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Grand format
Inédit
Tout public
458 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-226-24131-3
Coll. "Romans français"
Se taire et se terrer
L'essentiel du roman de Marc Charuel se situe à Coetquidan, en Bretagne - même si l'intrigue s'inspire assurément de l'affaire de Mourmelon qui défraya la chronique. Les clichés ayant la vie dure, c'est un climat fait de pluie et de brumes qui recouvre la quasi totalité de l'intrigue. Mais force est de constater que ces brumes polyphoniques correspondent parfaitement à l'ensemble du texte des Soldats de papier.
On a d'abord affaire aux brumes de la mémoire avec un officier de réserve, psychologue, qui est chargé d'enquêter sur des désertions. Cela lui remet en mémoire la désertion de son frère une dizaine d'années auparavant. S'ensuivent les brumes des alcools qui noient les différents protagonistes de ce drame militaire car cela picole entre deux virées au bordel local pour oublier les petits chefs, l'atmosphère pesante du camp et le fait de trainer là alors que des amis se font tirer comme des lapins en Yougoslavie. Il y a aussi les brumes entretenues par l'institution militaire et son représentant dans cette base car avec tant de disparitions assimilées à des désertions, n'est-il pas plutôt logique d'envisager la présence en ces lieux d'un tueur en série ? Sans oublier les brumes dans la tête du narrateur qui tire sur des portes qu'il croit voir bouger, poursuit des tueurs qui ne sont que des sangliers, qui s'engage en des aventures amoureuses sans lendemain, qui hallucine et voit son frère mort un peu partout. Mais ces brumes sont aussi présentes dans la tête des autres personnages : un curé qui va au bordel, un tueur fou, un général qui ne voit dans ses crimes que des obstacles à sa carrière, une mère qui recherche son fils, incapable de déserter selon elle, dans la famille même du narrateur qui a multiplié les suicides pour éviter le déshonneur. Enfin, il y a ces brumes qui noient les champs de manœuvre et permettent d'abattre en toute discrétion les rares témoins et qui provoquent des accidents mortels dans lesquels les méchants brûlent avec leurs voitures.
Les Soldats de papier est un thriller implacable. Le lecteur, grâce aux habituels passages descriptifs du tueur en action, est le seul à percevoir, comme avec une boussole, les directions qu'empruntent des personnages perdus, coupés du monde ou marginalisés (comme peut-être l'armée l'est de la société civile), comme détruits dans cette vie de garnison en paix. Et ce n'est sans doute pas un hasard si l'intrigue va se dénouer lors d'un final en Bosnie. Le roman de Marc Charuel montre une maitrise de la narration et des personnages dans une ambiance de fin de règne, de déliquescence et de pourriture rendues avec force.
On en parle : Alibis n°43
Citation
Je frissonnai et me rendis compte que, cette fois-ci, ce n'était pas la température de ma piaule la responsable. J'avais tous les poils du corps hérissés. Et l'impression désagréable d'avoir franchi une étape détestable.