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La Police parisienne et les Algériens (1944-1962)
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Inédit
Tout public
Citoyens colonisés
Cet important travail universitaire de près de cinq cents pages traite du "problème nord-africain", terme générique utilisé par la police parisienne surtout après la Seconde Guerre mondiale. C'est l'enquête fouillée d'Emmanuel Blanchard, maître de conférence en science politique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).
Cette étude a le mérite d'être fort bien construite, avec chapitres et sous-chapitres titrés, notes en bas de pages, et annexes copieuses comprenant une biographie de tous les préfets concernés (dont Maurice Papon de sinistre mémoire), un organigramme des directions de la préfecture de police (de 1958 à 1962), un autre du Service de Coordination des Affaires Algériennes (SCAA) de 1958 à 1962 et une liste de 152 sigles et abréviations dont le commun des lecteurs ne connaît que le FLN, la PJ, la DST, le PCF, la BAC, le TGI, la CGT, la CRS, l'IGS, l'INSEE, le MRAP, l'OAS, l'ONU, le PCF, la RATP, les RG, l'URSS, le SNCF et les ZUP. Emmanuel Blanchard y joint huit pages de sources, seize pages de références-bibliographie, un index indispensable de noms, une page de remerciements et une table des matières détaillée.
L'évènement phare de cette relation explosive entre la Police et les Algériens est, bien sûr, la manifestation du 17 octobre 1961, organisée par le FLN contre le couvre-feu imposé aux Algériens et qui sera mortellement réprimée à l'instigation de Maurice Papon, Préfet de Police (après son poste à Bordeaux où il s'occupa des questions juives, il fit une longue carrière en Algérie) qui a reçu un "chèque en blanc" de la part du gouvernement. L'État taira et tait toujours le nombre de morts. "L'établissement du nombre de victimes pourrait même continuer d'être précisé mais il ne s'agit pas de l'optique choisie dans ce livre", prévient l'auteur. "Afin d'en prendre la mesure, il est donc nécessaire de réinscrire "octobre 1961' dans une histoire des répressions coloniales".
L'ouvrage entend donc étudier les différentes facettes de cette relation qui a conduit à ce "massacre d'État en situation coloniale", ainsi que le qualifie l'auteur. Tout a sans doute commencé par cette loi du 20 septembre 1947 qui change le statut des Algériens. Contrairement aux Tunisiens et aux Marocains qui sont sous protectorat et qui doivent posséder un passeport pour venir en France, les Algériens, comme habitant une province française, obtiennent toute liberté pour se rendre en France métropolitaine. "Dans un premier temps, les effets furent limités en raison du manque de moyens de transport disponibles et de leur affectation prioritaire au transport des troupes et des fonctionnaires. À partir de 1947, la concurrence entre compagnies privées accrut l'offre et fit considérablement baisser le prix de la traversée. La suppression du régime des autorisations de voyage entre les départements algériens et la métropole put alors donner sa pleine mesure". La police ne pouvait donc plus "ficher" à l'arrivée ni réguler. Elle mit en place diverses techniques pour garder la main sur "les Français d'Algérie"... Emmanuel Blanchard détaille alors "les innovations et adaptation d'une police des citoyens colonisés" qui se confronte violemment aux manifestants en juillet 1953, place de la Nation et à la Goutte d'Or en juillet 1955, ceci en parallèle au courant indépendantiste algérien, là aussi réprimé dans le sang notamment à Constantine. À partir de cette bataille de la police, en bon sociologue, le chercheur analyse aussi les données sociales du conflit : la ghettoïsation, l'analphabétisme, la clochardisation, la criminalisation des activités politiques, et même celles de la représentation de la sexualité des Algériens sans oublier le vocabulaire méprisant utilisé par la police, la presse et la population. L'ouvrage est séparé en quatre parties. Trois d'entre elles reviennent à chaque fois, aux années 1940, ce qui rend la lecture d'une chronologie globale difficile. Seule la dernière "Éliminer les indésirables" : nouveaux dispositifs et radicalisation d'un répertoire d'action" concerne les années 1958 à 1962. L'auteur y détaille les moyens répressifs mis en place : rafles, reconduites, camps d'internement en France, militarisation de la police, brutalités voire éliminations physiques avant le chapitre ultime : "Une répression sans limites : le 'chèque en blanc' accordé à Maurice Papon".
D'une écriture prudente, argumentée, un peu sèche et dépassionnée, gage de l'objectivité de l'historien, ce livre est pour un public motivé de niveau universitaire.
Citation
Au début de l'année 1958, l'insubordination d'une police parisienne tentée de se faire justice pour pallier la supposée faiblesse des moyens légaux de répression et désireuse de faire pression sur un pouvoir politique dont elle menaçait de se détourner, ne fut pas seulement une parenthèse.