Gangs Story

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jeudi 21 novembre

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Beau livre - Noir

Gangs Story

Gang - Urbain MAJ dimanche 23 décembre 2012

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 49 €

Yan Morvan
Kizo
Paris : La Manufacture de livres, novembre 2012
224 p. ; illustrations en couleur ; 29 x 25 cm
ISBN 978-2-35887-049-8

Street generations

La Manufacture de livres aime surprendre. On la connait déjà pour deux collections maintenant identifiables, une de fiction adulte avec des romans noirs et policiers, et une de documents, éditions ou rééditions d'écrits de bagnards et autres repris de justice. Avec ce Gangs Story, l'éditeur nous propose un beau livre de cent cinquante photos, fruit d'un travail de plus de quarante ans de Yan Morvan, spécialiste contemporain de la photo de guerre, accompagné par les textes de Kizo, un ancien de la bande Mafia Z.

Loin de la guérilla ou des assauts frontaux avec armes lourdes en renfort, le photographe Yan Morvan nous offre une vision élargie de ces francs-tireurs adeptes enragés d'une guerre urbaine, d'une lutte de territoires qui perdure alors que l'on ne sait plus vraiment pourquoi elle a commencé. La photo est un instantané qui ici fait tout autre figure. Pour un peu on aimerait faire comme avec un flip book, vous savez ces petits livres que l'on maltraite pour faire défiler les pages afin que cela nous raconte une histoire animée. Car ce Gangs Story sous l'œil de ce photographe c'est ça : une histoire animée avec essentiellement des hommes dont les tenues vestimentaires, les coupes de cheveux, les motos et les voitures changent au fil des générations.

Gangs Story c'est l'étude des mœurs délictueux en bande désorganisée à travers les âges depuis les Trente Glorieuses. Arborant des tatouages, des bagues, parfois cagoulés, se fondant à merveille dans un paysage urbain abandonné aux tags, aux poubelles, aux déchets - on observe des carcasses de voitures -, certains des membres sont armés, d'autres se défoulent en faisant de la boxe ou d'autres arts plus martiaux dans des salles de sport que l'on imagine sentant le fauve enragé. Tous sont avant tout engagés musicalement et vestimentairement parlant.

Yan Morvan, lui, excelle à mettre à profit son talent de photographe : utilisation brillante de la perspective tel un architecte urbain de la dernière heure par des clichés en pleine page voire qui chevauchent deux pages, en noir et blanc et en couleurs, en intérieur dans des squats, à l'extérieur sous les feux des policiers, de jour comme de nuit avec éclairage urbain qui amplifie les contrastes tout en floutant la photo. Il y a bien sûr des mises en scène. On se croirait parfois dans un défilé pour une revue de mode. Il faut dire qu'ils sont beaux ces Though Guys, ils inspirent plus l'attirance que le mépris, la peur ou la colère. On a l'impression qu'à l'origine, ces gangs très machos, politiquement aux extrêmes, étaient des migrants perpétuels avec leurs cylindrées rutilantes, et qu'ils se sont sédentarisés, barricadés dans leurs quartiers.

Aujourd'hui, plus de slogans, ni d'étendards néo-nazis, les torses sont moins velus, les coupes plus courtes, on est plus dans The Wire au cœur des grandes tours. Pour un peu on se croirait réellement à Baltimore. Nos banlieues n'ont rien à envier aux banlieues américaines. Pour pousser l'accoutumance au mythe ces gangs se sont fait appeler Black Trop Gangsta, la Black Sans Pitié, Black Dragoons, Fight Boys, les Kriminels Sans Reproche, les Ducky Boys, les Cobras, les Redskins, les Black Fist, les vrais Hells, les Del Vikings, les Fifties. Ils ont eu pour icône Joe Dalton, S-Cro de la BTG ou encore Yves dit "Le Vent". Ils ont abrité Guy Georges avant qu'il ne soit reconnu coupable de bien d'autres sévices plus coupables. Ils sont l'âme des banlieues, leur cœur noir et ténébreux.

L'ouvrage comporte quatre parties : "Mourir jeune et faire un beau cadavre", "On vit pour le Gang, on meurt pour le gang", "Une fracture sociale se creuse" et "Sex, drug, money". Tout un programme évolutif qui part d'une idée romantique pour se terminer dans la cruauté de la réalité. Les écrits et les cris de Kizo sont là pour ramener l'œil à la raison. Il dresse un portrait tout en retenue de ces mauvais garçons. Il parle de l'incompréhension qui pousse deux êtres qui se connaissent à - on aurait envie de dire - s'autodétruire, mais lui fait la différence entre l'autodéfense et l'autodestruction. Il prône un discours déjà entendu outre-Manche et qui a fait ses preuves : celui qui consiste pour un jeune à écouter ses grands frères. Lui a perdu un cousin, des amis, dans ces batailles de rue. Il incite ces jeunes à ne pas s'enfermer dans une ghettoïsation à la fois dramatique et destructrice, à entendre les messages des anciens comme les Black Panthers, afin que ce qui a fait la légende des cités ne les emmène pas, après des mutations sociétales, tout droit au cimetière.

Décidément, ce Gangs Story est bien plus qu'un beau livre sur des affreux garçons, c'est un hommage à la rue à travers la seconde moitié du XXe siècle, une ode à la compréhension et une invitation à l'intégration à travers l'alliance de la photo et du texte. Plutôt pas mal, non ?

Citation

Les membres des premiers gangs ont vieilli. Ils ont créé des entreprises, des labels de rap, des sociétés de sécurité ou ont trouvé d'autres moyens de s'intégrer dans la société. Certains sont morts, tombés dans les drogues dures, d'autres sont en prison pour de longues peines suite à des braquages ou d'autres condamnations pour trafics de stupéfiants.

Rédacteur: Julien Védrenne samedi 22 décembre 2012
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