Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Alexis Champon
Paris : Le Masque, février 2012
352 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7024-3647-9
Coll. "Agatha Christie", 11
Le bon docteur assassiné
"Vous me demandez de vous restituer une impression fugace, mais la malédiction des impressions fugaces c'est précisément qu'elles le sont et qu'une fois le moment passé, on est toujours tenté de donner aux événements un sens qu'ils n'avaient pas sur l'instant."
Pour suivre toute la logique d'Hercule Poirot dans cette enquête diabolique écrite en 1946 par Agatha Christie, il incombe justement de bien resituer les principaux éléments et protagonistes du meurtre d'un docteur compétent, aimé de trop, quelque peu volage et marié à une femme qui l'admire et se sous-estime. Le Vallon est la propriété dotée d'une piscine de Lady Angkatell. C'est près de cette piscine que se tient Gerda Christow, un revolver à la main, le corps tout juste agonisant de John, son mari, à ses pieds. Le malheureux n'a que le temps d'ânonner dans un dernier souffle : "Henrietta". Les oreilles d'Hercule Poirot l'ont entendu. Sa vision, elle, le rend perplexe. Car sitôt le mort mort, Henrietta prend des mains de Gerda le revolver que maladroitement elle laisse tomber dans la piscine, ce qui rendra toute trace d'empreintes impossible à révéler. Qu'à cela ne tienne, l'enquête et la balistique découvriront que ce n'est pas l'arme du crime.
Fidèle à ses habitudes, Agatha Christie a bien dressé ses plans. Plan géographique d'abord puisque cinq chemins mènent à la piscine, et que trois personnages féminins arrivent peu ou prou en même temps bientôt suivis d'Hercule Poirot. Gerda dont nous avons déjà parlé se retrouve nez à nez avec Henrietta Savernake, sculpteur, et actuelle amante et amoureuse folle de John Christow, et Lucy Angkattel, vieille aristocrate délurée. Arrivent alors avec leurs accoutrements de chasseurs, sir Henry Angkatell et Edward, l'un des jeunes héritiers Angkatell avec David. Puis Midge, roturière sans fortune, et Gudgeon, fidèle domestique.
Il faut quelque peu suivre car les relations sentimentales entre les différents personnages ont une importance capitale dans l'intrigue. En effet, comme dans les meilleurs romans de Boileau-Narcejac, la jalousie est le personnage principal. Midge aime Edward qui aime Henrietta qui aime John. John est le mieux loti de la bande dans un premier temps (avant sa mort, qui le range au dernier rang des bien lotis très vite) puisque au rang des femmes qui l'aiment avec passion s'ajoutent sa femme, Gerda, et Veronica Cray, une actrice ancienne fiancée perdue de vue depuis quinze ans. C'est d'ailleurs cette dernière qui va décanter une situation qui aurait déjà dû exploser depuis longtemps. Mais en attendant, quand Hercule Poirot observe la scène qu'il a sous ses yeux, il se demande s'il n'est pas spectateur d'une pièce de théâtre où chacun a un rôle bien défini.
Agatha Christie en profite alors pour dérouler ses pelotes de ficelles, user de rouerie bien recyclées (le lecteur ne devrait jamais oublier de se demander à qui profite le crime), et de dépeindre de façon caricaturale les personnages de l'Angleterre de l'après-guerre. Mais c'est bien dans l'étude psychologique qu'elle excelle. Et si Poirot croit qu'il est au théâtre, le lecteur, lui, l'est bel et bien. Chacun a ses affres, ses démons, ses envies, ses lacunes. Dans une traduction d'Alexis Champon entièrement révisée, la justesse des analyses se retrouve dans des phrases bien senties. On s'éloigne alors du roman à énigme résolu par un détective belge à moustaches pour se rapprocher d'un roman noir psychologique, qui laissera des traces sur le lecteur mais qui perturbera la botte de Poirot...
Citation
Avec un étonnement soudain, Hercule Poirot s'avisa qu'au cours de sa longue fréquentation de la violence sous toutes ses formes, il ne s'était jamais trouvé face à une femme qui venait de tuer son mari.