L'Historien, le juge et l'assassin

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Essai - Policier

L'Historien, le juge et l'assassin

Assassinat - Faits divers MAJ lundi 21 janvier 2013

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 30 €

André Rauch & Myriam Tsikounas
Paris : Publications de la Sorbonne, juin 2012
286 p. ; 20 x 16 cm
ISBN 978-2-85944-701-4
Coll. "Homme et société", 40

Les sources du crime

Le titre est mal choisi. Énigmatique, il ne laisse en rien deviner ce dont il s'agit : l'étude des sources autorisant la compréhension du fait criminel et de ses discours sous la pression du temps social - médias, culture, mentalités, mœurs, etc. Publication savante donc, essentiellement articulée par le savoir de l'historien, sur cette fabrique complexe du système judiciaire français pris au sens où il englobe tout le processus de qualification et d'évaluation des crimes, du PV de police au compte rendu médiatique. Une analyse bien évidemment bâtie en tout premier lieu sur la question des sources. Et là, c'est le compte rendu d'un travail époustouflant qui nous est offert : celui des chercheurs des Archives nationales qui ont, des années durant, tenté de mettre de l'ordre dans un amoncellement de documents dans lequel tout le monde se perdait.

Un minutieux travail de classement qui a abouti à une synthèse d'une rare intelligence, au terme de laquelle il est enfin possible en France de savoir de quoi disposer, nos archivistes ayant édifié un répertoire systématique des sources disponibles, si complet qu'il autorise l'estimation de la probabilité du manque ! Un travail qui n'avait rien d'évident, tant les collections étaient disparates et lacunaires. Une entreprise qui au passage apporte un éclairage singulier sur le fonctionnement de la Justice française, révélant par exemple les différences de visibilité sociale et géographique des crimes et autres délits : on est ainsi surpris de réaliser que jusque dans la première moitié du XXe siècle, nombre de crimes de sang perpétrés dans les campagnes françaises n'ont pas été portés aux yeux de la Justice, tant le culte de l'arrangement y était prégnant ! De même que l'on est surpris de découvrir les inégalités d'apprentissage des normes juridiques nationales, certaines régions et populations concernées, administratives ou policières, les ayant méconnues quasiment jusqu'à nos jours !

Un travail d'archiviste qui jette de fait une lumière plutôt crue sur le système de la Justice en France, et qui a conduit cette dernière à essayer de corriger en retour ses propres égarements... Travail colossal donc, qui entre à présent dans le domaine public avec cette publication, intéressant bien au-delà du cercle des seuls spécialistes, tant son approche interroge la part des représentations que les contemporains se font de la criminalité et des criminels, les sources exploitées permettant d'expliciter les normes sociales d'une époque, pour témoigner des fluctuations morales de notre société. Il n'est pas jusqu'au fait divers qui ne puisse faire l'objet d'une étude systématique, de ses migrations transmédiatiques à la contamination des registres d'écriture qu'il affectionne. La fabrication du fait divers fait ainsi l'objet d'un chapitre du livre, au fond à tire d'exemple d'exploitation des sources réorganisées. Codes rhétoriques, c'est tout l'appareil normatif qui le sous-tend depuis l'année 1817 où il fit son apparition brutale dans la presse populaire sous la pression de l'affaire Fualdès qui est analysée, jusqu'à son apogée dans les années 1960, précisément située dans la diffusion de la série culte "En votre âme et conscience".

Pas moins fulgurante, l'étude de la fabrique du pédophile signée par Anne-Claude Ambroise-Rendu. C'est à une véritable histoire du crime sexuel contre les enfants qu'elle se consacre, expertisant la manière dont notre société a évalué la gravité des actes perpétrés contre eux. Une étude "totale", en ce sens qu'elle ne laisse rien de côté, poussant jusqu'à interroger les conditions dans lesquelles les discours savants (psychiatriques) ont fini par peser sur les représentations collectives, et comment, en retour, l'instrumentalisation de ces savoirs a marqué l'évolution des sphères publiques, policières, juridiques et politiques, au point que notre société a fini par inviter la psychiatrie à occuper un rôle central dans notre défense sociale... Dévoyant au passage ce même discours psychiatrique, auquel les médias n'ont jamais emprunté que des figures vieilles de plusieurs décennies, sans tenir compte des avancées d'un savoir aujourd'hui passablement en porte-à-faux avec cette vulgate. Et il est tout simplement effrayant de voir comment les médias ont fini par construire cette figure du pédophile, monsieur-tout-le-monde, figure du proche, de surcroît du malade qui dissimule sa pathologie, ouvrant droit à une paranoïa des plus suspectes, la visibilité de l'acte faisant face au caractère non repérable du suspect...

Citation

C'est la peine qui définit un acte comme criminel, et il n'y a de crime que si le comportement visé est incriminé et sanctionné par un dispositif pénal.

Rédacteur: Joël Jégouzo jeudi 17 janvier 2013
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