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Inédit
Tout public
Paris : Hermann, août 2013
218 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-7056-8715-1
Coll. "Vert paradis"
Hitchcock, c'est lui ?
"Madame Bovary, c'est moi", ne s'est jamais écrié Gustave Flaubert si l'on s'en fie à Pierre-Marc de Biasi dans son essai Gustave Flaubert, une manière spéciale de vivre, mais cette idée reçue est ancrée dans notre inconscient littéraire, et ne peut que se décliner, notamment au sujet de Hitchcock, roman, de René Bonnell, ancien chargé de distribution chez Gaumont sur proposition de Daniel Toscan du Plantier, qui participa également au lancement de Canal+ et qui y fût chargé des questions de cinéma avant de fonder et de diriger Studio Canal. L'homme connait son cinéma, et ne manque pas de le faire avec ce sixième roman hommage à un Alfred Hitchcock vieillissant, dépendant de la vodka pour calmer une arthrose, en plein déclin qui peine à boucler le tournage de The Short Night, et est séduit par Carol, une jeune apprentie-scénariste qui débarque à l'improviste et ne manque pas de lui donner un ultime allant qui mourra à petit feu. Il n'est pas ici question de roman policier, ni même de roman noir, mais l'auteur, par sa grande connaissance du Maître du suspense, a ourdi une intrigue qui permet de revenir sur les grandes failles d'un homme puisées dans une enfance piégeuse, sur les grandes femmes façonnées stars de l'écran par un réalisateur autoritaire, séducteur, manipulateur, colérique, démoniaque et surtout rancunier.
Donc Alfred Hitchcock, c'est René Bonnell. Passé ce postulat, il incombe de faire la part des choses dans ce roman que l'on sent intimiste. Il y a les faits et la fiction. Les faits, c'est toute cette connaissance accumulée des films, de leur analyse, des actrices, et de la personnalité du réalisateur, qui est ici agréablement et légèrement distillée, car l'on en apprend plus (et on en retient plus) en quelques deux cents pages qu'en lisant un épais document verbeux sur Hitchcock. Bien sûr, l'on se doute que le roman souffre de quelques approximations, mais qu'importe : on est dans le sein des seins, le bureau d'Alfred Hitchcock à Universal, et l'on a réussi à franchir la barrière imposée par Suzanne, sa secrétaire. La fiction, elle est un peu plus sujette à caution. Si l'on comprend très vite le futur parcours de Carol, qui sait très bien ce qu'elle veut, et suit la voie et la voix de son maître avec des ajouts qui façonnent son aspérité : elle est lesbienne, et sa mère est autoritaire et envahissante, les dialogues entre les deux personnages principaux partent souvent dans les aigus. Il en ressort qu'ils sonnent bien souvent faux sauf à la fin du roman, quand René Bonnell, au moment de faire entrer son héroïne dans le motel de Psychose. La faute peut-être à la trop grande attente de l'auteur d'une rencontre entre deux personnages qui se mettront à nu et rivaliseront de connaissance quant à la filmographie d'Hitchcock.
Il n'en demeure pas moins que l'ouvrage dresse un portrait à la fois affreux et séduisant d'un homme, qui a grandi dans l'ombre d'un père autoritaire, qui a subi une obésité maladive qui n'avait d'égale que sa relation avec l'autre sexe, réalisateur de talent qui dut concilier avec le code Hays qui imposait une puissante censure, lanceur du MacGuffin, car seules l'intéressaient les interactions entre acteurs, et qui vécut comme un camouflet de recevoir un Life Achievement Award, palliatif d'une absence d'Oscars, et dont l'une des ultimes questions concernait un anoblissement tardif par la reine d'Angleterre. Hitchcock, roman donne furieusement envie de se faire une rétrospective du réalisateur, et c'est une sacrée qualité.
Citation
Carol était pétrifiée. En face d'elle, Hitchcock affichait son masque marmoréen. Elle le voyait comme le juge qui condamne à mort Grace Kelly dans Le crime était presque parfait.