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Inédit
Tout public
Préface de Stéphane Bourgoin
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Fanny Soubiran
Bussy-Saint-Georges : Çà et là, février 2013
222 p. ; illustrations en noir & blanc ; 25 x 17 cm
ISBN 978-2-916207-80-3
Dahmer fait un malheur
Derf Backderf : derrière ce nom étrange se cache un journaliste et cartooniste qui délivre une bande dessinée autobiographique un brin particulière. L'auteur relate sa dernière année d'études dans une petite ville de province américaine avant de partir pour l'université, et s'attache à dépeindre l'un de ses camarades de classe, Jeffrey Dahmer, qui deviendra l'un des pires serial killers des États-Unis. Le "Cannibale de Milwaukee" tel qu'on le surnommera a en effet vécu une enfance, et il est intéressant d'essayer de déterminer à quel moment l'enfant devenu adulte se transforme en bête immonde et meurtrière. Mais ce qui transparait avant tout dans une bande dessinée rétrospective qui met en avant des étudiants insouciants et absolument incapables de déceler et surtout de révéler les petits et gros travers annonciateurs, c'est la culpabilité d'un homme qui n'a pas vu les appels de "son" ami Dahmer.
Adolescent solitaire qui baigne dans un foyer qui résonne du son des disputes entre son père et sa mère, Dahmer se réfugie dans la campagne où peu à peu naissent des pulsions meurtrières qu'il assouvit sur des animaux. Dahmer comprend très vite qu'il est homosexuel, mais les rêves qui le hantent y ajoutent la nécrophilie. Cela le révulse et il essaie d'oublier dans l'alcool qu'il emmène avec lui en permanence dans un petit cartable en cuir afin de boire sur le campus. Son haleine pue l'alcool dès huit heures du matin. Il est capable de boire trois litres de bière en dix minutes. Il se réfugie derrière une folie de facade dont il use, et dont ses camarades abusent. Il devient le fou de service. Ses tics deviennent des tics scolaires. Il simule des crises d'épilepsie pour amuser ses coreligionnaires fascinés et rebutés à la fois. Il est l'objet de quolibets, et on le supporte par désœuvrement. Pourtant, Derf Backderf l'affirme : il a tenté de comprendre cet étrange gamin asocial et déjà limite psychopathe comme quand Dahmer massacre à coups de pierre un poisson d'eau douce qu'il vient de pêcher. Petit à petit, Dahmer se referme sur lui-même. Les éléments semblent le condamner : sa mère l'abandonne, les cours s'arrêtent, ses relations s'effacent, il ne reste que cet auto-stoppeur sur le bas de la route.
Intelligemment, Derf Backderf s'arrête au moment où Jeffrey Dahmer se transforme en un tueur implacable. Avec une petite pirouette chronologique, il se met en scène au moment où, des années plus tard, il apprend que Jeffrey Dahmer est le "Cannibale de Milwaukee", et que les tourments et la culpabilité l'assaillent. Le style est là en noir et blanc à la limite du dessin de presse caricaturiste. L'on se prend au jeu de cette histoire dont on peine à penser qu'elle n'est que pure fiction. C'est un conte défait qui nous est proposé en quelques deux cents impitoyables pages narrant les errements d'un adolescent dont on ne sait s'il était attardé mais dont on sait qu'il a été abandonné à lui-même parce que personne ne voulait voir ce qui sautait aux yeux - parents, étudiants, professeurs : le garçon était en recherche de réponses.
Récompenses :
Prix SNCF du polar/BD 2014
Citation
Désormais était exclu de notre groupe. Jeff était seul avec toutes ces voix qui le hantaient. Et qui allaient devenir de plus en plus bruyantes.