Contenu
Grand format
Réédition
Tout public
Paris : Fleuve noir, septembre 2012
234 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-265-09623-3
Coll. "San-Antonio, grands formats"
Sophocle en gondole
Jérôme Deuilh arrive à Venise. Tourisme ? Villégiature ? Affaires ? On n'en sait rien encore. Il erre dans les rues de la cité des Doges, en proie à de lancinants maux de tête et traînant derrière lui un passé mystérieux dont il n'arrive pas à se défaire. Au gré de ses pérégrinations, il tombe sur une vieille bâtisse imposante, le Palais Rizzi, et sur ses habitantes, la signora Conte et surtout, la sublime Giulietta, véritable madone de pureté dont il tombe aussitôt amoureux. Dès qu'il la voit, il en est certain : Giulietta est un signe de la providence, un ange tombé du ciel qui sera sa rédemption, son salut. Mais encore faut-il que la jeune femme soit elle-même sensible au charme du Parisien, et surtout, qu'elle puisse échapper à la vigilance de sa garde-chiourme et aux étranges manigances qui se déroulent entre les murs de ce palais séculaire.
Pour qui ne voudrait lire qu'un seul roman de Frédéric Dard (car en dépit de la signature San-Antonio, il s'agit bien d'un roman de Frédéric Dard) pour se faire une idée de l'œuvre de cet écrivain polymorphe, c'est assurément Ces dames du palais Rizzi qu'il faut ouvrir, chef-d'œuvre dardien par excellence. Et vite.
Toutes les obsessions de l'écrivain, tout son savoir-faire et sa technique se retrouvent dans ce titre. La construction, tout d'abord. Cette mécanique implacable, véritable tragédie antique moderne. Cette issue inéluctable oppressante, étouffante. Le péché originel, révélé dans un twist magistral, qui condamne le personnage avant même que l'histoire n'ait commencé. Sa lutte vouée à l'échec, ses soubresauts pathétiques contre un fatum sans pitié. Vous qui ouvrez ces pages, abandonnez toute espérance... Frédéric Dard fut aussi un dramaturge aguerri, et son art consommé de la tension tragique se retrouve à chaque page de ce roman.
Autre caractéristique omniprésente dans son œuvre, érigée ici en clé de voûte narrative, le thème de la pureté saccagée, de la beauté souillée, violée. Difficile de trop en dire sans dévoiler un coup de théâtre majeur du roman, mais Jérôme Deuilh, à l'instar du Président Tumelat (Y a-t-il un Français dans la salle ?), se voit offrir une seconde chance en la personne d'une jeune femme à l'apparente pureté angélique. Mais comme si le bonheur était impossible en ce bas monde, comme si la rédemption était refusée d'avance, le destin, toujours lui, prend un malin plaisir à bafouiller la beauté et la vertu. Et le moins qu'on puisse dire est que dans ce Palais maudit, l'innocence est viciée de la plus odieuse des manières, dans des scènes d'une puissance évocatrice rarement atteinte par Frédéric Dard.
C'est un roman d'une cruauté sans nom, sadique, à la mécanique diabolique, maîtrisé de bout en bout. Qui flatte nos bas instincts, nous rend voyeurs complices d'une odieuse machination, spectateurs d'un viol insoutenable, celui de l'espérance.
C'est un roman qui prend au coeur, à l'âme, aux couilles. C'est un chef-d'œuvre incontournable.
Citation
Pardon, chuchote-t-il, je suis venu troubler votre existence. Elle coulait sans bruit. Et puis je soulève des pierres sous lesquelles grouillent les cancrelats. Malgré ce que je viens d'apprendre, je te veux, petite. Je te veux ! Et je passerai le restant de ma vie à essayer de réparer ta jeunesse ravagée.