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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (Canada) par Michelle Herpe-Voslinsky
Paris : Liana Levi, mars 2013
362 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-86746-662-5
Coll. "Littérature étrangère"
Croix jazzée
Le roman d'Esi Edugyan se déroule en trois temps qui se télescopent dans l'intrigue, et qui sont des déplacements à la fois géographiques et temporels. Au centre de l'Europe, à la fin des années 1930 en Allemagne, deux Noirs américains, Sid et Chip, et un métis allemand, Hiero, se trouvent confrontés à la politique du Troisième Reich qui apprécie peu cette musique qu'il qualifie de dégénérée. S'ensuit un trajet en voiture vers l'ouest et la France, afin de respirer la liberté, où ils enregistrent le disque qu'ils auraient dû faire avec Armstrong, mais l'Histoire rattrape le groupe de musiciens lorsque Hiero est arrêté par les nazis. Enfin, cinquante-deux plus tard, en 1992, Sid et Chip se retrouvent à Berlin pour un film évoquant cette période avec un trajet en voiture vers l'est, là où Hiero ne serait finalement pas mort, et vivrait en Pologne. C'est une reconstitution historique de qualité que nous offre 3 minutes 33 secondes en même temps qu'une tentative de réponse à une question importante : que faire dans les moments de grande difficulté ? L'un des personnages a été trahi et arrêté par la Gestapo dans les années 1930. Pourquoi cette trahison ? Que recouvre-t-elle ? Répondre "la jalousie" serait faire preuve de simplicité, aussi Esi Edugyan y répond avec une description sans pathos, ni esprit de vengeance.
Le titre anglais Half Blood Blues fait référence à l'humour car les jazzmen exilés en France décident - idée maginifique - de jouer leur version d'un célèbre chant nazi. Redécouvert, ce titre deviendra un standard d'autant plus que celui qui en est à l'initiative a disparu dans un camp. Le titre français, lui, est un rappel de la durée d'un morceau du moment de grâce absolu, atteint une fois et qui a changé, à jamais la vie des protagonistes. Une vie détruite peut-être contre une poignée de secondes où l'on a atteint l'absolu. L'auteur parvient ainsi à reconstituer une époque, à dessiner des personnages crédibles et hantés par leur monde (un imprésario des milieux riches allemands, un juif jazzman, des noirs américains venus trouver un peu de paix en Europe en 1930), à rendre compte des bassesses, des lâchetés et des "petites grandeurs" de chacun face à l'adversité, avec un final sous un ciel bas polonais qui semble noyé sous le soleil né de l'apaisement des personnages. 3 minutes 33 secondes nous réconcilie avec la musique, l'humanité, et nettoie de sa ritournelle les scories nauséabondes de l'Histoire, sans oublier d'apaiser cette évocation de la guerre civile qui a détruit l'Europe entre 1914 et 1989 à travers deux Américains blessés qui vont de Paris au fin fond de la Pologne à la recherche de la vérité.
Citation
Mais on savait que l'appartement dévasté de Lilah n'allait pas nous protéger du chaos pour toujours. Aucun homme n'échappe à son destin.