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L'Affaire Beltracchi
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'allemand par Stéphanie Lux
Paris : Jacqueline Chambon, avril 2013
352 p. ; 20 x 13 cm
ISBN 978-2-330-01828-3
Attention, peinture fraîche !
Stefan Koldehoff et Tobias Timm se sont mis à deux pour flanquer un coup de pied dans la fourmilière du marché de l'art au terme de plus de deux ans de recherches. En 2012, année de la publication, ces journalistes ont d'ailleurs remporté deux prix pour leur ouvrage passionnant : le Otto-Brenner du journalisme critique et le prix Annette-Giacometti "qui récompense une initiative destinée à sensibiliser le public au problème de la contrefaçon des œuvres d'art".
C'est l'histoire captivante d'un peintre, Wolfgang Fischer qui prend le nom de sa femme, Hélène Beltracchi, après son mariage (il a quelques casseroles derrière lui), et qui produit plusieurs dizaines de tableaux, dont seulement quatorze seront reconnus faux, pour les vendre par l'intermédiaire de galeries et de maisons de vente aux enchères ayant pignon sur rue, et ce pendant près de trente ans.
Wolfgang, peintre non reconnu, qui, depuis son jeune âge, s'amuse à copier et à rénover des toiles anciennes, perfectionne son travail en choisissant soigneusement ses peintres : de préférence des expressionnistes allemands, souvent exposés dans des galeries juives avant-guerre et taxés ensuite d'artistes dégénérés par les nazis. Résultat, comme les galeristes ont souvent émigré en laissant leur stocks derrière eux, le sort des tableaux est resté incertain. Certains furent brûlés, d'autres vendus sous le manteau et peu revendiqués pendant le régime d'Hitler.
Restent d'antiques catalogues ou listes dans lesquels notre faussaire fait son choix. Il prend de préférence des œuvres mentionnées mais non photographiées, utilise des toiles et des tubes de peinture d'époque, s'imprègne du style du peintre et produit des œuvres qui vont entamer un long parcours. C'est sa femme, un complice ou sa belle-sœur qui se chargent des démarches. Tout d'abord, il faut convaincre un expert pour qu'il authentifie l'œuvre. Celui-ci se référant aux mêmes sources que Wolfgang Baltracchi, est a priori convaincu. Peu demandent des expertises scientifiques sur les pigments ou la toile mais là encore, souvent ça passe. Quand, parfois, le tableau est jugé faux, il est retourné aux Baltracchi qui attendent alors plusieurs années avant de le proposer à un autre expert et viser une autre maison.
Les auteurs attirent notre attention sur le fait qu'il n'y a aucune base de données entre experts, et qu'un faux a alors toutes les chances d'infiltrer le marché à plus ou moins long terme. Expert le plus souvent cité : Werner Spies qui fut l'un des directeurs du Centre Pompidou. Grand spécialiste de Max Ernst, il authentifiera plusieurs tableaux sur photo, leur assurant ensuite une notoriété en les incluant dans des expositions dont il est commissaire avant qu'ils soient vendus via les galeries Marc Blondeau, Aittouarès ou Malinge à des consortiums ou aux galeries elles-mêmes grâce à des "financement de relais" venus de firmes domiciliées dans des paradis fiscaux. A-t-il touché des commissions ? Les Beltracchi savent utiliser les failles du système, ils multiplient eux-aussi les comptes à l'étranger. Ainsi, tout ce petit monde œuvre au sein d'une machinerie parfaitement huilée : le faux bien fait, sorti de nulle part mais nimbé d'une mystérieuse histoire familiale, est accrédité par un expert et par quelques expositions choisies qui lui confèrent un petit CV, puis inclus dans le catalogue raisonné de l'expert en question. Lesté de ces sésames, il est acheté par une galerie qui le revend aussitôt avec une marge pouvant atteindre le double voire plus. Ce peut être aussi une prestigieuse maison de vente comme Lempertz (souvent citée grâce à son directeur peu regardant mais aussi Christie's, Sotheby's et de nombreux autres) qui se charge de la mise sur le marché avec à la clé des sommes astronomiques. Le prix du tableau entame ensuite une série de culbutes au fil des ventes prouvant qu'il reste, avant tout, un investissement. Mais si le faux est désigné, tombe alors une chape de secret : l'acheteur lui-même étant piégé par l'origine de son argent qui a échappé au fisc. Ainsi, des œuvres réputées fausses "disparaissent" purement et simplement...
C'est une étiquette collée derrière le cadre d'un tableau de Heinrich Campendonk qui fera tomber les Beltracchi. Celle de la galerie Flechtheim qui représente un portrait trop naïf et surtout anti-sémite du propriétaire. Intrigué, un expert américain va dérouler la pelote : Beltracchi collait ces "fausses étiquettes inspirées de collections renommées de l'époque du Kaiserreich et de la république de Weimar, réalisées à partir de linogravures ou avec des tampons en caoutchouc". Impossible de résumer ici cette enquête passionnante écrite dans un style très basique qui se conclut sur le procès écourté par un accord entre les parties. Après des aveux, Wolfgang est condamné à six ans, sa femme à quatre, son comparse à cinq et sa belle-sœur à un sursis de deux ans. L'énorme carton renfermant le rapport de huit mille pages concocté par la LKA, la branche spécialisée de la police allemande, n'a même pas été ouvert. Les douze tableaux saisis par la LKA ont même été rendus à leur propriétaire sans être marqués ! On ne peut que lire, ensuite, avec intérêt les propositions de Stefan Koldehoff et Tobias Timm, pour assainir et clarifier le marché alors qu'aux USA, comme ils le racontent dans le dernier chapitre, une gigantesque escroquerie concernant des faux Pollock, Rothko, Motherwell et De Kooning vient de faire tomber la célèbre galerie Knoedler. Espérons que cet ouvrage fera bouger les choses, mais tant que les paradis fiscaux existeront, tant que des gens investiront à court terme pour blanchir des capitaux illégaux, les records de ventes dans le monde de l'art moderne et surtout contemporain ont encore de beaux jours devant eux...
Citation
Depuis le procès de Cologne, le faussaire et ses avocats ne sont pas les seuls à façonner l'image d'un 'artiste exceptionnel'. Les spécialistes que Beltracchi a bernés ou qui ont joué un rôle dans ce scandale entretiennent eux aussi le mythe du roi des faussaires. Car cette légende les arrange : plus le faussaire est génial, plus ceux qui se sont laissé berner sont innocents.