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Les Derniers forçats : du bagne à l'asile
Grand format
Inédit
Tout public
Paris : Albache, novembre 2012
220 p. ; illustrations en noir & blanc ; 19 x 13 cm
ISBN 979-10-91013-00-0
C'est le bagne !
Malgré une couverture malhabile, voici l'intéressante édition de deux longs récits de bagnards restés à Cayenne après les départs des ultimes bateaux. Comme le souligne Jean-Lucien Sanchez dans sa préface, les "auteurs ne sont plus sous la coupe de la censure de l'administration pénitentiaire, ni sous celle d'un éditeur en mal de sensationnel" et leurs écrits "constituent de ce fait un témoignage rare, dicté par la seule urgence : celle de deux mourants qui n'ont plus de temps à perdre et qui voudraient que quelqu'un les entende enfin quelque part, n'importe où".
Ces récits datent de 1955 et ont été recueillis par la journaliste Ingeborg de Beausacq (reporter et photographe américaine née en Allemagne en 1910 et décédée en France en 2003) sur des cahiers que les auteurs ont eux-mêmes remplis alors qu'ils se trouvaient à l'asile de Saint-Laurent-du-Maroni. Cahiers qui, depuis, sont conservés à la Fondation des Arts et Métiers. "Sortis de l'ombre grâce au travail patrimonial effectué par le collectionneur Frank Sénateur et par la ville de Saint-Laurent-du-Maroni, cette publication est le résultat des efforts de nombreux acteurs engagés à restituer à la Guyane un passé parfois douloureux à porter."
La préface de plus de quarante pages est donc due à Jean-Lucien Sanchez, docteur en histoire et spécialiste de la relégation en Guyane française. Elle présente les données historiques nécessaires, ainsi que la biographie des deux bagnards et l'analyse de leurs écrits. S'y ajoutent classification et hiérarchisation pénales où les trois peines qui mènent aux bagnes (déportation, transportation et relégation) sont détaillées. Le préfacier revient sur la "double peine" qui frappe les transportés : "Les condamnés de moins de huit ans de travaux forcés sont astreints à résidence un temps équivalent à la durée de leur peine une fois 'libérés' ; les condamnés de plus huit ans y sont astreints à perpétuité." Les relégués sont des multirécidivistes dont la société française se débarrasse à perpétuité sur le sol de la colonie pénale. Logés, nourris, ils doivent quatre heures de travail à l'administration. Et on se doute, que la nourriture est faible et le travail épuisant... Henri Marty (relégué), très atteint psychologiquement, prend la plume et raconte son périple sans oublier les terribles anecdotes qui ont marqué son parcours. Les hécatombes sur les chantiers dues à la privation de nourriture et aux fièvres, les mauvais traitements et les stères de bois demandées, le trafic indigne de l'Armée du Salut qui vend les vêtements offerts en don. Il dénonce le fait que le bagne en Guyane bien que supprimé officiellement, deux cents bagnards y vivent encore. Que les dossiers étant "en caisse" plus personne n'y a accès. "Les programmes élaborés en conseil tendant à protéger et assainir la Guyane sont purement fantaisistes. Les lépreux côtoient les hommes sains et la pourriture est mélangée avec la propreté."
Philippe Auguste Martinez (transporté) est plus prolixe et raconte des anecdotes savoureuses suite à son statut de cuisinier et homme de ménage chez les femmes de surveillants. Du couple qui donne d'abord les restes de ce qu'il a cuisiné au chien puis les restes du chien à lui, à l'Armée du Salut qui fait payer ses repas "aussi cher que dans les restaurants des libérés au village". Le chroniqueur n'oublie pas les exécutions sommaires, l'incompétence des médecins, mais aussi des portraits de bagnards célèbres, de fils de famille promis mignons de tatoués et de "porte-clés", eux aussi condamnés, devenus gardes-chiourme sans foi ni loi. Au final, il revient sur son parcours criminel sans verser dans le pathos.
Voilà donc un ouvrage documentaire très abouti qui se clôt sur une chronologie et une bibliographie sélective où sont bien sûr présents Albert Londres et Eugène Dieudonné au contraire d'Henri "Papillon" Charrière et René Belbenoit (Guillotine Sèche). Nous nous arrêterons sur cette question : leurs témoignages ont-ils été jugés trop romancés ?
Citation
J'ai oublié de vous dire que ce surveillant également assassin avait un poulailler contenant en moyenne cent à cent cinquante poules, sans compter une vingtaine de canards, qu'il nourrissait avec la ration de tous ces malheureux qu'il faisait mourir à petit feu de faim.