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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Fabrice Pointeau
Paris : Sonatine, janvier 2013
23 x 15 cm
ISBN 978-2-35584-168-2
Tate de nœud
Nécrologie, le troisième roman publié en France de Paul Cleave, ne déroge pas à la règle : l'auteur réfléchit à une intrigue basique qu'il découpe de manière diabolique, et qu'il recolle de telle façon que pendant plus de quatre cents pages il balade son lecteur à travers Christchurch et sa banlieue proche. Dans Nécrologie, il distille les éléments avec parcimonie et les accompagne d'un humour noir féroce avec un fort penchant pour les rencontres hasardeuses.
De son héros, on en apprend un peu plus à chaque chapitre, du drame qui l'a touché à son nom en passant par son ancienne profession (à considérer que l'on ne lise ni cette chronique, ni la quatrième de couverture). C'est que de roman en roman, l'écriture de Paul Cleave et sa structure se peaufinent. Mais, comme à son habitude, c'est dans ses toutes premières pages que Paul Cleave est le meilleur. Théodore Tate, ancien flic reconverti par la force des choses détective privé assiste à l'ouverture de la tombe d'un banquier, soupçonné d'avoir été empoisonné par sa femme, veuve presque pas éplorée qui épuise ses maris. Et là, première surprise pour tout le monde : dans la tombe se trouve le corps d'une jeune femme victime du Boucher de Christchurch, que toutes les polices recherchent. Le corps du banquier, lui, est tellement mal arrimé au fond du lac du cimetière qu'il remonte au même instant en compagnie de deux autres en une deuxième surprise. Passons les détails ragoutants, et arrivons-en où veut en venir Paul Cleave avec cette scène théâtrale entre horreur et farce : l'identité des deux autres cadavres révèlera la localisation des tombes où sont enterrés deux autres corps féminins victimes de ce même Boucher...
L'on se dirige tout droit vers une enquête traditionnelle dans laquelle l'ancien flic va faire la nique à ses ex-collègues après de nombreuses péripéties. Oui, mais... Si vous n'avez jamais lu de roman de Paul Cleave, ni de Jeff Lindsay (lui, il a un jour inventé le personnage de Dexter et de son Passager noir), vous ne pouvez pas savoir que Paul Cleave c'est des intrigues à la Jeff Lindsay en mieux ficelé et bien mieux écrit. Certes, par moments, l'auteur néo-zélandais s'oublie et fait se succéder des phrases courtes, caustiques et à l'humour qui peut se révéler indigestes, mais il n'a pas son pareil pour torturer son personnage (qui, il faut aussi le noter n'est pas le même à chaque roman, ça change des héros récurrents du genre). Nous parlons-là bien sûr de personnage physique, car s'il y a une entité récurrente à tous les romans, c'est cette ville de Christchurch, véritable Miami de Nouvelle-Zélande et qui ne tardera pas si l'on en croit ses banlieues à revendiquer le statut de Ciudad Juarez.
La femme et la fille de Theodore Tate ont été victimes d'un chauffard ivre mort récidiviste. La fille est morte sur le coup, la femme est une patiente à perpétuité d'une clinique où elle passe ses journées à observer le jardin à travers la fenêtre de sa chambre, le chauffard s'en est tiré sans coup férir, et Tate a été détruit moralement. Il est surtout devenu l'assassin du chauffard en même temps qu'il bâclait l'enquête du Boucher de Christchurch, ce qui a entraîné l'apparition de tous ces corps au début du roman. Du moins le croit-il. Son enquête va s'apparenter à un parcours initiatique au cours duquel il va sombrer dans l'alcoolisme, se prendre des coups de pelle, se détruire les mains, les pieds, fracasser des téléphones portables, poursuivre et se faire poursuivre : rien que du normal pour un héros de roman symptomatique de sa ville. Un homme pugnace véritable obstiné. Bref : une vraie tête de nœud, comme on dit, qui va aussi se confronter à une présentatrice télé pugnace, deux anciens collègues qui veulent savoir sans savoir que Tate est un assassin, un prêtre pas du tout mais pas du tout catholique, un suicidé dans son bureau avec jet puissant d'hémoglobine, un avocat qui entend lui faire payer les conséquences d'un accident qui a failli être meurtrier, et tout un tas d'autres personnages mineurs dont certains sont amenés à mourir.
La dernière pièce de l'intrigue posée, on ne pourra pas s'empêcher de penser que Paul Cleave a du mal à conclure ses romans. Un employé modèle capotait aux deux tiers avec l'apparition d'un personnage qui ne servait pas l'intrigue. Un père idéal trainait en longueur et nous imposait une fin qui ne se justifiait pas. Nécrologie offre une fin abrupte, radicale et qui pose une question d'éthique. Mais Paul Cleave et son intrigue nous auront entretemps fort bien distrait et surpris. En plus, il y a toutes les raisons expliquées plus haut. Et, honnêtement, c'est tout ce que l'on demande.
Citation
Réveiller les morts est un boulot qui fait transpirer.