Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Paris : Folio, novembre 2006
214 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-07-034152-6
Coll. "Policier", 444
Le Pruitt et la Fureur
Il existe dans l'œuvre de Jean-Patrick Manchette des exceptions littéraires. L'Homme au boulet rouge en fait assurément partie. Il s'agit d'un western, commande par la "Série noire" d'une novélisation d'un scénario pour le cinéma de Barth Jules Sussman. Si le film ne vit jamais le jour, le roman, lui, si. En quelques semaines malgré quelques frustrations de Manchette. Et ce fut le seul du genre...
"Au même instant, les Versaillais ont enfin repris l'église Saint-Christophe, à la Villette, et ils marchent dans le sang, mais Pruitt n'en sait rien, il n'en saura jamais rien, la question ne présente pour lui aucun intérêt. C'est que Pruitt est assis sur le perron d'une vaste baraque croulante, en bois, à peu près au milieu de l'État du Texas, et qu'il est occupé à nettoyer son arme, un Remington à simple action, dont la crosse de noyer est rayée et blanchie par les chocs, la sueur, le sable. Pruitt est un homme carré et robuste, la mâchoire solide mais les yeux étroits et le sourire un peu vicieux. Tel quel, il est fermement installé dans l'existence, il nettoie soigneusement son revolver." La citation est longue mais inaugure et illustre le roman d'une excellente manière, mettant en avant la grande maîtrise de Manchette. Difficile après ces quelques lignes de quitter cette histoire. Très séquencée, avec de courts chapitres, elle rapporte la petite vie d'une communauté carcérale dans un champ de coton de Louisiane alors qu'en France la Commune prend le sang à gros bouillons. Ce sera d'ailleurs la seule allusion de l'auteur aux événements français. Mais cette unique allusion à la toute première ligne prend tout son sens. Elle ancre le western, oeuvre de fiction par excellence (l'on parle-là d'un point de vue français), dans la réalité. Manchette nous emmène alors sur une fausse piste : celle de Pruitt. On pourrait croire qu'il va être le héros de cette intrigue malgré le ridicule de son nom. Il n'en est rien. Il sera le répondant du héros, Greene, un condamné plusieurs fois évadé, plusieurs fois rattrapé, intelligent, froid, et qui n'aura qu'une seule idée : s'évader des champs de coton, retrouver la liberté avec la femme-pute de sa vie, tout en règlant leur compte à une gâchette et à un garde-chiourme qu'il a déjà esquinté. C'est un western noir tout en rythme, très cinématographique, coupé plan par plan, séquence par séquence. Brutal, avec du sang sur les pages, des crânes qui sautent, des balles qui fusent, du sperme qui éjacule, des putains qui tressautent, et des moins que rien nègres et blancs qui ne pensent qu'au foutre et à s'en foutre. Greene au milieu s'en sortira par son intelligence et leur crétinerie, malgré ce boulet rouge qui lui colle à la jambe.
Jean-Patrick Manchette n'aimait pas les westerns spaghetti de Sergio Leone. Il leur préférait les westerns sombres, noirs ou plus classique tendance La Prisonnière du désert/ Avec L'Homme au boulet rouge, où il dépeint un être tout focalisé sur un but unique : sa liberté, Manchette a réussi son objectif. Beaucoup de maîtrise, un peu de talent, une histoire qui tient la route, et des personnages crades, beaux et forts... Stetson bas !
Citation
La bouche de Pruitt se crispe nerveusement. L'homme décoche un coup violent dans les reins de Greene. Le prisonnier pousse un grognement de souffrance et tombe à genoux. Pruitt lui cingle le visage d'un coup de lanière. Le cuir claque contre la peau. La bouche de Greene s'ouvre. Une salive sanglante dégoutte de sa lèvre et étoile la poussière rouge.