Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako
Arles : Philippe Picquier, janvier 2013
176 p. ; 21 x 13 cm
ISBN 978-2-8097-0393-1
Coll. "Littérature grand format"
La main dans le sac
Pickpocket est un roman qui tient toutes ses promesses dès ses premières pages lorsque notre regard accompagne les mains de Nishimura. Ce professionnel de l'empalmage, tout en grâce et fantaisie, nous invite dans sa quête au plus profond de la foule, des poches et des vestes, caressant les ouvertures de sacs, se glissant dans le mensonge et se jouant des boutons de manteau. Entraîné, véritable Edgar de la main dans le sac, ce Lupin des temps modernes nous envoûte instantanément. D'abord parce qu'il ne vole qu'aux riches - oui il a tout de suite une belle excuse ! Ce qui nous permet de l'apprécier sans état d'âmes. Ensuite parce qu'il a un grand cœur, qu'il aide la veuve et l'orphelin, ici incarnés par une jeune femme abîmée par de mauvais destins, affublée d'un rejeton qu'elle envoie chaparder dans les supérettes. Tour à tour, notre pickpocket se retrouve père de substitution, psychologue d'intérim pour la mère, et précepteur du gamin. Il ne tarde pas à enseigner certaines valeurs de la vie, et surtout les impairs à ne pas commettre... dans l'art de la subtilisation. Un mal pour un bien : c'est un peu sa façon de se racheter.
Comme le dit son meilleur ami et confrère Ishikawa : "Si tu piques cent mille yens à un type qui possède un milliard, c'est trois fois rien." Tout est une question de point de vue, égrené dans un rythme qui passe du dynamisme jouissif devant chaque technique de pickpocket dévoilée par l'auteur à une mélancolie usée. Nishimura voudrait lui aussi croire à la beauté du geste : "Saisir un portefeuille entre trois doigts, me le passer par-derrière, puis, lorsque je lui rendais vide, en avoir déjà pris un autre et, sans regarder le quidam, appuyer son bras contre lui et remettre le portefeuille en place... Pour moi, c'est ce manège qui était une des splendeurs de la vie. À l'époque, je ne pensais pas que cette beauté pouvait m'être ôtée." Notre héros se retrouve entiché bien malgré lui de la mère, parce qu'elle lui rappelle Saeko, un amour perdu, une des conséquences de ce "métier". Alors qu'il erre dans ses hésitations sur ses possibilités d'avenir, Ishikawa lui propose de participer à une dernière grosse affaire, du tout cuit, facile et proprement menée par un chef Yakuza, un certain Kizaki...
Nakamura Fuminori nous plonge alors dans un autre pan de décor. Un voleur reste un criminel, et la vie d'un criminel finira toujours par lui être volée, à son tour... Il confronte l'image fantaisiste du pickpocket à l'ancienne à une réalité toute contemporaine comme s'il lui fallait casser le mythe. Dans un texte d'une classieuse mélancolie ce gentleman cambrioleur devient la marionnette d'une mafia faite d'investisseurs, d'hommes de pouvoir aux ficelles prétentieuses mais assurées. Kizaki, malfrat de père en fils, s'amuse de Nishimura et de son pickpocket de cinéma. Le pouvoir n'est plus contenu dans un portefeuille mais dans des millions virtuels, insaisissable et dont les techniques de substitutions sont juste légales et imparables. Mais l'auteur aime son personnage, parce qu'il est peut-être le dernier flâneur des temps moderne, c'est finalement le seul à errer dans cette foule, sans destination, à prendre le temps d'observer les destins en marche.
Pickpocket est un roman noir qui peut s'enorgueillir d'avoir obtenu le prix Kenzaburô Oe en 2010 et une recommandation sur la quatrième de couverture de Natsuo Kirino. Ce cours récit ou très longue nouvelle, qui en fait aussi sa faiblesse, n'en a pas moins les atours d'une grande histoire. Beau moment de littérature, il ravira les nostalgiques d'un pickpocket à la Bresson qui viendrait se prendre deux-trois claques de Kitano.
Citation
Vous connaissez Crime et châtiment ? Ce Raskolnikov, il manquait de cran.