Contenu
Poche
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Daniel Lemoine
Paris : Gallimard, avril 1995
308 p. ; 18 x 12 cm
ISBN 2070495396
Coll. "Série noire", 2106
Matt Scudder, 6
Ce qu'il faut savoir sur la série
Matt Scudder naît en 1976 sous la plume de Lawrence Block. C’est un ancien flic qui a tué accidentellement une fillette, Estrellita Rivera. Il a alors tout abandonné de sa vie, son métier, sa femme, ses deux fils et leur maison cossue de Long Island. Il s’installe dans une chambre d’hôtel du quartier de New York alors appelé Hell’s Kitchen car l’Enfer n’est rien à côté de ses cuisines. Il devient privé à ses heures perdues, sans licence officielle, prend les enquêtes comme elles se présentent, fixe le prix de sa prestation au feeling, met toujours 10 % de ce qu’il gagne dans le tronc des pauvres sans trop savoir pourquoi, allume des cierges, met beaucoup de bourbon dans son café et traîne assidument dans les bars de son quartier, dont celui de Jimmy Armstrong. Fréquente Elaine, call girl et sa future femme ; Jim son parrain chez les Alcooliques anonymes ; Mick Ballou, Irlandais, assassin, fils de boucher ; un ancien flic qui a toujours besoin d’un chapeau neuf (i.e : recevoir un billet qui lui permettra d’arrondir ses fins de mois en échange d’une information), T.J., un jeune black roi de l’informatique... Déambule dans les rues de New York qu’il aime et connaît comme sa poche, tergiverse avec lui-même. Et se range des voitures, fait de nouvelles connaissances, arrête de boire, vieillit au fil des livres puisque jusqu’à présent, il est toujours vivant. Qu’il vive encore longtemps !
Si j'avais été saoul quand je suis né
Le blues des alcoolos, c'est quand "chacun sait qu'il s'en ira seul / quand fermera le bistro préféré" (ce sont les paroles de la chanson Last Call de Dave Van Ronk, ami de Lawrence Block, chanteur et figure du Village, qui donnent leur titre au livre en américain When the Sacred Ginmil Closes). Ce livre aurait pu s'intituler Errances comme un autre roman de Block car Matt Scudder, qu'on a laissé dans Huit millions de morts en sursis pleurant dans une réunion des Alcooliques Anonymes avouant enfin sa dépendance, boit plus que jamais en déambulant dans les rues de New York, de bar en bar : "Mon univers, comme je l'ai dit, s'était géographiquement réduit et, dans cette zone, il se limitait pratiquement à la chambre où je dormais et aux bars où je passais l'essentiel de mes heures de veille." Matt évolue dans son milieu naturel : les bars new-yorkais et les copains qu'il s'y fait : "Étaient-ils mes amis ? Oui, mais avec une précision. Je les voyais rarement... de même pratiquement toutes mes relations de cette époque... en dehors des salles où des inconnus se réunissent pour boire de l'alcool. Je buvais encore, à cette époque, naturellement, et j'en étais à un point où la boisson me faisait (ou semblait me faire) plus de bien que de mal." C'est le décor du roman, sa raison d'être, de là que découlent les enquêtes que Matt va devoir résoudre, qui ne sont qu'un prétexte. C'est un livre sur l'alcool, la nuit new-yorkaise.
Récit ouvertement rétrospectif qui se déroule en 1975, que le narrateur se remémore une dizaine d'années plus tard, il comporte toute la mélancolie propre à ce genre d'histoire, mais aussi celle du nostalgique qui à un moment de sa vie l'a peut-être risquée et, qui sans regret d'être vivant aujourd'hui, éprouve la nostalgie de ce moment où sa vie a palpité.
L'histoire commence dans un bar clandestin tenu par les frères Morrissey. Des coups de feu et deux hommes volent la caisse du bar. Mauvaise idée car les frères ne sont pas des tendres et demandent à Matt de trouver qui a fait le coup. Parallèlement la femme d'un autre compagnon de beuverie, Tommy Tillary, est assassinée et à charge de notre cher Matt de trouver qui l'a assassinée. Enfin, Scudder doit également découvrir qui a volé à son copain Skip, patron d'un bar, son livre de comptes (qu'il ne déclare pas au fisc).
C'est du grand Block, le livre par lequel commencer si l'on veut percevoir toute la dimension de son magnifique personnage : behaviorisme, doute, cas de conscience, manière d'enquêter et humour. Plus behavoriste que psychologue, proche en cela d'Hemingway, il n'y a jamais de commentaire superflue, de lyrisme pénible, pas d'apitoiement, mais des actes qui nous en disent bien plus que n'importe quel commentaire. Matt boit, prend une douche, traînasse, dort, lorsqu'il se réveille "c'était dimanche après-midi et il pleuvait toujours", et l'univers dans lequel il évolue devient palpable. Le personnage n'a jamais de certitude. "Je ne peux pas dire qu'un événement a entraîné l'autre. Je peux seulement dire que l'un a conduit l'autre. J'avais été l'instrument involontaire de la mort d'une petite fille et, par la suite, je ne fus plus le même. L'existence que je vivais sans me plaindre cessa de me convenir. Je suppose qu'elle ne me convenait déjà plus. Je suppose que la mort de la petite fille a précipité une crise qui couvait depuis longtemps. Mais je n'en suis pas certain. Je sais simplement qu'une chose en a entraîné une autre."
On voit aussi comment Matt enquête et comment une énigme se dénoue. Matt erre dans la maison de Tommy Tillary, reste dans la chambre de la défunte, s'imprègne du fort parfum de muguet qui y règne, divague et so what ? Est-ce une manière de mener une enquête ? (On pourrait d'ailleurs rapprocher le comportement de Scudder avec ce que dit Block : qu'il ne sait pas comment il fait pour écrire ses livres, qu'il fonctionne à l'intuition, que ça marche ou pas). Puis tout d'un coup, une centaine de pages plus loin, un déclic se produit, après une promenade et quelques verres. Bien sûr, Matt Scudder résout les trois énigmes mais chaque résolution sera source d'un cas de conscience. Faut-il dire la vérité aux personnes concernées ? Car la première entraîne la mort d'un homme, la seconde lui fait blanchir un assassin, la dernière révèle une trahison. Et puis, il y a cet humour propre à Lawrence Bock, ce regard désabusé sur les choses que l'alcool embrume.
Citation
Quand on parle du rêve américain, c'est ça le rêve américain. Voler le patron jusqu'à ce qu'on en ait assez pour lui faire de la concurrence.