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Confusion des sentiments
Après le très réussi Parjures, voici que revient Aïcha Sadia, la fliquette dure à cuire de Marseille. Dure à cuire est d'ailleurs bien le terme : il est désormais confirmé que le genre "hard boiled" est bien de retour, avec ses personnages prêts à tout aux blessures profondément enfouies, son style sec et dégraissé, bien propice à une époque ayant érigé le cynisme au rang d'un des beaux-arts. Et pourtant, comme dans Parjures où Aïcha tentait de retrouver son grand amour, chez son auteur Gilles Vincent, c'est les sentiments, enfouis ou à fleur de peau, qui mènent la danse. Un usineur cynique de thrillers industriels baserait-il un de ces romans sur la mort du poète Frederico Garcia Lorca, assassiné par les Franquistes ? Assassinat qui, soixante-quinze ans plus tard, va bouleverser la vie du policier revenu de tout, Thomas Roussel. Celui-ci prépare son mariage lorsque Claire, son ex partie quatre années auparavant, l'appelle un beau jour : elle prétend avoir débusqué un secret brûlant et se dit menacée de mort. Le lendemain, on retrouve son cadavre brûlé et mutilé... Sa découverte avait-elle un rapport avec la mort dudit Garcia Lorca ? Avait-elle découvert son véritable assassin ? En dévoiler plus serait déflorer le roman, mais la résolution, si complot criminel il y a, relève plus de la passion dévorante, jusqu'à la folie, que de l'appât du gain. Sous des détours de roman noir ultra-classique, avec son flic ex-alcoolo (mais sans Secret du passéTM ni Traumatisme InitialTM), son enquête et ses fausses pistes, Gilles Vincent s'attache aux personnages et, surtout, sait disséquer les sentiments avec une finesse surprenante sans jamais tomber dans l'écueil du pathos et mélanger la grande et la petite histoire - l'E.T.A. joue un rôle diffus mais certain dans le récit. Malgré un retournement final qui étire un brin la crédibilité (disons, toujours sans déflorer, que la rencontre improbable entre deux personnages dont on ne voit pas ce qui a pu les rapprocher est très vite éludée), on termine ce texte (relativement) court et dense avec le même sentiment de lassitude que ses protagonistes. Un roman noirissime qui est également une dissection de la "confusion des sentiments" chère à Stefan Zweig ne se rencontre pas tous les jours, et ce mélange de classicisme polareux et de finesse psychologique fait la "voix" de l'auteur, rappelant parfois le Hugues Pagan de la grande époque. Pas le chef d'œuvre du siècle, mais un solide roman beaucoup plus subtil qu'il en a l'air, pour peu qu'on veuille en sucer la substantifique moelle…
Nominations :
Prix Landerneau Polar 2013
Citation
L'amour est une comédie aux couleurs tragiques. Quand il nous laisse sur le côté, que l'autre part, ferme la porte et ne revient pas, la brûlure reste là, comme la braise endormie, prête à flamber au premier courant d'air parfumé. On ne cesse jamais d'aimer. Jamais.