Le Deuil et l'oubli

Je ne suis peut-être plus un espion ou une taupe. Mais un fantôme, je le suis assurément. Comment pourrais-je ne pas l'être, avec dans ma tête ces deux trous par où coule l'encre noire qui me sert à écrire ces mots ?
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Roman - Policier

Le Deuil et l'oubli

Disparition - Assassinat MAJ lundi 28 novembre 2011

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22 €

John Harvey
Far Cry - 2009
Traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau
Paris : Rivages, novembre 2011
446 p. ; 24 x 16 cm
ISBN 978-2-7436-2285-5
Coll. "Thriller"

Comme un tableau de Munch

Un roman c'est avant tout la bonne interaction entre une histoire et son traitement. John Harvey avec Le Deuil et l'oubli évoque d'abord le quotidien d'une femme qui a perdu sa fille en multipliant les détails avant de repartir en arrière et de décrire à nouveau cette perte. Par la suite, il revient au présent pour montrer un nouveau choc que subit la même femme. Comme la solution à tout ça est peut-être dans le passé, la police fouille de nouveau l'histoire ancienne. Il faut ajouter à cela une autre intrigue où le policier tenace cherche de nouveau dans le passé d'un suspect de quoi l'inculper pour un crime présent.

C'est ce ressassement au cœur de l'intrigue qui constitue le fil le long duquel court l'histoire. Le tout baigne dans une atmosphère de plage déserte sans soleil, où trônent des sculptures de brume où se noient les petites filles, s'érigent des appartements vides et des fermes abandonnées, des camps gitans, où les écoles ne sont pas un lieu d'apprentissage mais le supermarché des pédophiles. Helen Walker est une policière moderne, courant d'un homme à l'autre, cherchant le bonheur, rêvant de promotion, le tout lui donnant une certaine force de vie. Face à elle, Grayson et Crodon, tous deux également policiers. Autant grayson est inséré dans le monde, avec sa famille qu'il chérit par dessus tout, autant Crodon vit seul, monopolisé par son travail et l'acharnement qu'il met a étudier chaque cas. Mais les deux hommes ont en commun la démarche qui fut l'apanage des policiers de Robin Cook : donner une vie, une parole aux victimes. Les deux policiers reprennent, reviennent en arrière, ne se contentent jamais d'un non. Ils s'enracinent dans le passé, où ils puisent la force de continuer, et ce n'est pas un hasard si Grayson a une larme lorsque, au détour d'une enquête, il va retrouver le corps d'une petite fille disparue depuis des années. De même, la mère d'une victime vit avec le fantôme intermittent de sa fille morte et un homme s'est retiré dans une cabane sur la plage, loin de tout pour penser à son fils suicidé.

On ne fait jamais le deuil de son passé. Ceux qui n'y pensent pas sont justement les coupables et ce sont eux qui se sont retranchés de l'humanité. Même si le bonheur est fugace (et Grayson en fait l'amère expérience), s'il faut parfois se contenter de l'amour d'un amant qui vous frappe ou veut vous déguiser en fillette pour assouvir ses instincts, même si un câlin, un café, ou le simple fait de voir la couverture qui cache l'enfant kidnappé se soulever révélant sa vie fragile, chaque joie est bonne à prendre (d'ailleurs le roman évite toutes les scènes scabreuses, sexuelles ou de découvertes des corps), entouré des vivants qui vous aiment et des morts qui vous soutiennent. Faire le deuil, c'est oublier, c'est tuer une seconde fois et les personnages les plus attachants sont ceux qui résistent à cette douleur en la conservant comme partie d'eux-mêmes, à l'image de ce père lisant et relisant sur la plage Crime et Châtiment, de Dostoïevski, en attendant son fils suicidé.

Citation

Ne te forge jamais d'idées trop vite, répétait inlassablement son père : pour identifier, il faut en général procéder par élimination ; rares sont les oiseaux qu'on reconnait en dehors de toute comparaison.

Rédacteur: Laurent Greusard lundi 28 novembre 2011
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