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Inédit
Tout public
Villon en huis-clos
La Forêt pétrifiée est un remarquable et surprenant film pour son époque. Film de gangsters, film noir, western crépusculaire, mélodrame : on ne sait trop où le classer, ni s'il faut le classer. Adaptation linéaire et fidèle d'une pièce de théâtre, le film propose également un casting similaire. En effet, Leslie Howard impose à ses côtés Humphrey Bogart, un homme qui a presque fait une croix sur sa carrière cinématographique et avec qui il a joué la pièce. Or sa prestation dans La Forêt pétrifiée, calquée sur John Dillinger (avec un maintien et une gestuelle qui, associés à son regard vide, font froid dans le dos), va le remettre sur les rails, lui permettre une première vie faite d'incarnations de gangsters vraiment mauvais avant que Casablanca ne révèle une autre facette.
Le film se déroule presque exclusivement dans une station multi-service de Black Mesa, dans le désert de l'Arizona, tenue par trois membres de la famille Maple - le grand-père, le père et la fille. La fille, c'est Gabrielle (Bette Davis) qui profite de son temps libre pour lire les poèmes de François Villon que lui a envoyés sa mère, française, depuis sa ville natale de Bourges. Arrive l'écrivain-voyageur Alan Squier (Leslie Howard, dans un rôle habituel de dandy romantique ici désabusé), couvert de poussière et sans le sou. Le coup de foudre est réciproque et quasi-immédiat, les affinités entre les deux nombreuses. Mais dehors, Duke Mantee (Humphrey Bogart, évidemment) et sa bande sont en chemin. Ils viennent de commettre un larcin, et ont laissé six hommes sur le carreau avant de s'enfuir à bord de deux voitures. Dans la seconde, se trouve la petite amie de Duke. Le huis-clos se profile, mais il tarde à venir. Après plus d'un tiers du film, le téléspectateur est plongé dans une romance où les dialogues, à la limite de l'onirisme et du surréalisme, excellemment maîtrisés, sont jouissifs à l'instar des vers de Villon déclamés par Alan ou Gabrielle. Après un intermède en voiture, les protagonistes du drame sont enfin réunis. La confrontation entre Bogart et Howard peut enfin atteindre des sommets, et elle ne se gêne pas. L'insouciance que le second a pour sa propre vie déstabilise et amuse le premier, assassin multirécidiviste. Les mots s'opposent aux actes. Une estime grandissante nait entre les deux hommes qui suivent alors une trajectoire parallèle tout en étant opposés de nature (tous deux sont amoureux d'une femme, et prêts à tout sacrifier pour elle). L'atmosphère est suffocante mais seuls eux-deux y semblent étrangers.
Le film prend une tournure contemplative. On se croirait au théâtre si ce n'est que la caméra de Archie Mayo prend le temps de figer en gros plans les visages des deux hommes. Gabrielle, elle, est une brebis égarée qui rêve de retourner en France. Mais sur sa route se dressent deux hommes d'une étrange volonté. La dramatique est à son maximum lorsque les forces de l'ordre encerclent la station, que Duke affronte la mort, et qu'Alan la convoque. Le final est rapide, abrupte et suggéré hormis la mort éminemment romantique d'Alan dans les bras de Gabrielle. C'est ainsi que tous ces éléments rendent ce film inclassable et admirable.
La Forêt pétrifiée (83 min.) : réalisé par Archie May sur un scénario de Charles Kenyon et Delmer Daves d'après la pièce de Robert E. Sherwood. Avec : Leslie Howard, Bette Davis, Humphrey Bogart, Genevieve Tobin, Dick Foran, Porter Hall, Charley Grapewin, Paul Harvey...
Illustration intérieure
Citation
Ne faites pas de bêtises, vous deux, et je ne ferai de mal à personne. C'est Duke Mantee, le tueur mondialement connu. Et il a faim...