Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'espagnol (Argentine) par René Solis
Paris : Métailié, septembre 2012
132 p. ; 19 x 13 cm
ISBN 978-2-86424-887-3
Coll. "Suite hispano-américaine", 173
Dictature argentine
Eugenia Almeida installe son intrigue dans une ville perdue du fin fond de l'Argentine accessible par une route et une voie de chemin de fer. La dictature des généraux bat son plein, mais le village vit dans l'ignorance des atrocités qui s'y commettent. En son centre, un hôtel qui est aussi le lieu de rencontre des habitants qui viennent boire un coup de la bouteille qu'ils ont achetée. Tout est rythmé dans ce village simplifié à outrance et pourtant qui apparait véridique et vivant quand soudain la monotonie réconfortante se retrouve brisée.
C'est d'abord cet autobus qui passe quotidiennement et qui refuse obstinément de s'arrêter. Et ensuite cette barrière de chemin de fer abaissée pour ne plus être relevée sur l'ordre d'un commissaire qui ne fait qu'obéir aux ordres sans poser de questions. Et puis des bruits arrivent progressivement. L'armée recherche des subversifs. Un couple. Les informations sont discordantes. Et les gens du village de se rappeler ce couple parti à pied le long de la voie ferrée. Tout le monde pensait que c'était un homme et sa maîtresse. Pendant ce temps, l'avocat Ponce peste car sa sœur doit prendre le bus et revenir à la ville. Il est convaincu que le bus ne s'arrête pas car son conducteur souhaite se venger des actions qu'il a pris contre lui dans le cadre de son métier.
Ce très court roman n'est pas sans rappeler Rhinocéros d'Eugène Ionesco. Ce bus pachydermique qui n'a cure des gens qui lui font signe de s'arrêter et qui va son chemin, vers un but que tout le monde ignore - le nom argentin, "el colectivo" prend alors tout son sens, c'est la cohue générale vers un but ultime que nul ne comprend mais suit telle une horde de lemmings se précipitant vers l'a-pic d'une falaise. Eugenia Almeida y ajoute cette description féroce d'habitants ancrés dans leurs traditions, refusant d'affronter une réalité que pourtant ils pressentent. La menace des militaires qui ne feront qu'une apparition fugitive et effrayante en toute fin de roman est omniprésente. Mais il y a bien plus.
Chacun des personnage de L'Autobus cultive une part de la culpabilité d'un peuple qui rechigne à se sortir de la dictature. Chacun, à son stade, refuse de voir certaines vérités ou, pire, a commis l'irréparable sans même avoir conscience de l'importance de ses actes. C'est ainsi que le silo du village prend toute son importance car le gouvernement traite tous les opposants de subversifs, maquille les faits, torture, fait disparaitre des livres. Et c'est derrière ce silo que déjà s'est cachée une subversive trahie par l'un des habitants prêt à jurer que l'on ne l'y reprendra pas. Mais ces hommes et ces femmes s'ingénient à penser que d'autres peuvent penser à leur place.
Pourtant, l'épisode qui les concerne dans l'histoire relatée dans une langue sobre et puissante par Eugenia Almeida semble être le prémisse d'une prise de conscience de certains. Car, ne nous y trompons pas, les égoïstes et les égocentristes, drapés dans les certitudes de leurs actes - comme ce Ponce qui mit un point d'honneur à épouser la fille qui avait perdu sa virginité parce qu'il lui paraissait triste et qui s'était retrouvée enceinte -, eux, ne changeront jamais. Ironie des actes, son mariage s'il partait d'un pseudo-noble sentiment, se confronte à une fausse couche au bout de quelques mois, et Ponce, qui en était arrivé à détester celle qui était devenu sa femme, en vient à la haïr d'avoir brisé une carrière qu'il a voulu ainsi... C'est comme ça que naissent parfois de courts romans denses qui nous pénètrent pour ne pas nous lâcher de sitôt. L'Autobus est de ceux-là.
Citation
Les gens font la fête, s'étonnent, s'amusent. On dirait une foule transparente s'enthousiasmant pour une corrida. Sauf que personne ne se demande qui est le torero et qui va mourir pour le plaisir des autres.