un pur historique de la police à partir du XVIIe siècle, avec, en vedette Gabriel Nicolas de la Reynie (1625-1709), premier lieutenant de police "moderne". Suivront les noms de Louis-Nicolas Dubois, premier préfet de police créé par Bonaparte et le fameux Vidocq, chef des réseaux d'indics. Après les inventions de Bertillon, le "néo style" de la bande à Bonnot est bien détaillé tout comme les Affaires Stavisky, Violette Nozière, et la sinistre bande de la Gestapo française de la rue Laurisson dirigée par le truand Henri Lafont et le sinistre inspecteur Bonny. Le parcours de Pierrot le Fou et de l'abominable Marcel Petiot ne sont pas oubliés et constituent une bonne transition avec l'épuration et l'après-guerre. Les rédacteurs en bons compilateurs citent, et c'est nouveau, des pages entières de livres prouvant ainsi que cela ne sert à rien de paraphraser ses sources. Nous abordons en page 147 la période contemporaine à l'arrivée de Cancès. Après le faux attentat contre Mitterrand (un scoop ?) et le vrai contre le Général de Gaulle et Madame au Petit-Clamart (150 balles tirées sur la DS), suivent les Affaires Ben Barka et Markovic, garde du corps d'Alain Delon retrouvé enveloppé d'un grand plastique dans une décharge. Outre le scandale des rumeurs courant sur Madame Pompidou, Cancès nous apprend que le plastique était "une housse de matelas de marque Treca de très grand luxe qui n'a été vendue qu'à deux mille exemplaires". Les flics débarqueront chez l'un des acheteurs que l'on retrouvera d'ailleurs dans l'Affaire de Broglie, abondamment traitée (trop sans doute car elle est très compliquée) plus tard dans le livre. Cancès arrive à la Criminelle en 1975, c'est la grande période des enlèvements d'hommes de pouvoir qui culminera avec ceux de Louis Hazan, P.-D.G. de Phonogram puis du baron Empain, mais il y a aussi des criminels redoutables, comme Bernard Pesquet, dit le Landru du Val-d'Oise dont on apprend des aventures lors de la Seconde Guerre mondiale. L'auteur revient aussi sur la fusillade de l'Ambassade d'Irak en juillet 1978 qui coûta la vie à son ami Jacques Capela. Il enchaîne sur les Irlandais de Vincennes et le faux enlèvement de Jean-Edern Hallier : "Lors de son audition, les inspecteurs étonnés par le pli impeccable de son pantalon après une semaine de séquestration, lui avaient demandé de l'ôter... Ils purent ainsi constater la propreté de son slip et douter de la réalité de son enlèvement !" L'Attentat de la Rue des Rosiers, Action Directe, Le gang des Postiches, Thierry Paulin le tueur de dix-sept vieilles dames, Guy Georges, Human Bomb et la Maternelle de Neuilly sont les principaux dossiers dont rend compte Cancès miné de plus en plus par des manœuvres politiques. Car outre les dossiers, la "cuisine intérieure" du 36 n'est pas oubliée avec les luttes d'influence et les têtes qui valsent.
Au final, un pavé très lisible de cinq cents pages lesté de deux cahiers-photo bienvenus pour feuilleter un grand pan de notre histoire criminelle nationale.
Citation
Oui, c'est bien ça : lui comme Debré – surtout Debré -, aimeraient certainement que je fasse mes adieux à la 'Grande Maison'.