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Au guet-apens, chroniques de la justice pénale ordinaire
Grand format
Inédit
Tout public
Les deux misérables orphelines sans famille
C'est un avocat très engagé dans la justice "populaire", celle des avocats commis d'office pour défendre les "petites gens" pour ne pas dire le quart-monde. Au sommaire de son livre pas de grands procès mais des affaires banales dont certaines bien sanglantes et un plan de com' percutant bien réceptionné par les médias. L'étonnement face au pseudonyme genre jeu de mot laid s'explique par le fait que cet avocat du barreau de Lille tient un blog depuis 2008 où il s'épanche longuement sur l'injustice et ses misères. Au fil du clavier, il est parvenu à accrocher de nombreux lecteurs dont un ami journaliste basé à Londres qui a parlé de lui à une éditrice de La Table ronde. Celle-ci fut convaincue du talent de notre homme en lisant Au Guet-Apens, le long récit désormais au cœur du recueil. Ce Guet-Apens est le nom d'un café tenu par un ancien légionnaire et sa femme. C'est aussi le seul endroit où Ahmed, un mince petit bonhomme habillé de pantalons à pattes d'eph' et de chemise au col en pelle à tarte, vient pleurer quand Geneviève, sa grosse bonne femme de plus de cent kilos et d'un mètre quatre-vingt lui flanque une raclée et va cuver son vin sur un banc public. Roger, le légionnaire, meilleur client de son troquet, pousse Ahmed à se débarrasser de son encombrante moitié. Il possède aussi un énorme couteau dans son grenier. Un soir, alors que le couple s'est encore disputé et que leurs six enfants dorment, Ahmed va se plaindre auprès de Roger et reste avec lui jusqu'à la fermeture. On retrouvera plus tard Geneviève égorgée dans un fossé à quelques kilomètres du village. De ce fait divers sordide, Maître Mô, qui s'appelle Jean-Yves Moyart (il a autorisé la publication de son nom à l'occasion de la sortie de ce livre) a fait une chronique surprenante avec des coups de théâtre à la clé qui remettent en cause son éthique d'avocat. Mais le ton des nouvelles est inégal car il utilise des styles qui ne sont pas toujours compatibles en littérature (mais qui peuvent l'être pour les plaidoiries). Exemple, le premier fait divers intitulé "Misérable" : voilà Odile, une pauvre fille passant au tribunal pour un vol de chaussettes de neuf euros cinquante. Le meilleur c'est le dialogue cynique entre la juge et la prévenue qui avoue qu'elle entend des voix. Le moins bon ce sont les considérations de Maître Mô présent pour une autre affaire, et qui s'indigne des lois, des magistrats aux ordres, des manques de services sociaux etc. etc. Par le titre de cette nouvelle, l'auteur assume son côté "mélodrame hugolien". Entre la dénonciation du système, les procédures judiciaires détaillées, le pamphlet, l'emphase, le sentimentalisme pompeux, le lyrisme cliché, les faits bruts (le récit "Noël" est un sommet de sadisme trash) et l'introspection (c'est un avocat qui souffre, sue, pleure souvent et même vomit), on obtient un déballage dont le manque de rigueur littéraire gêne aux entournures. Il aurait fallu choisir un axe et un seul. Sans doute le seul cynisme (et son corollaire l'humour noir) aurait-il été plus percutant. Mais l'auteur s'investit tellement qu'il va s'adresser directement à un accusé qui s'est pendu, ou à une petite fille violée par le compagnon de sa mère. Ces débordements de sentiments intimes ne font pas forcément un bon cocktail avec les agissements d'accusés ayant "cinquante mots" pour s'expliquer. Sans doute faut-il voir dans ce mélange, les restes de l'écriture du blog. Et pourtant l'éditeur et l'auteur ont travaillé à adapter le ton du blog au style livresque. Il est indispensable de livrer ici cet extrait des impressions du sincère Maître Mô (avec ses fautes) car ce travail est toujours passé sous silence. Son récit (lisible sur maitremo.fr) permet aussi de cadrer les ambitions qui pourraient saisir les blogueurs.
"Les quatorze récits qui y ont été repris ont tous été publiés d'abord sur ce blog, le lecteur assidu les connaîtra donc toutes ; mais, sans vouloir le moins du monde appâter le chaland, je vous confirme qu'elles ont toutes été réécrites, et que d'ailleurs, loin d'être la simple formalité que ma naïveté et mon orgueil me faisaient présumer, cette réécriture, très sérieusement, à été une véritable souffrance, pour nous trois (ma naïveté, mon orgueil, et moi, suivez un peu)... Je comprenais qu'on doivent les retravailler pour en supprimer les digressions bloguesques, l'écriture sur un écran et sur une feuille de papier n'ayant, je le sais maintenant, rien en commun... J'ai découvert qu'elles étaient constellées de répétitions, de fautes, de lourdeurs de style, que sincèrement je n'avais pas vues, et qui m'ont d'abord persuadé qu'il fallait tout arrêter, et incidemment de l'indulgence extrême de mes lecteurs Ouaibe... j'ai aussi découvert qu'une phrase de vingt lignes sans ponctuation, dans un livre, ça peut peu, et que les adverbes en 'ment' sont mes ennemis, et que... Bref. Et puis finalement, non sans mal, poussé en cela par l'éditrice précitée, à qui je dois beaucoup, j'ai été au bout ; et, à la relecture finale, j'ai eu l'impression que c'était mieux écrit, sans pour autant que ça ne soit plus dans 'mon style', si j'en ai un - et c'est une prouesse, croyez-moi !"
Citation
Mais madame, ce ne sont quand même pas vos voix qui vous demandent de voler des chaussettes, si ?